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Poésie et théâtre. Au-delà des genres

Poésie et théâtre. Au-delà des genres

Publié le par Marion Moreau (Source : Eliane Beaufils)

Poésie et théâtre.

Au-delà des genres.

Colloque international décembre 2012

 

Le dix-neuvième siècle, en particulier la fin du dix-neuvième siècle, est marquée par l’apparition de théâtres grotesques, critiques et naturalistes, décadents, ou simplement, comme celui d’Ibsen, porté par un souci de réel. Un tel théâtre paraît sonner le glas non seulement du théâtre en vers mais de la « poésie dramatique », telle que l’avaient conçue Hegel, Diderot, et plus loin Aristote, telle que pouvait encore sembler l’incarner Hugo. L’avènement d’un nouvel âge théâtral s’accompagne, à l’instigation des metteurs en scène et acteurs autant que des dramaturges, du souci de rompre avec les conventions de représentation théâtrale. L’artiste de la scène entend se saisir des moyens qui lui sont propres, jusqu’à l’incomparable effervescence des années 1910-1930 : du théâtre marionnette de Craig aux gigantesques appareils scéniques de Piscator, en passant par le travail technique sur le corps d’un Meyerhold et l’outrance du jeu expressionniste, « tous les moyens sont bons »… Ce mouvement communément qualifié de délittérarisation du théâtre se veut exigeant, c’est un théâtre poussé à bout, dont la créativité forcenée n’est guère associée à la « poésie théâtrale ». Certes, en France, le théâtre poétique reste une constante en se renouvelant sans cesse : par l’entremise d’un Claudel, d’un Cocteau et plus tard Audiberti, Schehadé ou Vauthier, se perpétue « un théâtre littéraire […] accordant une place importante au verbe, au travail sur le verbe, à l’invention verbale » (N. Macé). Mais on assiste également en France, surtout des années trente jusqu’à nos jours, au développement d’un « autre langage de la scène », servi notamment par les visions d’Artaud : épris de l’idée « d’une vie supérieure de la scène », d’une haute poésie née des moyens mêmes du théâtre, déparée de ses allégories poussiéreuses, de ses « codes culturels morts » (Artaud). Une « vraie » poésie, créatrice, permettant d’accéder à une autre dimension de l’être.

Qu’ils soient ou non fondés sur le langage, tous ces mouvements sont libérateurs de théâtre, et en laissant libre cours à l’imagination théâtrale, ils semblent même parfois faire prendre corps à la poésie ; accomplir des « révolutions poétiques » au coeur du théâtre. On y retrouve en effet les maîtres principes décelés par Kristeva chez Mallarmé et Lautréamont : bouleversement des symbolismes en cours jusque dans leurs fondements structurels (bouleversement du thétique, symbolique donné, acquis, sémantique et syntaxique), sous l’impulsion en particulier de toutes les dimensions jusque là non prises en compte de l’être (chora sémiotique, bien loin d’être exclusivement somatique ou pulsionnelle). Le théâtre des 20e et du 21e siècle n’a-t-il pas bien souvent permis de faire éclore une négativité positive, jouissive, cherchant à atteindre une expression  supérieure, en coïncidence avec l’être ? Si, en vertu d’une méfiance exacerbée envers le langage, le théâtre des metteurs en scène a rarement usé du qualificatif « poétique » pour qualifier ses entreprises, n’en a-t-il pas moins tout au long du 20e siècle développé fait surgir des moments poétiques sur scène ? Même politique et fier des missions intellectuelle et pratique dont il s’investissait, n’a-t-il pas, au moins par instants, laisser entrevoir des interstices poétiques, oniriques ou utopiques, où la beauté de la scène puisait aussi en une beauté supérieure de l’expression humaine? Qu’on pense à toutes les tentatives de Piscator et Brecht jusque Schleef et les collectifs du 21e siècle, en passant par H. Müller, où l’utopie sociale s’est fondée sur une utopie du théâtre… Ou encore, de manière non politique, à toutes les recherches qui se situent, volontairement ou non, dans le prolongement d’Artaud : les visions de Wilson, le slow motion et les images scéniques,  le Living Theater de Julian Beck, Schechner et d’autres, le travail sur la base préexpressive de l’acteur chez E. Barba, le théâtre sacré de Grotowski ou Brook…S’il revient parfois dans ces théâtres une place privilégiée aux images, au corps, à l’expérience auditive, c’est que le théâtre se nourrit de la multiplicité des médias dont l’homme moderne est abreuvé, et qui développent chacun leurs langages, dont se saisissent à leur tour les sciences (iconic turn, performative turn… là aussi on use de l’idée de –semi–révolution).

