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Le Japon et ses doubles. Étude et représentation des territoires japonais et de leur aménagement à travers les arts et la littérature

Le Japon et ses doubles. Étude et représentation des territoires japonais et de leur aménagement à travers les arts et la littérature

Publié le par Maxime Berges (Source : Amira Zegrour)

Le Japon n’existe pas n’est pas que le titre provocateur du premier roman d’Alberto Torres-Blandina, ou la parabole du simulacre que sont devenus les territoires plongés dans un état généralisé de compétition économique qui substitue leur imaginaire marketing à leur réalité matérielle. C’est aussi l’affirmation d’un constructivisme, à savoir que les pays et les territoires sont des réalités sociales avant que d’être des principes de réalité matériels ou naturels ; ils sont des constructions avant d’être des évidences. Pris dans le tourbillon excessif du postmodernisme, les territoires sont devenus à ce titre des morceaux d’hyper-réalité, où l’image prend le pas sur la pure matérialité de ce qui est, et tend à réduire l’espace à ce qui se voit, puis à ce qui se perçoit et enfin à ce qui se représente. Dans l’économie de l’attention, l’hyper-réalité a ainsi remplacé l’espace tel qu’il est par ses représentations qui font du réel ce qui advient au regard d’un référant imaginaire aux conséquences pourtant bien concrètes : à ce titre, le mythe littéraire et artistique, pris dans un sens très large, modèle le réel à son image, quand il ne s’y substitue tout simplement pas dans le refus, le dégoût ou le déni de réalité. Au Japon, le processus fonctionne particulièrement bien – d’où le choix d’Alberto Torres-Blandina de faire porter son roman dessus – y compris dans les mythes historiques de ses origines.

Pourtant, au cœur de l’inflation postmoderniste, tout principe de réalité, tout effet de structure, toute résistance de la matérialité n’ont pas disparu. Pour le dire autrement, l’aménagement et les interventions sur la structuration des territoires ne sont pas seulement les fruits d’une sphère auto-référente de signes, d’images et de représentations : la granulométrie de l’espace, ses enjeux, ses contraintes et ses (im)possibilités imposent aussi aux mythes, aux lettres et aux arts, des inflexions qui sont celles de la contingence de l’espace réellement aménagé – et de ses transformations. Ainsi, l’évolution des mythes et les dynamiques territoriales sont-elles co-construites, parfois très lentement, parfois poussées par les accidents de l’histoire ou l’accélération des sociétés. Si les territoires résultent de constructions mentales à la fois individuelles et collectives qui empruntent à la production littéraire et artistique une partie de leur substance, cette dernière n’est pas totalement extérieure à leur matérialité pure. Comment l’intense production littéraire et artistique japonaise influe-t-elle sur l’aménagement du Japon et de ses territoires ? Comment cet aménagement en retour influe-t-il sur la production littéraire et artistique japonaise ?

Ce numéro spécial de la revue Ebisu. Études japonaises s’intéresse à l’hypothétique valeur heuristique et à la tout aussi hypothétique dimension performative que jouent les représentations artistiques et littéraires, voire les mythes, dans la fabrique des territoires japonais et l’évolution des logiques et des principes de leur aménagement. Inversement, ce numéro cherche aussi à mesurer et analyser l’impact qu’aurait la dynamique d’aménagement des territoires sur la production artistique et la littéraire japonaise, voire sur l’inflexion possible des grands mythes qui les structurent.

Axes thématiques

Cet appel invite en particulier les contributeurs et contributrices à réfléchir à cinq grands axes :

  • Perspective esthétique critique : la représentation littéraire et artistique des territoires

Comment sont dits, décrits, représentés voire critiqués les territoires japonais et leur aménagement dans les productions artistiques et littéraires japonaises, voire étrangères portant sur le Japon ? Comment, à l’inverse, les nouveaux aménagements (comme le grand mur de béton du Tōhoku), les transformations des aménagements existants (l’accident de la centrale de Fukushima et les réflexions postnucléaires du parc énergétique nippon), voire les nouvelles politiques ou idéologies aménagistes influencent-ils la littérature et les arts japonais ? De façon plus générale, que nous apprennent de l’évolution de la société japonaise ce que les arts et la littérature nous disent des territoires japonais et de leur aménagement ?

