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Photographie algérienne : De la genèse à la représentation (Continents Manuscrits, n°14)

Photographie algérienne : De la genèse à la représentation (Continents Manuscrits, n°14)

Publié le par Marc Escola (Source : Rym Khene)

Photographie algérienne : De la genèse à la représentation

Appel à contributions, 

Continents Manuscrits, n°14, mars 2020

 

En Algérie, et sur l’Algérie, la photographie est une discipline peu analysée. Alors que l’image photographique y est présente depuis son invention, les modalités de constitution et de valorisation d’archives visuelles au sein de fonds publics ou privés, par des institutions, des particuliers ou des artistes, ne sont pas suffisamment connues. Cette problématique est présente dans trois moments clés de l’histoire algérienne, celui de la colonisation, de la guerre d’indépendance et pendant les années 1990.

Dès les débuts de la photographie, qui coïncident avec les premières décennies de la conquête coloniale, nous pouvons, à travers les photographies qui sont fabriquées, exploitées et diffusées, analyser la façon dont les espaces, l’architecture, les personnes, les symboles, sont identifiés, nommés, appréciés, hiérarchisés[1]. Cette prise en charge du médium par l’autorité coloniale a construit des codes de représentation pour le territoire, les Algériens, les figures historiques, et a produit une abondance iconographique dont le but est le plus souvent de légitimer la présence coloniale française en Algérie. Nous savons à présent que cette vision dominante commence à se fragiliser dès les débuts de la guerre pour l’indépendance, notamment du fait de l’action du FLN[2] qui mène, comme composante de la guerre de libération nationale, une guerre médiatique et symbolique à l’intérieur du territoire aussi bien qu’à l’étranger.

Aujourd’hui, vingt ans après la fin d’une décennie de « guerre civile » dont les images ont, dans l’ensemble, été prises en charge par très peu de chercheurs, et dont le leitmotiv est de qualifier cette période comme étant « sans images », artistes et chercheurs, notamment à travers l’utilisation de photos d’archives, proposent différentes représentations du territoire, de la population, de la mémoire, et de l’Histoire.

À la fois dans le contexte de la colonisation, dans celui de l’indépendance ou celui des violences des années 1990 et de celles qui ont suivi, les photographies produites en Algérie par des photographes reporters ou artistes, ou encore rassemblées par des écrivains, sont des mises en récit de l’histoire. Dans un mouvement de décloisonnement des disciplines, au croisement de celles-ci, ou encore dans l’indiscipline (Suchet), il s’agit dans ce numéro de Continents Manuscrits d'examiner et de mettre à disposition des outils pour une analyse visuelle de l’image en Algérie afin d’aller au-delà du simple consensus sur l’existence d’images et d’interroger le travail complexe de représentation qui en découle.

À l’intersection des disciplines et des lieux, la représentation en Algérie est un enjeu premier. La fonction et la tradition narratives de la photographie – et plus généralement de l’image – rejoignent de manière intime les traditions narratives cinématographiques, historiques, et littéraires. Les enjeux de la représentation, de la mémoire et les liens forts tissés avec les considérations à la fois historiques et esthétiques, sont pensés à partir d’archives et de matériaux physiques. Là, des choix sont opérés et les représentations sont forcément sujettes à des contradictions de différentes natures et intensités.

Alors que la photographie a été tout au long de l’histoire contemporaine algérienne déterminante du fait qu’elle est une dimension de l’identité, elle demeure aujourd’hui encore reléguée aux marges de travaux universitaires. Les mécanismes de constitution de la représentation vont nécessairement privilégier un sens sur les autres, et ainsi, désigner l’enjeu de la quête de sens individuelle, collective, identitaire, politique… Cet enjeu s’accroît et devient une nouvelle fois urgent alors que s’exprime aujourd’hui, notamment sous la forme d’articles, de textes littéraires, de films, de photographies et arts plastiques, le besoin de trouver un sens à la vie de la collectivité, encore une fois, (une génération après la guerre d’indépendance), après le trauma et la sidération des années 1990. 

L’expérience de la photographie ne cesse de se réinventer et elle prend vie, à la fois dans les lieux physiques du territoire, dans ceux des diasporas et dans les imaginaires. Ce qui émerge est une variété iconographique riche et multiple dont l’analyse théorique n’est pas encore suffisamment développée. Dans la continuité de travaux qui existent aujourd’hui, dans un contexte où les archives ne sont pas prises en charge de manière systématique par des institutions, où des fonds privés font surface, et où les conditions de production et de diffusion sont pour le moins difficiles, il s’agit d’interroger des processus et des mécanismes qui en découlent : de la production photographique, à l’urgence de sa sauvegarde, de la production d’archive à sa valorisation, ainsi que des codes de représentation.

Ce numéro de Continents Manuscrits invite chercheur.es et artistes à réfléchir au rôle de la pratique photographique en Algérie, de sa genèse à ses représentations. Dans le sillage des travaux qui mettent en avant une production photographique du Sud dynamique, neuve et originale par sa vision de l’histoire et de son territoire, nous souhaitons explorer comment (dans quelles conditions ? Avec quels outils ? Par quels réseaux de diffusion ?), par le prisme de la pratique de la photographie et des archives, un regard neuf et de nouvelles représentations en Algérie sont mis en lumière. Si la tradition photographique algérienne s’est souvent trouvée au centre d’enjeux politico-historiques, quel rôle la photographie joue-t-elle aujourd’hui pour déplacer les regards ?

