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Les Institutions en Afrique : Passé, présent et avenir

Les Institutions en Afrique : Passé, présent et avenir

Publié le par Université de Lausanne (Source : Eugène Ebodé et Rabiaa Marhouch)

Rabiaa Marhouch, écrivain, éditrice, docteure en littérature française et comparée, chercheuse associée au laboratoire Rirra 21, université de Montpellier 3.

Eugène Ébodé, écrivain, docteur en littérature française et comparée, chercheur associé au Laboratoire Rirra 21, université de Montpellier 3.

                                                               Appel à contributions pour un ouvrage collectif sur le thème : 

                                                                          Les institutions en Afrique : passé, présent et avenir

Après la publication du livre collectif Qu’est-ce que l’Afrique ? Réflexions sur le continent africain et perspectives (Collection Sembura, La Croisée des chemins, Casablanca, 2021), préfacé par le professeur Abdeljalil Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, cet appel à contributions vise à poursuivre, en 2022, la moisson des idées pour une renaissance panafricaine. Le thème retenu est le suivant : « Les institutions en Afrique : passé, présent et avenir ».

Changer la perception de l’Afrique sur elle-même, tel est l’enjeu de la plateforme « Sembura », collection qui publiera cet ouvrage au Maroc. L’ambition poursuivie porte sur la libre conversation sur l’Afrique formulée par ses intellectuels, ses habitants, sa diaspora et des citoyens du monde. En inaugurant cet espace conversationnel par une interrogation liminaire « Qu’est-ce que l’Afrique ? », nous voulions reposer les bases d’un débat africain interpellant ceux et celles qui « ont l’Afrique au cœur et le cœur en Afrique », selon la trouvaille sans équivoque de Mme Rabiaa Marhouch[i].

L’objectif principal de l’ouvrage à venir sur les institutions en Afrique est de mieux faire connaître aux lecteurs en général et au public africain en particulier les institutions nationales, régionales, transnationales, voire internationales, qui ont régi, régissent ou régiront la marche du continent et la vie de ses populations. Certes, un principe de droit proclame que « nul n’est censé ignorer la loi », mais trois obstacles essentiels nous paraissent contrarier une bonne connaissance des cadres légaux, ritualisés ou consacrés par les Africains : la faible mobilisation du système éducatif pour les populariser, l’intérêt encore timoré des intellectuels pour en débattre, la complexité des instances concernées et les problèmes issus de la modification de ces instances, voire de leur insertion dans une Afrique bouleversée par diverses convoitises. Par ailleurs, la taille du continent et la diversité institutionnelle qui le caractérise sont un paramètre qui complique l’analyse comme la vulgarisation. Aussi, toute ambition de réduire les opacités et les méconnaissances dépend de la levée du brouillard institutionnel qui accentue la distance des citoyens africains avec leurs propres cadres institutionnels. L’exemple le plus évocateur de cette distance est celui des chartes fondamentales (constitutions) et des difficultés actuelles à les pérenniser, à les faire vivre sans heurts et à favoriser les modes d’adhésion, d’approfondissement, de création du droit par des décisions novatrices de cours constitutionnelles jouant réellement leur rôle afin de proposer des processus de préservation de la paix civile. Les chartes qui régissent nombre d’États africains semblent élastiques et précaires. Les populations le perçoivent bien et semblent indifférentes à des objets juridictionnels difficilement identifiables et instables. Des constitutions sans cesse modifiables et adoptées parfois à la sauvette contiennent et distillent un poison où qu’elles s’appliquent. Ce poison ne peut produire qu’une vie publique elle-même anémiée, soumise à de constants chahuts et vouée à une agonie programmée. 