  • Perspective opérationnelle : le tournant narratologique de l’aménagement

Depuis une vingtaine d’années, le tournant néolibéral de l’aménagement a mis un terme aux politiques de planification économique et spatiale, conduisant à l’émergence d’une fabrique des territoires par projets, rendant nécessaire de trouver de nouvelles logiques de coordination, d’intégration et d’adhésion populaire : de là procède le tournant narratologique de l’aménagement et le renforcement de la place des grands récits dans les opérations d’intervention sur les territoires. Quels sont les grands récits qui structurent l’aménagement et la production de l’espace (ou des espaces) japonais, et quels liens entretiennent-ils avec les arts et la littérature ? Comment la littérature grise opérationnelle se positionne-t-elle vis-à-vis de la production artistique et littéraire ? Comment le péritexte, l’hypertexte, le paratexte voire l’hypotexte de l’aménagement s’inscrivent-ils dans de nouvelles logiques transtextuelles et transmédiales qui mobilisent à des niveaux différents et selon des modalités diverses les arts et la littérature ?

  • Perspective scientifique d’une épistémologie réflexive : écarts, influences et apports croisés entre art, littérature et productions scientifiques portant sur l’aménagement des territoires

L’aménagement n’est pas qu’un acte d’intervention sur un territoire : c’est aussi un champ d’expertise producteur de savoirs, voire une discipline académique à part entière – le statut est encore âprement débattu. Dans quelles mesures les écrits académiques reflètent-ils les sensibilités artistiques et la performativité des mythes et des représentations littéraires et artistiques que leurs auteurs souhaiteraient retrouver dans les principes de réalités qu’ils étudient ? Pour le dire autrement, dans quelles mesures la production académique est-elle possiblement influencée par les grands mythes auxquels adhèrent et que souhaitent voir advenir, consciemment ou non, honnêtement ou non, les scientifiques analysant les logiques d’aménagement et de structuration du Japon et de ses territoires ? Inversement, en quoi les écrits savants sur l’aménagement japonais influencent-ils les mythes existants, voire en génèrent-ils de nouveaux ?

Cet axe insiste en particulier sur la dimension réflexive de celles et ceux qui produisent du savoir sur l’espace japonais au regard des représentations que celles et ceux qui « fantasment » l’espace dans l’art et la littérature produisent et diffusent. Autrement dit, c’est la porosité voire la distorsion entre constructions scientifiques et constructions littéraires et artistiques des discours et des représentations sur l’espace japonais que l’on cherche ici à mesurer, à analyser et à discuter, en partant du postulat qu’en dehors de catégories mentales socialement construites, le réel (l’objet des sciences) et ses analyses n’existeraient pas. Cet axe concerne toute discipline portant de près ou de loin sur l’espace et les territoires japonais (à savoir, la géographie, l’urbanisme, l’histoire, l’économie, l’anthropologie, la sociologie, les sciences politiques, la philosophie, l’ethnographie…).

  • Perspective méthodologique et technique : la structure des véhicules du réel, les dispositifs artistiques et la nature des régimes de production de l’espace

Depuis au moins Walter Benjamin, une relation étroite a été établie entre les techniques de reproduction des images et la nature des régimes politiques. Dans quelles mesures et en quoi les supports, les techniques et les formes artistiques et littéraires mobilisés dans les représentations des territoires japonais impactent-ils les modalités de leur aménagement et, au-delà, les régimes politique et économique de leur production et de leur exploitation ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité au Japon que le pays est leader dans l’industrie du numérique, ce qui a des conséquences fortes en termes de visualisation digitale des territoires, ou encore sur les modalités de diffusion des images du Japon – ce sur quoi surfent en grande partie les acteurs du Cool Japan, qui n’est pas sans relation avec la croissance récente du tourisme et de la consommation d’espace au Japon. Dans une perspective plus vaste, en quoi la nature des supports et la structuration des dispositifs de production et de circulation des représentations artistiques et littéraires de l’aménagement et de l’espace impactent-ils les régimes politiques japonais (passés ou actuels) ?

  • Perspective institutionnelle : 100 ans de réflexion et d’échanges, le rôle des arts et des lettres dans l’aménagement de la Maison franco-japonaise (et inversement)