Bien sûr, pour aborder un  tel champ d’étude, il convient d’abord de s’interroger plus longuement sur une définition du poétique rapportée à la création globale de la scène, non exclusivement verbale. Souvent en poésie les définitions sont livrées par les poètes eux-mêmes, et ce phénomène montre combien le poétique relève d’une quête personnelle ; quête vers un aboutissement, une plénitude. Ces définitions peuvent à première vue sembler contradictoires mais se complètent, se répondent, et entrent en résonnance avec maintes expériences théâtrales des 20e et 21e  siècles. Qu’on pense par exemple à l’idée de la poésie comme anti-image chez René Char ; alors que Bachelard l’associe à une image gravée au plus profond de soi…mais tous deux se réfèrent à une expérience de la poésie comme d’un in-ouï insaisissable, qu’on ne saisit que dans l’instant fulgurant de son énonciation, et qui laisse une trace aussi profonde qu’inépuisable. La question est de savoir s’il suffit de parler des langages de la scène, de cette possibilité de dire l’inédit à l’aide de tous les langages scéniques, qui sont certes des signes, mais capables de supporter une  poésie ? Peut-on par ailleurs rapporter le poétique à un événement en un siècle où le théâtre se veut si souvent événement ?

Le premier axe de notre colloque sera donc l’étude des formes de la révolution poétique sur scène aux  20e et 21e siècles. Théâtres du verbe évidemment, mais aussi théâtres d’images, ou théâtres inspirés de la danse ; théâtres du corps, de l’espace, vide ou non,  théâtre des voix, de l’écho, des choeurs ; théâtre de la confluence des signes, des correspondances, ou théâtre de la convergence des contraires, plein de la tension de l’impossible ? Peut-être est-ce la pluralité de l’inspiration (dramaturge, acteur, metteur en scène) qui a aussi rendu possible ce dire de l’impossible sur scène ?

Il conviendra par ailleurs, et ce sera le second  axe de notre étude, de se pencher sur le sens d’un tel théâtre, peut-être indissociable de sa forme. Après tout, dans certaines mises en scène éclectiques, les moments poétiques peuvent apparaître comme de simples moments compensatoires par rapport à un théâtre autrement trop exigeant, moralement ou esthétiquement, ou trop cru. Peut-être constituent-ils cependant parfois un dernier rempart contre une prééminence de la dystopie en livrant des fragments utopiques ? à moins qu’ils ne relèvent d’une rébellion contre la domination du langage, et surtout, plus loin, une domination des discours. N’y a-t-il pas un risque cependant, au fur et à mesure que croît la médiatisation, de livrer un objet de consommation facile de plus, au lieu de soumettre un nouveau langage (visuel, sonore, corporel) ? Un théâtre ostensiblement ludique pourrait se soustraire à une responsabilité de pensée plus large. Comment au demeurant le ludique peut-il s’accorder avec le poétique ? Est-ce que le théâtre peut résister au paradoxe d’une intention poétique qui, parce qu’intentionnelle, est trop facilement lisible, trop rapidement kitsch ? Ou peut-il s’appuyer sur les émotions et visions des artistes, qui d’ailleurs portent souvent quelque chose à la scène pour cette chose elle-même, dans une simple et profonde recherche d’accord avec soi, d’exigence envers l’art ? Ces moments étaient-ils, sont-ils, le produit d’une recherche perpétuelle, existentielle et sincère ? ou le fruit du hasard de la recherche esthétique? Ces questions ramènent quant à elles à la question de l’authenticité dans un art d’artefacts de plus en plus diffracté et réfléchi au 20e  siècle.

Enfin, et ce sera notre troisième axe, il conviendrait de prendre en considération le point de vue  du spectateur. Quand des signes lui sont livrés de manière inédite, le spectateur est appelé lui-même à un travail poétique, ou du moins poïétique, d’accueil des signes, de transformation intérieure au-delà d’une simple compréhension intellectuelle où il resterait enfermé dans une mécanique de traduction des signifiés en signifiants, des signifiants en signifiés. Il doit accueillir les signes de manière plus vaste, peut-être plus spontanée, accepter de se dessaisir de toute certitude, de se livrer à l’instant, à l’émotion non seulement du beau mais de l’événement dans toute sa plénitude. Et le sens que peut prendre une telle expérience pour le spectateur rejoint-elle le sens qu’elle revêt pour ses créateurs ?

Les propositions devront être envoyées par courrier électronique (en fichier attaché sous le format « word ») aux adresses suivantes : phtan@sfr.fr, ebeaufils@unistra.fr avant le 30 juin 2012. Langues : français, anglais, allemand.

Responsables : Philippe Tancelin (poète-philosophe, professeur, directeur du CICEP), Eliane Beaufils (MCF).