Revue
Nouvelle parution
 Otrante n°25 : Hantologies : les fantômes et la modernité

Otrante n°25 : Hantologies : les fantômes et la modernité

Publié le par Florian Pennanech (Source : Raphaëlle Guidée)

Otrante n°25 : Hantologies : les fantômes et la modernité

Sous la direction de Raphaëlle Guidée et Denis Mellier
Éditions Kimé, Printemps 2009, 172 pages.


  • ISBN : 9782841744916
  • Prix : 20 €

Présentation de l'éditeur : 


À l'origine de ce numéro d'Otrante, une évidence : les fantômes sont omniprésents dans la littérature, le cinéma et l'art contemporains. Au-delà des territoires habituels du fantastique, ils apparaissent communément sous la plume des écrivains et sur l'écran des cinéastes pour désigner les métamorphoses de l'individu, les effets de retour de la violence historique, la magie blanche des techniques d'enregistrement du réel ou encore les paradoxes de la fiction. C'est désormais un lieu commun de désigner notre modernité comme hantée.
Or cette multiplication des rôles et des figures du fantôme se comprend mieux quand on la met en relation avec la prolifération simultanée de la métaphore spectrale dans l'élaboration des discours théoriques et critiques sur la modernité. Rejeté dans les temps révolus d'une histoire mythique ou dans l'ailleurs lointain des sociétés primitives, le fantôme se définit en marge de la modernité et pour ainsi dire contre elle. Et pourtant, la figure spectrale devient dans le même temps une métaphore centrale du discours historiographique, philosophique ou psychanalytique. On assiste ainsi à un curieux renversement, qui fait d'une fiction marginale – définie génériquement comme une sortie des territoires de la raison, et historiquement comme un contrepoids au triomphe de la rationalité des Lumières – un outil heuristique central pour penser et représenter les paradoxes de notre temps.
De Kierkegaard à Derrida, de Barthes à Didi-Huberman, ce numéro cherche à éclairer, mais aussi à critiquer, les présupposés théoriques de la mélancolie qui préside à l'apparition des fantômes dans les figurations littéraires du deuil (Nooteboom, Sebald, Heaney, Guyotat), dans la réception contemporaine du cinéma muet (Auster, Llamazares), ou encore dans l'évolution récente du western hollywoodien (Eastwood, Dominik). Définir la modernité comme un temps des fantômes, c'est donc s'ouvrir à la complexité d'un présent dans lequel se mêlent et s'hybrident des spectres de tous les temps et de tous les lieux, à la difficulté d'une histoire anachronique des formes et des êtres, à l'impureté d'une époque traversée par de multiples revenances. C'est alors sur le modèle d'une hantologie évidemment paradoxale et instable plutôt que sur celui de l'ontologie traditionnelle que l'on tente ici de définir le devenir inassignable du moderne.

Sommaire :

Raphaëlle GUIDÉE
La modernité hantée

Jean-François HAMEL
La ronde philosophique des fantômes. Pouvoir et puissance de la répétition

Henri GARRIC
Fantômes silencieux. Notes sur les ambiguïtés de la réception contemporaine du cinéma muet

Lucie CAMPOS
Traduction et hantise. Circulation et délocalisation des fantômes chez C. Nooteboom, W.G. Sebald, S. Heaney

Lionel RUFFEL
Spectralité et sacralité. Sur Coma de Pierre Guyotat

MEDIUM Nr. 6
Joanna Fiduccia to Amelia Earheart

François-Xavier MOLIA
Hantise du western. Images fantômes et deuil d'un genre

Guillaume ARTOUS-BOUVET
Apprendre à vivre enfin. Spectrographie de Jacques Derrida

Raphaëlle GUIDÉE
Conjurer les fantômes. Exclusion et retour des spectres dans les discours de la modernité

Carole KSIAZENICER-MATHERON
Le fantôme du texte : intertextualité et revenance fantastique (Wedekind, Thomas Hardy et Dostoïevski)

Raphaëlle GUIDÉE
Dialogue avec les fantômes : à propos de la revue MEDIUM

BIBLIOGRAPHIE

VARIA

Denis MELLIER
Le serial-killer et la nostalgie du grand récit : idéal d'interprétabilité et suspicion policière.

Notes de lecture

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Autre prière d'insérer:

La fiction contemporaine est le lieu d'un profond bouleversement dans le champ desétudes fantastiques. Car qui veut analyser les fantômes qui hantent la littérature depuis le début desannées 1980 se heurte à une confusion des genres inédite. A côté d'une littérature fantastiquetoujours prolifique, on voit désormais apparaître des fantômes sous la plume d'auteurs pluscanoniques, sans que personne ne songe pour autant à lire leur oeuvre dans le cadre générique deslittératures de l'imaginaire, ou à identifier dans ce phénomène la création d'un nouveau genre. C'estque, même en se limitant aux exemples les plus connus, on serait bien en peine d'identifier unequelconque communauté esthétique, ou plus modestement une signification commune desapparitions spectrales, chez des auteurs aussi différents que Paul Auster, Don DeLillo, Will Self,Salman Rushdie, Toni Morrison, W. G. Sebald, J. M. Coetzee ou en France Marie Darrieussecq,Marie Ndiaye, Jean Echenoz et Antoine Volodine.

Dans la tradition fantastique, les revenants venaient toujours dénoncer un certain ordre duréel. A l'inverse, dans ces récits contemporains, l'apparition des morts est d'autant moins perturbatricequ'elle semble communément admise par ceux qui en font l'expérience. Renversant l'effroifantastique, de nombreuses fictions contemporaines jouent même du sentiment de malaise suscitépar l'indifférence générale à la présence des revenants. En même temps que le fantôme perd sacapacité à marquer par l'effroi l'entrée dans le genre fantastique, le champ de ses significationssemble ainsi s'étendre : tour à tour figure des métamorphoses de l'individu contemporain, desrevenances de l'histoire, des magies de la technique ou encore des paradoxes de la fiction, lefantôme est désormais une figure polymorphe, apparemment susceptible d'incarner tous les rôles quela fiction lui prête.

Or cette multiplication des rôles du fantôme se comprend mieux quand on la met enrelation avec la prolifération simultanée de la métaphore spectrale dans l'élaboration des discoursthéoriques et critiques sur la modernité.

L'inflation des fantômes surnaturels et leur exclusion de la culture et de la littératuredominante sont donc paradoxalement contemporaines de ce qu'on pourrait appeler une forme denaturalisation du spectre, à mesure que celui-ci devient une métaphore commune de la conditionmoderne, une possibilité de la technique, et un élément omniprésent du personnel romanesque etcinématographique. On assiste ainsi à un curieux renversement, qui fait d'une fiction marginale –définie génériquement comme une sortie des territoires de la raison, et historiquement comme uncontrepoids au triomphe de la rationalité des Lumières – un outil heuristique central pour penser etreprésenter les paradoxes de notre temps.

Ce numéro de la revue Otrante cherche ainsi à rassembler, dans une perspectivepluridisciplinaire, des approches théoriques et critiques explorant ces nouveaux territoires du fantôme,et montrant en quoi ils reconfigurent la réception et l'écriture des fictions fantastiques traditionnelles.