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Météores (séminaire d'A. Ackerman, J.-M. Durafour et A. Somaini)

Météores (séminaire d'A. Ackerman, J.-M. Durafour et A. Somaini)

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : Jean-Michel Durafou)

METEORES

Séminaire dirigé par Ada Ackerman, Jean-Michel Durafour et Antonio Somaini, Premier semestre 2022 INHA, 2 rue Vivienne, 75002 Paris

La première des sources d’action sur les humeurs de l’âme humaine – écrit Hegel au début de la Philosophie de l’Esprit – c’est le temps qu’il fait, la météo du jour. La climatologie est la première éducation de l’homme. Symétriquement, on sait combien les aléas du climat ont influencé les arts visuels dans leur régimes historiques de représentation. Les peintres ont largement mis dans leurs images les faits climatiques ou géologiques qu’ils vivaient. Ainsi, les artistes hollandais n’auraient peint aucun de leurs célèbres hivers ni les peintres de glaciers, prospéré tout au long du XVIIIe siècle ou dans l’esthétique romantique, sans le petit âge glaciaire qui s’est abattu sur l’Europe pendant près de six cents ans et qui a connu son apogée entre 1600 et 1850. Plus ponctuellement, un tableau comme Le Cri (1893) d’Edvard Munch, au ciel si puissamment coloré, se donne comme le portrait d’un être humain hurlant sur fond d’un paysage de hauts fourneaux et de fumées industrielles se mêlant aux nuages et devenus indissociables de la nature environnante. Les périls que l’activité humaine démultipliée par la Révolution industrielle fait encourir à tout le système terrestre, même s’il fut longtemps marginalisé par la météorologie, est documenté par plusieurs savants dès la fin du XIXe siècle.

Aujourd’hui, nous vivons dans cette évidence. Depuis les débuts de ce qu’il est convenu d’appeler l’Anthropocène (gardons ce vocable dont notre séminaire a aussi pour but d’interroger les limites), tout s’est considérablement accéléré. La question n’est plus tellement celle du temps qu’il fait mais du temps qu’il reste. L’art (et se pose aussi en même temps la question de son propre impact écologique, comme c’est manifeste pour le cinéma qui a largement été une fabrique à acclimater le climat à ses fins figuratives) a joué un rôlevdécisif dans la le témoignage, volontaire ou non, du changement climatique et des différentes conséquences qui en découlent.

Ce séminaire vise à aborder comment les arts (art contemporain, vidéo, cinéma, spectacles théâtraux, etc.) ont représenté les bouleversements écologiques planétaires actuels (atmosphériques, climatologiques, animaliers), ses causes et ses effets, et cela depuis le début des années 1970 quand la question écologique a commencé à s'imposer de plus en plus. Quelles réponses les artistes tentent-ils d’apporter à ces transformations du monde ? Quels effets espèrent-ils induire ? Comment se conjuguent art et écologie ? Et quelles limites, quels défis les nouveaux problèmes écologiques soulèvent-ils en termes de représentation ? Cette problématique intéresse non seulement l’histoire de l’art et l’esthétique au titre de la création artistique et de la théorie des images, mais également de nombreux scientifiques pouvant trouver dans les arts la documentation fine et progressive d’un événement terrestre sans précédent.

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14/02/2021 (Salle Peiresc) – 16-18h

Ada Ackerman, Jean-Michel Durafour et Antonio Somaini

Présentation du séminaire

 Frédérique Aït-Touati

Maîtriser et détruire. Le retour des météores

Que sont les orages devenus ? ces météores qui passionnaient Bacon, Descartes, qui occupaient les scènes baroques et signalaient la maîtrise humaine des forces de la nature ? On tentera, lors du séminaire, un parcours allant du spectacle sublime d’une nature extérieure à nous, telle que la conçoit la science moderne, à un théâtre des éléments dans lequel nous sommes de nouveaux saisis. Ces éléments déchaînés que l’on redoute, que l’on admire, que l’on tente de maîtriser en les imitant, reviennent aujourd’hui sous la forme de catastrophes fabriquées par nous-mêmes, mais que l’on ne maîtrise plus. C’est cette inversion qui fait, en partie, le tragique de notre temps, et que l’on tentera d’aborder à travers un corpus théâtral, philosophique et scientifique.

 Frédérique Aït-Touati est metteure en scène et historienne des sciences au CNRS. Elle s’intéresse aux rapports entre arts et savoirs ainsi qu’aux théories du vivant et aux sciences du système Terre. Elle a notamment publié Contes de la Lune, essai sur la fiction et la science modernes (2011), et Terra Forma, manuel de cartographies potentielles (2019). Professeur à l’université d’Oxford de 2007 à 2014, elle dirige désormais le Master en arts politiques de Sciences Po (SPEAP).

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 14/03/2021 (Salle Peiresc) – 16-18h

Maria Stavrinaki

Qui est le maître ? Régimes météorologiques de l'art dans la modernité

 Saisir le temps dans ses changements infirmes a été depuis le 19ème siècle une preuve de maîtrise de la part du peintre et bientôt du photographe. Soumettre son œuvre aux caprices du temps était au contraire l’indice de la volonté de renoncer à sa puissance, à moins que ce soit aussi l’inverse. Depuis les années 1950 et dans le contexte de la Guerre froide, l’ambivalence de la maîtrise s’est posée à l’échelle climatique globale. Faire, au sens le plus propre, « la pluie et le beau temps » est devenu la mission de certains artistes à l’écoute de vastes projets gouvernementaux, tandis que d’autres se donnaient le rôle critique de l’enregistrement de données météorologiques dans leurs rapports avec l’histoire.

