
Appel à contributions – Revue Filigranes[1], numéro spécial : Avril 2026.
Abdelwahab Meddeb, déchiffreur des palimpsestes, archéologue du présent
Coordination : Adil FATHI, Mohamed HABIBALLAH, Zohra MAKACH
Date limite d’envoi des propositions : 30 septembre 2025.
Abdelwahab Meddeb (1946–2014), écrivain, poète et penseur franco-tunisien, laisse une œuvre dont la complexité formelle, la densité langagière et la stratification conceptuelle sollicitent une lecture lente, patiente, quasi initiatique. Marquée par une tension féconde entre mémoire mystique, dialogue des civilisations et quête d’une liberté intérieure, son écriture résiste à toute forme de réduction herméneutique. Elle engage le lecteur dans une traversée qui défie les automatismes de la compréhension et de l’interprétation.
La poétique du soufisme chez Meddeb ne se confond pas avec une spiritualité didactique ou illustrative. Elle relève d’une expérience d’écriture, d’un rapport existentiel au texte comme lieu de déflagration symbolique et de surgissement du sacré. Le lexique mystique, les figures extatiques, les ruptures de syntaxe et les éclats d’image composent une esthétique de l’obscur qui privilégie le silence, le vacillement, l’inachevé. Le poème n’éclaire pas : il obscurcit pour raviver l’intensité de l’invisible.
La traduction, chez Meddeb, obéit à une logique semblable : elle ne tend pas à lisser l’altérité mais à en préserver le frisson. Traduire, c’est maintenir l’aura de l’intraduisible, faire entendre la voix de l’étrangeté sans céder à l’illusion d’une transparence. Dans ses œuvres, la superposition des langues, l’usage de typographies différenciées, les insertions en arabe, grec ou persan, construisent un espace textuel « impur », réfractaire à toute univocité. La traduction devient ainsi une expérience herméneutique du vertige, un geste d’hospitalité envers l’inconnu.
Ce refus de la clarté didactique est inséparable d’une éthique de la pensée libre. Meddeb ne développe pas une pensée conceptuelle au sens académique ; il esquisse des constellations, propose des éclats, rompt avec la linéarité. Sa prose se tord, sa syntaxe s’ouvre, sa ponctuation se défait. Cette forme délibérément instable traduit une vision du monde plurielle, non assignable, en tension permanente avec les catégories dominantes de la rationalité. La vérité, ici, ne se donne pas comme contenu mais comme vibration — dans ce « troisième espace » qu’il revendique, hors des cadres théologiques et disciplinaires.
Enfin, l’errance occupe une place structurante dans son œuvre. Elle ne renvoie ni à une instabilité biographique ni à une nostalgie de l’exil, mais à un choix ontologique : celui de la traversée sans direction, du déplacement infini du sens. Le texte meddebien épouse cette posture : il ne suit aucun fil narratif, ne propose ni progression ni résolution. Son hermétisme même devient le reflet de cette errance, mimant le désarroi du mystique autant que la dissonance du moderne. L’écriture, ainsi, désoriente plutôt qu’elle ne guide, mettant à nu le lecteur face à une parole qui cherche moins à unifier qu’à faire résonner les fragments.
Ce numéro spécial de la revue Filigranes propose d’interroger l’œuvre d’AbdelwahabMeddeb à travers les formes singulières qu’elle donne à la spiritualité, à la langue, à la pensée et à l’écriture. Il s’agira de penser la manière dont Meddeb construit une alternative esthétique et intérieure face aux injonctions identitaires, aux normes de lisibilité et aux dispositifs de clôture du sens.
Penser Meddeb, c’est penser une autre manière d’écrire, de traduire, de croire, et de cheminer.
