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Poulain de la Barre, De l'égalité des sexes, De l'éducation des dames, De l'excellence des hommes

Poulain de la Barre, De l'égalité des sexes, De l'éducation des dames, De l'excellence des hommes

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Marie-Frédérique Pellegrin)

Poulain de la Barre, De l'égalité des sexes / De l'éducation des dames / De l'excellence des hommes

Édition critique par Marie-Frédérique Pellegrin

Paris: Vrin, coll. "Textes cartésiens", 2011

EAN13 : 9782711621026

Présentation de l'éditeur:

François Poulain de la Barre (1647-1723) est peut-être le plus grand penseur moderne de l'égalité entre les sexes. Exemple remarquable de transgression idéologique, il passe du catholicisme au protestantisme « rationnel », de la scolastique à la philosophie nouvelle, du phallocentrisme à la philogynie. Il utilise la méthode de Descartes et sa réflexion sur l'homme pour démontrer cette égalité des sexes, aussi bien d'un point de vue physiologique que psychologique. Cette réflexion s'appuie aussi sur une généalogie de l'humanité qui discute les thèses des théoriciens du droit naturel. Relisant parallèlement des textes souvent utilisés contre les femmes (Aristote et surtout la Bible), Poulain de la Barre apparaît comme un protagoniste essentiel du travail de lecture critique des textes sacrés à l'âge classique, au même titre que Simon ou Spinoza. D'où un vaste programme de réforme sociale, qui fait de l'éducation des femmes la seule voie pour leur émancipation et qui interroge la légitimité des sources traditionnelles d'autorité (le savant, le prêtre, le noble).

Souvent cités dans les études anglo-saxonnes (aussi bien en histoire, philosophie, littérature que dans les études de genre), peu connus en France, notamment des philosophes, les trois traités féministes de Poulain de la Barre sont ici pour la première fois réunis et présentés dans leur texte intégral.

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"De l'égalité des deux sexes. De l'éducation des dames. De l'excellence des hommes" et "Des femmes en Amérique" : pionniers de l'émancipation LE MONDE DES LIVRES | 16.06.11 | 11h24

"Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie." La phrase est mise en exergue par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe. En citant François Poulain de la Barre (1647-1723), "un féministe peu connu du XVIIe siècle", elle évoquait une oeuvre capitale de l'histoire de l'émancipation des femmes. Pourtant, sa pensée reste confidentielle, et celle des pionnières du féminisme encore plus.

Deux publications récentes contribuent à exhumer cette histoire. Outre la réédition des grands textes de Poulain de la Barre, la traduction de l'essai fondateur de l'Américaine Margaret Fuller (1810-1850), publié sous le titre Des femmes en Amérique, permet de mesurer les continuités et les ruptures de ce mouvement pour l'égalité.

Poulain de la Barre a toute sa place dans la "Bibliothèque cartésienne" des Editions Vrin. Car si l'on débat encore de la place des femmes dans la philosophie de Descartes, il est certain que celle-ci a marqué le pionnier du féminisme. L'auteur de De l'égalité des deux sexes veut même démontrer la validité de la méthode cartésienne du doute et des idées claires et distinctes : "De tous les préjugés, on n'en a pas remarqué de plus propre à ce dessein que celui qu'on a communément sur l'inégalité des deux sexes."

Le disciple féministe, devenu protestant, réfute les constructions historiques qui ont fait de la femme une subordonnée, en attaquant les savants et l'Eglise. S'inspirant de la conception cartésienne du dualisme entre le corps et l'esprit, il soutient que "l'esprit n'a pas de sexe", pour conclure que "les femmes sont aussi nobles, aussi parfaites et aussi capables que les hommes" : même les sommets de la hiérarchie ecclésiastique devraient leur être ouverts. Mieux, il finira par affirmer la supériorité des femmes : paradoxalement, leur condition a contribué à mûrir leur intelligence et leur moralité. Et, à travers l'oppression féminine, ce sont toutes les autres inégalités et dominations arbitraires qui sont visées.

Comme l'a montré Guyonne Leduc dans Réécritures anglaises au XVIIIe siècle de "l'Egalité des deux sexes" (L'Harmattan, 2010), ces thèses circulèrent dans le préféminisme anglais de Mary Astell et de l'auteur anonyme Sophia, qui diffuseront une approche rationaliste dont Mary Wollstonecraft sera l'héritière dans son célèbre Défense des droits de la femme (1792).

Aux Etats-Unis, la brillante journaliste et essayiste qu'était Margaret Fuller méditera Wollstonecraft. Cependant, dans cette phase romantique, on ne parlait plus guère le langage rationaliste des Lumières. Et le contexte américain était spécifique, le féminisme s'étant développé dans le sillage des combats pour l'abolition de l'esclavage. Bien des femmes avaient milité en intervenant dans des meetings, ce qui n'était pas toujours accepté. Si les hommes les plus progressistes de l'American Antislavery Society les soutenaient, d'autres voulaient les priver de parole publique.

La "culture de soi"

L'essai publié en 1843 par Fuller, qui s'inscrit dans ce contexte, inspira la Convention de Seneca Falls de 1848, moment-clé du mouvement des femmes. Elle polémique contre ces hommes qui accusent les féministes de briser le foyer familial en poussant les femmes à "participer au vote et monter en chaire". Pour que l'humanité devienne mature et accomplie, soutient-elle, la liberté intérieure et extérieure de la femme devra être reconnue comme un droit et non comme une concession : "De même que l'ami du Noir estime qu'un homme, quel qu'il soit, ne peut pas, en droit, en détenir un autre en esclavage, de même l'ami de la femme devrait considérer que l'homme, en droit, ne peut imposer à la femme des restrictions même bien intentionnées."

Fuller défend l'accès des femmes à tous les emplois au nom de l'exigence de "culture de soi" (Self-Culture). Pour cette figure du courant dit "transcendantaliste" de Thoreau et Emerson, le combat des femmes vise à déployer leurs facultés en les libérant des obstacles imposés par les hommes. Aussi prône-t-elle la "confiance en Dieu" plutôt que la confiance dans les hommes. Mais le divin n'est pas lointain : il s'agit de trouver Dieu en soi, et par là de retrouver la confiance en sa propre nature. Et la guerre des sexes n'est pas souhaitable : pour Fuller, "l'idée de l'homme, si imparfaitement réalisée, l'a cependant été bien plus que l'idée de la femme", et "rien ne contribuera mieux à la réforme des fils de notre époque qu'une amélioration de la condition des filles".

Du cartésianisme de Poulain de la Barre au romantisme religieux de Fuller, la distance est grande. Mais une certaine idée de l'égalité les situe dans une histoire commune de l'émancipation. Et qui prétendra sérieusement que celle-ci est terminée ?

DE L'ÉGALITÉ DES DEUX SEXES. DE L'ÉDUCATION DES DAMES. DE L'EXCELLENCE DES HOMMES de François Poulain de la Barre. Présentation de Marie-Frédérique Pellegrin. Vrin, "Textes cartésiens", 426 p., 30 €.

DES FEMMES EN AMÉRIQUE (THE GREAT LAWSUIT) de Margaret Fuller. Traduction de l'anglais (Etats-Unis) et postface de François Specq. Rue d'Ulm éd., "Versions françaises", 116 p., 13 €.

Serge AudierArticle paru dans l'édition du 17.06.11