Maria Stavrinaki enseigne l'histoire et la théorie de l'art contemporain à l'Université Paris I Panthéon- Sorbonne. Elle travaille sur le croisement de l'art avec les sciences humaines et la pensée politique dans la modernité. Ses derniers travaux ont concerné l'invention moderne de la préhistoire et sa recherche actuelle porte sur l'âge atomique, ainsi que sur la constellation anti-historique de l'art et de la pensée des années 1950- 1960.

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 11/04/2021 (Salle Peiresc) – 16-18h

Gabriel Bortzmeyer

L’attrait des toilettes

S’il est vrai que l’écologie pose d’abord la question du destin des déchets, alors les toilettes représentent l’espace cardinal de toute réflexion s’inscrivant dans ces coordonnées. Lieu du secret (des fesses à l’air) et du refoulement (des selles à l’eau), cette zone dite « sainte » ou « d’aisance » n’en circonscrit pas moins la part maudite et inconfortable de l’humaine productivité : son reste informe, et son excès incompressible. Et bien que les périls d’aujourd’hui viennent d’autres types de gaz et de déjections plus toxiques, on peut hasarder l’hypothèse que le sort symbolique réservé aux cuvettes en dit long sur notre rapport à la merde globale. Leur rareté au cinéma, aussi, ne peut qu’interroger. Le voile jeté sur ces trous a pu être l’effet de certaines convenances, comme en témoigne l’histoire de la production de Psycho. Mais depuis, les toilettes sont d’autant plus convoquées que l’objectif s’écarte de la cuvette : les cinémas modernes et contemporains jouissent du trône pour mieux recouvrir la fosse.

Docteur en études cinématographiques de l’université Paris 8, Gabriel Bortzmeyer enseigne le cinéma et la littérature en classes préparatoires littéraires. Membre du comité de rédaction de Débordements depuis 2013, il a collaboré avec différentes revues à l'occasion de travaux portant pour la plupart sur les liens entre l'esthétique des films et des enjeux politiques et/ou écologiques. Auteur avec Alice Leroy d'un livre d'entretien avec Raymond Bellour, Dans la compagnie des œuvres (Rouge Profond, 2017), il a publié une version remaniée de sa thèse sous le titre Le Peuple précaire du cinéma contemporain (Hermann, 2020).

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16/05/2021 (Zoom) – 16-18h

Jennifer Fay

A Portal to Another World: Tsai Ming-liang's Climate Fiction

In April 2020, Arundhati Roy described the Coronavirus pandemic as « a portal, a gateway, between one world and the next ». We can either drag our ruined world (the « data banks and dead ideas, our dead rivers and smoky skies ») with us, or « walk through lightly » ready to create something new. Imagining a similar pandemic in 1998 but projecting it into a future, Tsai Ming-liang figured such a portal between worlds as a hole – The Hole – between apartments. It what might be an otherwise dystopic misery, here, as in all of Tsai’s film, there is still a minimal hospitality to come not through a break in the clouds, but a through hole in the ceiling large enough to fit a body without baggage. The revelation is an unforeseen intimacy between neighbors. In Tsai’s films, the crumbling mise en scéne, bad plumbing, water-logged apartments, and persistent rain conspire to evict characters from their homes and worlds (The Hole, Rebels of a Neon God, Goodbye Dragon Inn, and, above all, I Don’t Want to Sleep Alone). At once fantastic and utterly banal, the wet, wasted world of his movies projects the effects of rising tides and inclement weather events of the climate change emergency. But these are not films of despair. Tsai creates a post-catastrophic world full of possibility, as if proleptically filmed from other side of the coronavirus portal.

Jennifer Fay est professeure et occupe la chaire de Cinema & Media Arts à l’université Vanderbilt (Nashville). Elle est l’auteure de Theaters of Occupation. Hollywood and the Reeducation of Postwar Germany (Minnesota, 2008), Inhospitable  World. Cinema  in the  Time of the  Anthropocene (Oxford,  2018)  et  la  co-auteure avec with  Justus Nieland de Film Noir. Hard-Boiled Modernity and the Cultures of Globalization (Routledge, 2010).

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 13/06/2021 (Salle Peiresc) – 16-18h

Ada Ackerman

Les premières représentations picturales de la catastrophe de Tchernobyl : défis et enjeux

 Alors que la catastrophe de Tchernobyl constitue un événement majeur du 20ème siècle et un tournant dans la pensée écologique, tout un ensemble de représentations de cette catastrophe demeure à ce jour méconnu. Il s’agit de la production picturale contemporaine ou consécutive de quelques années à l’explosion du réacteur de la centrale, réalisée par des artistes résidant des zones proches de l’accident. On se concentrera durant cette séance sur ces images, qui révèlent les difficultés qu’ont dû affronter les artistes désireux de traduire visuellement un événement qui, à l’instar de plusieurs tragédies du siècle constituant des brisures épistémologiques, met en crise le domaine de l’art et de la représentation.

Ada Ackerman est chargée de recherches au CNRS (THALIM). Historienne de l’art, commissaire d’expositions et spécialiste du travail de Sergueï Eisenstein, elle s’intéresse aux relations entre le cinéma et les autres arts, aux transferts culturels entre l’URSS, l’Europe et les Etats-Unis, ainsi qu’aux imaginaires et représentations de l’intelligence artificielle.