Les propositions pourront s’inscrire, entre autres, dans les axes suivants :
Le soufisme comme moteur poétique et principe de transgression mystique
La traduction comme maintien de l’intraduisible
La pensée libre et l’écriture insoumise
L’errance comme forme, méthode et philosophie
L’hermétisme et l’opacité stylistique comme gestes critiques
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Modalités de soumission
Les propositions de contribution devront comprendre :
Un résumé de 300 à 500 mots (précisant l’axe ou la problématique traitée)
5 mots-clés
Une brève notice bio-bibliographique
· Les propositions de contribution (300 à 500 mots), accompagnées de cinq mots-clés et d’une brève notice bio-bibliographique (5 lignes), sont à envoyer au plus tard le 30 septembre 2025 à l’adresse suivante :
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· Les auteur·es seront informé·es de la décision du comité scientifique le 20 octobre 2025.
· Les articles complets, d’une longueur comprise entre 30 000 et 40 000 signes espaces compris, devront être remis avant le 20 janvier 2026. Tous les textes feront l’objet d’une évaluation en double aveugle.
· Les auteur·es dont les articles auront été retenus recevront les retours d’évaluation et les éventuelles demandes de modifications d’ici le 30 mars 2026.
· La parution du numéro est prévue pour avril 2026.
· Une feuille de style précisant les normes de présentation éditoriale sera transmise aux contributeur·rices après acceptation de la proposition.
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Bibliographie indicative
Barthes, Roland. Le Plaisir du texte, Seuil, 1973.
Ben Slama, Fethi (dir.). Abdelwahab Meddeb, la blessure et la lumière, Albin Michel, 2016.
Berman, Antoine. L’épreuve de l’étranger, Gallimard, 1984.
Blanchot, Maurice. L’Entretien infini, Gallimard, 1969.
Corbin, Henry. L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabi, Flammarion, 1958.
Délépine, Sophie. « La parole mystique dans Tombeau d’Ibn Arabi », Expressions maghrébines, vol. 7, no 2, 2008.
Derrida, Jacques. La Dissémination, Seuil, 1972.
Glissant, Édouard. Poétique de la relation, Gallimard, 1990.
HABIBALLAH, M. Poétique de l’errance dans l’œuvre d’Abdelwahab Meddeb, Revue Filigranes, 2024.
Kahf, Mohja. « Teaching Islam Through Abdelwahab Meddeb », MLA, 2018.
Massignon, Louis. La Passion de Husayn Ibn MansûrHallâj, Gallimard, 1975.
Meddeb, Abdelwahab. « A bâtonsrompus avec Abdelwahab Meddeb », 1987.
Meddeb, Abdelwahab. Aya dans les villes, 1999.
Meddeb, Abdelwahab. « Bistami est un aventurier de l’être », 1990.
Meddeb, Abdelwahab. Blanches traversées du passé, 1997.
Meddeb, Abdelwahab. Contre-prêches, 2006.
Meddeb, Abdelwahab. « Dans le parcours solaire », 1988.
Meddeb, Abdelwahab. Face à l’islam, 2004.
Meddeb, Abdelwahab. La Gazelle et l’enfant, 1992.
Meddeb, Abdelwahab. La maladie de l’islam, 2002.
Meddeb, Abdelwahab. « La clôture de l’intraduisible : Jahiz/Aristote/Averroès », 1987.
Meddeb, Abdelwahab. « La clôture de l’intraduisible, Jâhiz / Aristote / Averroès », 1986.
Meddeb, Abdelwahab. « La grande porte de l’histoire », 1986.
Meddeb, Abdelwahab. Les 99 stations de Yale, 1995.
Meddeb, Abdelwahab. Les Dits de Bistamî, 1989.
Meddeb, Abdelwahab. « Le chantre de l’entre-deux cultures », 1979.
Meddeb, Abdelwahab. « Le palimpseste du bilingue, Ibn ‘Arabi et Dante », 1985.
Meddeb, Abdelwahab. Matière des oiseaux, 2001.
Meddeb, Abdelwahab. Pari de civilisation, 2009.
Meddeb, Abdelwahab. Phantasia, 1986.
Meddeb, Abdelwahab. « Récit de l’errance », 1982.
Meddeb, Abdelwahab. « Station de Niffari », 1983.