Le 7 mars 1924, Eiichi Shibusawa, le père de la modernisation économique du Japon, et Paul Claudel, célèbre poète alors ambassadeur de France au Japon, créaient la Maison franco-japonaise (MFJ). Dédiée aux échanges culturels entre la France et le Japon, mais aussi porte d’entrée de la culture française dans l’Archipel, l’institution est un haut-lieu matériel et immatériel des relations franco-japonaises au Japon. En cela, la MFJ est à la fois le produit d’une idée où viennent se confronter des représentations et des identités multiples, et un espace physique qui conditionne en partie l’accès et l’expression en ses murs de ces représentations. Quel rôle cet espace matériel et immatériel a-t-il joué dans la diffusion de la représentation des territoires français dans la littérature et les arts du Japon et dans celle de la représentation des territoires japonais dans la littérature et les arts français ? Quel rôle ces représentations ont-elles eu sur la fabrique matérielle de la MFJ, son évolution, mais aussi plus largement sur la production d’espaces en France et au Japon ? Autrement dit, dans quelles mesures la Maison franco-japonaise a-t-elle été le lieu d’un échange, d’un passage, voire d’une hybridation, des représentations artistiques et littéraires de l’espace et de l’aménagement japonais en France et français au Japon ? Dans quelles mesures aussi constitue-t-elle un espace ou un dispositif à la fois producteur de récits, produit par des récits ou faisant l’objet de récits littéraires ou artistiques ? Ce dernier axe s’inscrit dans la perspective du centenaire de l’existence et des activités de la Maison franco-japonaise de Tokyo, et recontextualise au regard d’une dynamique institutionnelle majeure les quatre axes précédents de l’appel.

Cet appel concerne les arts et la littérature dans une acception volontairement très large. Tout type de production artistique est ici concerné : les beaux-arts, le cinéma, la poésie, la bande dessinée, la littérature de consommation, les anime, les mangas, le théâtre, l’opéra, les marionnettes, la musique, la danse, l’architecture, les arts contemporains ou numériques… et jusqu’à des formes d’artisanat participant de la production d’images, d’imaginaires, de discours et de perceptions sur l’espace, les territoires et l’aménagement – ainsi en va-t-il de la poterie, de la mode, des paravents, des lanternes, des timbres-poste...

Modalités de soumission

Les propositions d’article seront envoyées par e-mail, sous forme de fichier attaché (.doc ou .docx), aux adresses suivantes : ebisu[ajouter @]mfj.gr.jp et languillon[ajouter @]mfj.gr.jp

Avant le 1er septembre 2022

Elles seront composées d’un titre provisoire, d’un résumé de 800 signes maximum, d’une biographie de chaque contributeur et contributrice accompagnée de leur nom, leur rattachement institutionnel et leurs adresses électronique et postale. Elles devront également faire figurer la liste des sources de financement de la recherche et une bibliographie indicative.

Instructions aux auteurs

Les articles seront d’une longueur maximale de 50 000 signes. Lire attentivement les consignes indiquées ci-dessous : https://journals.openedition.org/ebisu/1057

Nous vous rappelons par ailleurs que la revue Ebisu. Études japonaises, fondée en 1993 et éditée par l’Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise de Tokyo (Umifre 19, MEAE-CNRS), publie également des varias sur divers sujets, reçus de manière spontanée et dans leur forme définitive.

Veuillez noter que nous ne prendrons en compte que les articles issus de travaux privilégiant les sources japonaises.

Tout article proposé à la rédaction d’Ebisu, après examen par le comité de rédaction qui vérifie s’il relève bien du domaine de la revue et s’il est d’une bonne tenue rédactionnelle, est soumis à une évaluation anonyme auprès de deux referees extérieurs.

Calendrier

  • Date limite d’envoi des propositions d’article : 1er septembre 2022
  • Date limite d’envoi des articles : 15 avril 2023
  • La publication du numéro spécial est prévue pour 2024.

Responsable du dossier

Raphaël Languillon-Aussel est chercheur à l’Institut français de recherche sur le Japon, à Tokyo, ainsi que chercheur associé à l’université de Genève et à l’université de Strasbourg. Normalien, agrégé de géographie et docteur en aménagement, il mène des travaux sur les relations entre les dynamiques d’urbanisation, la nature des régimes politiques qui en assurent le cadre légal et l’évolution des régimes capitalistiques qui président aux logiques d’accumulation du capital. Il a à ce titre réalisé une thèse sur la renaissance urbaine à Tokyo défendue en 2015 à l’université Lumière Lyon 2, sous la direction de Philippe Pelletier. Il a également publié Les Japonais, paru aux éditions Atelier Henry Dougier en 2018.

Pour plus d’information, voir la page dédiée :

https://www.mfj.gr.jp/recherche/equipe/chercheurs/raphael_languillon-aussel/

Comité de rédaction

  • Gilles Campagnolo,
  • Guillaume Ladmiral,
  • Raphaël Languillon-Aussel,
  • Sébastien Lechevalier,
  • Adrienne Sala
  • Bernard Thomann,
  • Amira Zegrour