Dans leurs contributions, seront privilégiées les pistes suivantes : 

Récits

De la « mise en récit » des images, des tendances se dessinent-elles ? Quelles oppositions ou contradictions émergent lorsque les chercheur.es et/ou les artistes sont face à l’objet-archive, la non-archive, ou la contre-archive (Zaatari)?  

Modes d’emploi / Boîte à outils

Ici, artistes et chercheur.e.s sont invité.e.s à proposer des outils d’analyse visuelle propres à leur discipline ou à leur pratique. De la production photographique à l’objet-archive, quelles sont les pistes méthodologiques ?

Zones invisibles

Les non-dits, les oublis, et les trous noirs de l’histoire de la représentation deviennent les sujets de diverses pratiques de la photographie, et les embranchements avec la recherche s’inscriraient dans une perspective de l’impulsion archivistique (Foster, 2004), de l’archive remixée (Le Lay, Malaquais, Siegert, 2015), ou de l’expérience de l’archive (Saïd, 1999). Posséder l’archive et/ou se la réapproprier permet de bousculer l’ordre symbolique existant et de proposer des contre-discours (Woodward, 2009). Que proposent ces nouvelles pratiques photographiques?

Plateformes alternatives

Quel est le rôle des plateformes alternatives (non institutionnelles et non traditionnelles) de la valorisation d’archives visuelles (photographie et cinéma)? La recherche, la localisation et l’étude de fonds d’archives visuels donnent lieu à des études de formes différentes. Quelles sont alors les méthodes et quelles sont les implications pour les chercheur.es ?

N.B. Des contributions relatives à d’autres aires géographiques mais qui offriraient des parallèles avec l’expérience de la représentation photographique algérienne seront également considérées.

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Merci de faire parvenir vos propositions (500 mots) à Rym Khene (rymkhene@gmail.com)

avant le : 15 juillet 2019

Réponses le : 22 juillet 2019

Remise des articles : 15 novembre 2019

Date de publication : mars 2020

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Pistes bibliographiques:

ALLOULA Malek, Le Harem colonial : Image d’un sous-érotisme, Genève, Paris, Editions Slatkine, 1981.

CARLIER Omar, L’Émergence de la culture moderne de l’image dans l’Algérie musulmane contemporaine (Alger 1880-1980), Société et Représentations, 2007/2 n°24.

CHOMINOT Marie, Guerre des images, guerre sans image. Pratiques et usages de la photographie pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), Insaniyat n° 39-40.

HANEY Erin, Photography and Africa, Londres, Reaktion Books, 2010.

LE LAY Maëline, MALAQUAIS Dominique, SIEGERT Nadine, Archive (re)mix : Vues d’Afrique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015.

PRUSSAT Margrit, Reflexions on the Photographic Archive in the Humanities, chapitre de Global Photographies, Transcript Verlag, 2018.

RAHAL Malika Les fêtes de l’indépendance. Inversion du regard et performance du corps, Morgan Corriou et M’hamed Oualdi. Une histoire sociale et culturelle du politique en Algérie et au Maghreb : études offertes à Omar Carlier sous la direction de Morgan Corriou et M’hamed Oualdi, 30 novembre 2018. .

RANCIÈRE Jacques, Le Destin des images, Paris, La fabrique, 2003.

SAID Edward, After the Last Sky : Palestinian Lives, New York, Columbia University Press, 1999 [1986].

SEDIRA Zineb, Telling stories with differences, Limited edition DVD, Manchester, Cornerhouse, 2004.

SICARD Monique (Dir.), « Photo-Graphies » GENESIS (Revue internationale de critique génétique), n°40, 2015. https://journals.openedition.org/genesis/1128

SICARD Monique, RIFFARD Claire (Dir.),  « Genèses photographiques en Afrique », Continents Manuscrits n°3, 2014. https://journals.openedition.org/coma/220 .

STORA Benjamin, La Guerre invisible Algérie, années 90, Paris, Presses de la fondation nationale des  sciences politiques, 2001.

SUCHET Myriam, L’Imaginaire hétérolingue : ce que nous apprennent les textes à la croisée des langues, Paris, Classiques Garnier, 2014.

THÉNAULT Sylvie, Travailler sur la guerre d’indépendance algérienne : Bilan d’une expérience d’historienne, Afrique et Histoire, 2004/1 vol.2.

VOGL Mary B, Picturing the Maghreb. Literature, Photography (Re)presentation, Oxford, Rowman & Littlefield, 2003.

WOODWARD Michelle, “Creating memory and history. The role of archival practices in Lebanon and Palestine”, Photographie, Volume 2, 2009.

ZAATARI Akram “Against Photography: Conversation with Mark Westmoreland”, Aperture, No. 210, Hello, Photography, Spring 2013.

 

 

[1] De nombreuses publications, livres, catalogues, carnet de voyages et cartes postales sont diffusées massivement en métropole notamment.

[2] Front de Libération Nationale.