L’Europe a connu, depuis la Grèce antique, les guerres médiques ou puniques, avant de basculer vers la constitution de grands empires : nordique, romain, russe, germanique, français, anglais, etc. Cette même Europe, sortant de ses oppositions, de ses confrontations avec l’empire ottoman, à cheval entre l’Europe et l’Asie, s’est lancée dans la conquête de l’Amérique provoquant des désastres : la saignée des peuples précolombiens puis celle de l’Afrique à travers l’esclavage. L’externalisation de sa puissance s’est ainsi faite au détriment de plusieurs continents, dont l’Afrique où nous assistons aujourd’hui, au vingt-et-unième siècle, à une grande dégradation de la notion d’État vue par l’Europe comme la forme la plus universelle de gouvernement. Cette dégradation dévoile une réalité implacable : la greffe des idées importées de l’Occident ne prend pas sur une histoire africaine niée et sur des populations spoliées, arrachées à ce qu’elles avaient adopté, établi et légitimé selon leurs us et coutumes. Les formes de l’État sont diverses et la question du meilleur gouvernement a mobilisé les penseurs du politique sans épuiser le sujet ; il est donc vain de croire que seule la forme républicaine de l’État est la voie unique à suivre par tous et partout. L’Afrique a connu des royaumes et des empires, avant l’ère dite moderne et avant la colonisation, même si leur historiographie n’a pas toujours été codifiée et strictement documentée en dehors de l’Égypte pharaonique. Sans qu’il soit nécessaire de remonter à l’époque d’Imhotep, disons que l’Afrique australe eut ses royaumes : Zoulou, Monomotapa, Sotho ou Swazi (devenu Eswatini). En Afrique de l’Ouest, citons, en dehors du Ghana, les royaumes du Mali, du Songhaï, de Gao, d’Abomey, du Kanem, de Kong (que l’on situerait autour de la Côte d’Ivoire actuelle et qui date du XIe siècle et où se côtoyaient Arabes, Berbères et Noirs). Quant à l’Afrique centrale elle a connu de multiples royaumes : Kongo, Kitara, Bouganda, Sokoto, Lounda, Rwanda, Burundi, Adamaoua, Mandara, Bamoum, Bamiléké, etc. 

Il ne reste aujourd’hui que trois monarchies en Afrique : le Maroc (monarchie constitutionnelle dirigée par le roi Mohammed VI), le Lesotho (monarchie constitutionnelle sous l’autorité du roi Letsie III) et l’Eswatini (monarchie absolue avec à sa tête le roi Mswati III). Trois monarchies et 49 républiques, tel est le sobre constat institutionnel de l’Afrique du XXIe siècle. À celui-ci, il conviendrait, pour une radiographie plus fine des régimes de l’Afrique actuelle, distinguer les États fédéraux des États centraux. Une autre distinction prendrait en compte les États unitaires différents de ceux déconcentrés de fait, ou régionalisés, voire sous partition masquée (nul besoin d’évoquer ici des États dont le contrôle du territoire et des frontières n’est qu’apparent, car ils sont en réalité sous tension et semi-contrôlés). À cette seconde distinction viendraient s’ajouter les États sous le contrôle des militaires et ceux dirigés par les pouvoirs civils. Autrement dit, l’Afrique peut ressembler, en ce qui concerne la macrostructure étatique, à un millefeuille institutionnel inédit. 

Les institutions sont des cadres d’équilibre garants d’une vie collective. Ce sont des conventions juridiques, politiques, cultuelles, culturelles, économiques et sociales que les peuples adoptent et par lesquelles s’organisent les interactions entre citoyens. Le but fondamental de toute organisation civile et communautaire, à caractère protocolaire ou régie par un ordonnancement codifié, réglementé ou non écrit, est le mieux-vivre collectif. En effet, aucune nation ou collectivité n’a proclamé qu’elle se constituait dans le but de son autodestruction. En Afrique, du XIXe au XXe siècle, une tectonique des plaques institutionnelle a fragilisé le continent. Aujourd’hui, à quel type d’organisation adaptée à la culture africaine les institutions doivent-elles correspondre ? Comment faire émerger une Afrique libérée de l’injonction à se conformer à un universalisme étriqué ? Comment vaincre la perpétuelle rumination de l’instabilité institutionnelle en Afrique ? Comment dépasser la déploration qui consiste à penser que l’Afrique dispose d’hommes forts mais regorge d’institutions faibles, selon le constat amer qu’en fit Barack Obama, 44e président des États-Unis ? 