Meddeb, Abdelwahab. Sortir de la malédiction : l’Islam entre civilisation et barbarie, 2008.
Meddeb, Abdelwahab. « Surprise de l’hybridation », 1986.
Meddeb, Abdelwahab. Talismano, 1987.
Meddeb, Abdelwahab. Tombeaud’Ibn ‘Arabî, 1995.
Meddeb, Abdelwahab. « Un exilintérieur », 1987.
Meddeb, Abdelwahab. «Abdelwahab Meddeb par lui-même», 1989.
Meddeb, Abdelwahab. « Entre l’expression française et l’identitéarabe », s.d.
Meddeb, Abdelwahab. « Hallâj revisité », 1984.
Meddeb, Abdelwahab. « Ibn ‘Arabi : de l’imagination à l’altérité », 1989.
Meddeb, Abdelwahab. « L’image et l’invisible : Ibn ‘Arabi / Jean de la Croix », 1986.
Meddeb, Abdelwahab. « L’interruption généalogique », 1995.
Meddeb, Abdelwahab. « La religion de l’autre : Ibn ‘Arabi / Ramon Lull », 1986.
Meddeb, Abdelwahab. « La sagesse des Orientaux », 1999.
Meddeb, Abdelwahab et Rey, Alain. « Langue française, langue plurielle », s.d.
Nancy, Jean-Luc. La Communauté désœuvrée, Christian Bourgois, 1986.
Ricoeur, Paul. Sur la traduction, Bayard, 2004.
Schimmel, Annemarie. Le Soufisme, Albin Michel, 1980.
Comité scientifique
Abdelaali TALMENSSOUR, FLSH Agadir, UIZ
Abdeladim TAHIRI, FP de SAFI, UCA
Abdelaziz AMRAOUI, FLSH Marrakech, UCA
Abdelouahed MABROUR, FLSH d’El-Jadida, UCD
Abdelouahed Hajji, ENS, UMI, Meknes
Adil FATHI, FP de SAFI, UCA
Ali RAHALI, FP de SAFI, UCA
Ana-Maria CONSTANTINOVICI, Université ALC, Lassy, Roumanie
Anouar KARRA, ENS de Fès, USMBA
Assia MARFOUQ, Institut des Sciences du Sport Settat, UH1er
Aziz BELKAZ, FLASH, Agadir, UIZ
Bouchra EDDAHBI, FLSH d’El-Jadida, UCD
Hasna MABROUK, FLSH d’El-Jadida, UCD
Hassan TAKROUR, FP de SAFI, UCA
Hassan FATHI, FS, UM5 Rabat
Houda BOUHLOU, FSJES d’El-Jadida, UCD
Ikhlas SAIDI, FP de SAFI, UCA
Khadija ELJARI, FSJES d’El-Jadida, UCD
LISSIGUI Abdellah, FLASHAgadir, UIZ
Maryem SADDIQUI, ESEFBéni Mellal, USMS
Mohamed HABIBALLAH, FP de SAFI, UCA
Mohssine FATHI, FP de SAFI, UCA
Mostafa AGHZAFEN, FLLA Kenitra
Mustapha LEMGHARI, FP de SAFI, UCA
Rajaa BABALAHCEN, ENSA de Safi, UCA
Radouane LAAOUINAT, FLAM, UCA
Ridha BOURKHIS, FLSH, Université de Sousse (Tunisie)
Touria LACHHAB, FP de SAFI, UCA
TouriaOuakkas, FLSH d’El-Jadida, UCD
Zohra MAKACH, FLSH Agadir, UIZ
[1]FILIGRANES est une revue scientifique pluridisciplinaire, à Comité de lecture international, publiée par le Laboratoire d’Études et Recherches en Langue, Littérature, Culture et Identité (LLCI) relevant de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d’Agadir, Université Ibn Zohr. La revue s’adresse à un public d’universitaires et publie des articles scientifiques originaux dans les champs disciplinaires des sciences humaines, des lettres et des arts.
https://journals.imist.ma/index.php/filigranes/