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Politique et poétique du gueux : rogues et pícaros dans l’Espagne et l’Angleterre médiévales et renaissantes (Poitiers)

Politique et poétique du gueux : rogues et pícaros dans l’Espagne et l’Angleterre médiévales et renaissantes (Poitiers)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Pascale Drouet)

Politique et poétique du gueux : 

rogues et pícaros dans l’Espagne et l’Angleterre médiévales et renaissantes 

Poitiers, 14-15 octobre 2022

 

Au sein de la littérature occidentale, on a rapidement perçu dans la picaresque une « tradition historiquement et géographiquement délimitée »[1] propre à l'Espagne du « Siècle d'or », un genre à part quasiment sans précédent. À cette idée reçue, de récentes études viennent rappeler l'importance des origines apuléiennes et lucianesques de cette formule narrative « neuve ». Le gueux à l’esprit madré semble bien ainsi le fils prodigue des Anciens. Ne faudrait-il pas, dès lors, prolonger la réflexion et à reconsidérer à tout le moins le cliché scientifique qui voit dans ce personnage le parfait exemple (dissident) du héros de la Renaissance ? Le Moyen Âge n'a-t-il pas participé lui aussi à l'engendrement de l’aigrefin ?

Du reste, sur la péninsule Ibérique, qui vit naître Lazarillo sur les rives du Tormès, il ne serait pas surprenant de voir affleurer quelques racines qui durent marquer de leur empreinte les vicissitudes de cet anti-héros propre à la première modernité. Que penser, en effet, de l'influent personnage de l’insubordonné qui, qu'il se positionne contre le monarque ou contre ses différents bras institutionnels, a trouvé un écho intéressant ? Le Cid Campeador, dont s’inspira Corneille en France, est certainement l’une des figures les plus marquantes du Moyen Âge sud-européen, dans la continuité d’Achille contre Agamemnon et, plus proche de lui, de Renaud de Montauban contre Charlemagne. 

En Angleterre, le débat scientifique invite à questionner la pluralité des métamorphoses picaresques. À la charnière du XVIe et du XVIIe siècle, les « conny-catching pamphlets » de Robert Greene, ces opuscules qui détaillent par le menu les agissements frauduleux d’habiles plume-pigeons, rencontrent un franc succès. Thomas Nashe publie The Unfortunate Traveller, considéré comme roman picaresque. Avec les personnages de Falstaff dans King Henry IV et d’Autolycus dans The Winter’s Tale, Shakespeare met en scène des roublards somme toute sympathiques et dont la notion très relative de l’honneur n’est pas sans rappeler l’ethos paradoxal du pícaro, « incarnation exemplaire de l’antihonneur »[2]. Beaucoup de ces figures de fictions sont héritières de la mètisgrecque, des ruses du baron de Maupertuis, traduites par William Caxton sous le titre The History of Reynard the Fox (1481), tout autant que des premiers récits picaresques espagnols. On pourra donc se demander comment la source espagnole « se greffe en Angleterre sur la tradition nationale (celle des livres de gueuserie et du Jack Wilton de Thomas Nashe), qu’il infléchit dans le sens d’un anathème contre le vice »[3].

Les personnages marginaux appelés respectivement rogues et pícaros ont déjà fait, séparément, l’objet d’études variées[4]. La perspective ici envisagée propose de les mettre en regard et de les faire dialoguer, afin de s’interroger sur la création, la circulation et l’évolution des modèles littéraires d’une époque à l’autre (Moyen Âge et Renaissance) et d’un pays à l’autre (Espagne et Angleterre). Dans ce cadre, on invitera les chercheurs à considérer ce que ces représentations fictionnelles nous disent de la société dans laquelle ils agissent : les choix sociopolitiques qui s’expriment d’une part, des attentes et les réponses éventuelles des lecteurs et des spectateurs de l’autre. On pourra se demander alors de quelle manière les gueux s’inscrivent dans la société ou s’en démarquent, quelle voie, peut-être, suggère leur auteur, dans un contexte où le conformisme et l’utopisme s’entrecroisent fréquemment. 

N’est-ce pas, d’ailleurs, une nouvelle taxinomie qui émerge alors ? À quel moment ces termes spécifiques apparaissent-ils et pourquoi précisément à ce moment-là ? Selon l’Oxford English Dictionary, la première occurrence rogue daterait de 1489, avec pour sens de « idle vagrant, vagabond », alors que l’acception varie en 1568 où il se met à désigner « a dishonest, unprincipled person ; a rascal, a scoundrel »[5] ; la langue anglaise s’approprierait le terme de pícaro en 1622, comme synonyme de « rogue, scoundrel »[6]. Or, ces deux termes, qui ne sont pas exactement synonymes, ne recouvrent-pas une réalité semblable. Des emprunts existent-ils d’un pays à l’autre qui conservent la spécificité de chaque terme ? À quel moment les divers ouvrages (opuscules populaires, ballades en prose, récits, pièces de théâtre) qui les représentent sont-ils traduits de l’anglais à l’espagnol ou de l’espagnol à l’anglais ? Dans quelle optique ? Pourquoi, par exemple, environ vingt-quatre années s’écoulent entre la parution du Guzmán de Alfarache de Mateo Alemán et sa traduction par James Mabbe ? Comment la représentation de l’anti-honneur évolue-t-elle ? Pourquoi Richard Head reprend-il la veine picaresque à l’époque de la Restauration avec The English Rogue ? Ce sont là quelques questions, parmi d’autres, auxquelles ce colloque espère pouvoir répondre.

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Comité scientifique

William C. Carroll (Université de Boston, États-Unis)

Michel Cavillac (Université Bordeaux Montaigne)

Pierre Darnis (Université de Bordeaux Montaigne)

Pascale Drouet (Université de Poitiers)

Gordon McMullan (King’s College London, Angleterre)

Valentín Núñez Rivera (Université de Huelva, Espagne)

Fabrice Quero (Université Paul-Valéry Montpellier 3)

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Contact

Les propositions sont à envoyer (300 mots maximum pour l’abstract + une bio-biblio rédigée de 200 mots maximum + merci de préciser si vous êtes intéressé par une publication ultérieure) avant fin août à : 

pierre.darnis@u-bordeaux-montaigne.fr et pascale.drouet@univ-poitiers.fr

Les communications pourront se faire en 3 langues : français, anglais, espagnol. 

 

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[1] Gérard Genette, Des genres et des œuvres, Paris, Seuil, 2012, p. 131.

[2] Maurice Molho & Jean-François Reille (éd.), « Introduction à la pensée picaresque », Romans picaresques espagnols, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. cv.

[3] Marcel Bataillon, Le Roman picaresque, Paris, La Renaissance du livre, 1931, p. cxxx.

[4] Voir, par exemple, Craig Dionne and Steve Mentz (eds), Rogues in Early Modern English Culture, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2006 ; Pascale Drouet, De la filouterie dans l’Angleterre de Shakespeare : Études sur Shakespeare et ses contemporains, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2013.

[5] Oxford English Dictionary, « rogue, n. and adj.», A.n.1, puis 2.a.

[6] Ibid., « picaro ».