Le grand écrivain Kateb Yacine, en disant : « L’Algérie est un pays qui n’a pas fini de venir au monde », mentionnait, dans une formule volontiers abrupte, une situation applicable à la plupart des États africains issus de la décolonisation. Par extension, nous pourrions dire tant une conscience continentale tarde à naître : L’Afrique unie n’a pas fini de venir au monde.

Les suggestions suivantes peuvent servir d’axes de réflexion : 

·       Les structures fondamentales que l’Afrique a connues avant la colonisation, celles dont elle a hérité après la chute de ses royaumes, de ses empires et les bouleversements des cadres institutionnels à l’issue du congrès de Berlin d’une part, et après les indépendances du XXe siècle, d’autre part.

·       Les institutions et structures africaines témoins du génie des Anciennes et des Anciens, des apports extérieurs et de l’installation de populations issues de l’expansion arabo-musulmane. Parmi ces institutions, dont certaines ont disparu tandis que d’autres ont perduré par-delà les vicissitudes du temps et les saccages de la colonisation, on peut citer : les instances juridictionnelles ou de socialisation, les conseils des sages, les zawiyas, les organes délibérants ou de représentation, les cercles éducatifs, les autorités de proximité, les foyers de transmission de l’histoire par l’oralité, etc.

·       Les institutions supranationales comme l’Union africaine et ses organisations transnationales ou régionales. Comment doter l’Union africaine d’une dimension multilatérale afin d’assurer une meilleure concorde des nations africaines ? Sur ce point, les analyses pourront examiner la macrostructure, en clair l’État national et les transferts de compétences vers l’UA, reformatée et retaillée pour une nouvelle dynamique panafricaine.

·       Les institutions féminines d’avant la colonisation et celles d’après les indépendances comme l’Organisation panafricaine des femmes africaines créée par Awa Kéita.

·       Et comment ne pas réfléchir aussi à un système interafricain chargé de la « remigration », afin que le continent redonne une seconde chance à ceux des siens qui ont été tentés par une émigration périlleuse ? Elle transforme depuis trop longtemps déjà la Méditerranée en un cimetière marin de jeunes gens abusés par les scintillements de l’Occident.

·       Les institutions à venir sur : 

– la défense et les sécurités collectives,

– l’éducation et la santé,

– le patrimoine culturel et les lieux de mémoire vus comme un patrimoine de l’humanité,

– la propriété intellectuelle et les droits d’auteurs, 

– les richesses du sous-sol et le patrimoine matériel ou immatériel à protéger,

– le droit des fleuves, des forêts, des déserts vus comme de nouveaux sujets de droit dont la personnalité juridique doit être mieux promue et défendue pour la préservation de la diversité du vivant,

– la revendication d’une refonte du conseil de sécurité de l’ONU afin de donner une place à l’Afrique, continent d’un milliard deux cent mille habitants et qui devrait avoir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies. 

Ces réflexions autour des institutions africaines anciennes, actuelles et à venir pourront englober plusieurs domaines : spirituel, familial, éducatif, sportif, monétaire, justice traditionnelle, justice restaurative, économie circulaire, défense collective, environnement, diplomatie, etc.

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Les propositions d’articles en français, d’une longueur de 15 000 signes et caractères, y compris les références bibliographiques, sont à envoyer aux adresses suivantes : collectionsembura@gmail.com, eugeneebode@gmail.com 

Merci d’ajouter à votre envoi une courte biographie. 

Le public visé : grand public. 

La date limite de soumission des textes est fixée au 15 mai 2022.

N.B. La collection « Sembura » est également ouverte aux textes de fiction, tous genres littéraires confondus, qui ont pour cadre l’Afrique et ses réalités. Les manuscrits sont à envoyer à l’adresse suivante : collectionsembura@gmail.com 


 
[i] Allocution de Rabiaa Marhouch prononcée le 17 novembre 2021 à l’Académie du Royaume du Maroc.