Questions de société
Lettre du président de Nancy 2 à V. Pécresse.

Lettre du président de Nancy 2 à V. Pécresse.

Publié le par Marc Escola

Lettre adressée par le Président de l'Université de Nancy-II à Mme Valérie Pécresse.



Madame la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche




Madame la Ministre,

Votre courrier du 1er décembre dernier nous encourageait à diffuser largement le projet de décret modifiant le décret du 6 juin 1984 relatif au statut des enseignants chercheurs. Cette diffusion a été faite et le débat est largement ouvert au sein de la communauté universitaire de notre établissement.

Ce projet de décret suscite des réactions ou des positions allant d'oppositions radicales à des réserves parmi les représentants syndicaux et l'ensemble des enseignants et enseignants-chercheurs.

D'une manière générale, il apparaît que le projet de décret ne tient pas réellement compte de l'évolution récente et à venir du métier d'enseignants-chercheurs. Plus précisément problématiques sont mis en exergue:


La modulation des services
La reconnaissance des tâches d'animation collective des établissements
La constance des moyens humains
L'avancement des maîtres de conférences et la décentralisation des décisions


La modulation des services des enseignants-chercheurs.
Le texte prévoit une modulation entre les activités de recherche et d'enseignement. La modulation peut conduire à des situations irréversibles. Un enseignant-chercheur ayant une mauvaise évaluation en recherche se trouvera chargé d'un service d'enseignement plus important, réduisant ainsi sa capacité à reprendre une activité de recherche de qualité. Il serait souhaitable que la modulation au cours de la carrière soit favorisée et développée selon des modalités qui existent déjà, comme par exemple la délégation CNRS. Elle pourrait, dans le meilleur des cas, permettre un investissement administratif pendant la durée d'un mandat électif, et permettre également le retour à une activité de recherche et d'enseignement dans les meilleures conditions possibles. Si l'on admet que la modulation des services ne se fait qu'entre recherche et enseignement, l'une des lectures possible serait l'enseignement vu comme une sanction pour les chercheurs mal évalués. Or, l'enseignement est la moitié du métier des enseignants. Il doit le rester. Dissocier les enseignements d'une recherche de qualité n'est pas souhaitable dans une perspective de formation universitaire de qualité. La formation des étudiants et des futurs chercheurs ne doit pas être une activité de second rang. La richesse du système universitaire est justement de se nourrir de cette double compétence

La reconnaissance de l'investissement dans les tâches d'intérêt collectif.
La modulation des services comme mode de reconnaissance de l'investissement des enseignants-chercheurs dans des tâches collectives (administration, animation pédagogique ou de la recherche, le portage de projets par exemple) n'est pas prévue dans le texte. La limitation à la reconnaissance des chercheurs de haut rang est sans doute souhaitable mais n'est pas de nature à favoriser les mandats électifs et la prise de responsabilité dans les établissements. Le projet de décret, dans son état actuel, ne reconnaît pas réellement cet investissement de plus en plus important et nécessaire dans les universités. Le texte néglige donc une possibilité de reconnaître les tâches collectives comme une partie, parfois importante, de l'activité des enseignants-chercheurs. Le sujet est particulièrement sensible dans nos établissements dont le fonctionnement repose principalement sur le sens de l'intérêt collectif et la bonne volonté des intéressés. Le projet de décret néglige cet aspect de manière générale puisque d'une part il ne reconnaît pas d'autres missions que la direction d'UFR (direction de département, coordination pédagogique, enseignants référents), d'autre part il ne reconnaît ni les activités des directeurs de laboratoires, d'équipes d'accueil, ni celles des directeurs de Maisons de Sciences de l'Homme. Les missions d'administration des établissements sont, enfin, de plus en plus complexes et exigent des compétences nouvelles.

Le manque de moyens en personnel
La réforme du statut des enseignants chercheurs pourrait être assez ambitieuse pour développer un véritable investissement si les changements ne se faisaient à moyens humains constants. La modulation en faveur d'une recherche et au détriment des enseignements se fera à somme nulle et risque, a minima, de produire des ambiances délétères dans les établissements. De plus, la modulation des services, à moyens constants, ne saurait être une solution pour pallier le manque de moyens en enseignants-chercheurs et en BIATOS.

Le risque lié aux disciplines minoritaires
La décentralisation des décisions de progression de carrières, laissées à l'appréciation des établissements va également poser le problème des disciplines minoritaires dans les établissements, ou des disciplines ne correspondant pas aux axes de la politique scientifique de l'établissement. La logique d'une offre de formation large dans les régions ne serait donc plus à l'ordre du jour.

L'évaluation individuelle
Le caractère local de la modulation des services se fonde sur une évaluation nationale par le Comité National des Universités. Cette mesure soulève le problème de faisabilité d'un examen des dossiers individuels de l'ensemble des enseignants-chercheurs et, par conséquent, de la qualité de l'évaluation qui sera produite. De plus, si la nécessité d'une évaluation collective de la recherche n'est pas remise en question, les collègues ne voient pas l'évaluation individuelle comme moyen d'améliorer la qualité de la recherche produite.

Un traitement inéquitable de l'avancement des Maîtres de Conférences et des Professeurs

Le projet de décret prévoit, concernant l'avancement des professeurs, des possibilités d'avancement plus rapide que le décret de 1984. Toutefois, la lecture que les maîtres de conférences peuvent faire de ce texte conduit à s'interroger sur leurs possibilités d'avancement. La possibilité d'une progression plus rapide pour les jeunes maîtres de conférences est assortie d'une raréfaction des possibilités dans la suite de la carrière. Si l'on compte que nombre d'entre eux s'investissent dans l'accompagnement des étudiants des années de licences, dans la vie collective de l'établissement, cette mesure n'est pas de nature à les encourager dans cette voie.


Comme votre courrier nous y invitait, j'ai souhaité porter à votre connaissance le contenu des échanges relatifs au projet de décret.

Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en l'expression de mes respectueuses salutations.



François LE POULTIER

Président