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Le frère du roi en Europe (XVe-XVIIe siècles)

Le frère du roi en Europe (XVe-XVIIe siècles)

Publié le par Marc Escola (Source : Marion Duchesne)

Le frère du roi en Europe (XVe-XVIIe siècles)

Colloque organisé par Marion Duchesne (ERLIS EA 4254)

les 24 et 25 juin 2021 à l’Université de Caen Normandie

Appel à communications

 

« The closer princes were to succession, the more their presence would be experienced as a threat. However, they were also the ideal candidates for missions requiring the prestige of a sovereign »[1]. Par ces mots, J. Duidam met en évidence l’ambiguïté de la position du prince cadet au sein des dynasties royales. Celle-ci s’explique par la nature du système politique qu’est la monarchie héréditaire, perçue comme le meilleur des gouvernements. En effet, les traités politiques médiévaux et modernes plébiscitent le gouvernement d’un seul – l’unité relevant du divin –, et défendent la supériorité du sang royal en tant que transmetteur des vertus ancestrales. Issus des mêmes parents et partageant donc le même sang, les fils du roi possèdent des prétentions égales à la couronne, uniquement hiérarchisées par les droits d’aînesse et de représentation. La menace que constituent les cadets prend alors tout son sens : la stabilité du royaume dépend de leur ambition et des potentiels appuis qu’ils peuvent rencontrer parmi la noblesse séditieuse.

Néanmoins, et paradoxalement, les puînés royaux incarnent les piliers les plus solides de la monarchie héréditaire[2]. En effet, leur première fonction – la plus prosaïque et la plus évidente – consiste à assurer la succession au trône et la continuité dynastique jusqu’à ce que l’aîné donne naissance à sa propre lignée. Le cadet est donc une garantie contre l’infertilité du couple royal ou contre la mortalité infantile qui fait des ravages parmi les petits princes, et en tant que tel, il évolue dans un non-lieu définitionnel, un entre-deux entre la royauté dont il provient et la noblesse dans laquelle s’intègrera sa descendance. Si c’est moins le cas en France où les princes du sang représentent une sorte de catégorie intermédiaire entre les deux, cela est particulièrement vrai en Espagne où la loi salique n’est instaurée qu’au début du xviiie siècle, ce qui éloigne plus encore les frères de roi de la couronne.

Le cadet incarne donc un roi en puissance, mais la virtualité de ce statut n’est levée qu’à la condition que l’aîné et ses descendants disparaissent. D’ailleurs, l’universelle réalité de la condition de « celui qui est né après l'aîné, qui est le deuxième »[3] ne peut être actualisée dans de nombreuses langues (anglais, espagnol, italien, par exemple), car elles ne disposent pas des vocables équivalents aux mots français « cadet » ou « puîné »[4]. On comprend alors les tensions qui règnent entre intérêts dynastiques et intérêts individuels. Le cadet peut-il exister en servant le roi son frère ? N’est-il pas condamné à revêtir l’habit du traître pour se réaliser ? Quels espaces – symboliques et réels – la monarchie peut-elle réserver à ses puînés pour les satisfaire, et ce, sans danger pour elle-même, tout en retirant le meilleur profit ?

La prolifique production engendrée par le courant des Genders studies a permis de combler de nombreuses inconnues quant au rôle exercé par les femmes au sein des dynasties royales, et notamment celui des sœurs de roi, mariées à l’étranger et reines à leur tour, déchirées par leur double loyauté, et souvent à la tête de puissants réseaux d’influence informels. Quant aux frères de roi, si le parcours vital de certains d’entre eux nous est bien connu grâce à divers travaux monographiques, il n’existe pas de réflexion générale qui leur soit consacrée en tant que représentants d’un statut complexe par son indétermination, sa marginalité et son ambigüité. En effet, les enjeux que recouvre le statut du puîné royal dépassent les anecdotiques rivalités entre germains, qu’il ne faudrait pas examiner sous le prisme d’analyses psychologiques anachroniques, car c’est bien aux fondements de l’appareil d’Etat monarchique qu’ils se jouent.

Cette réflexion pourra être étendue aux frères illégitimes de roi – que l’infamie de la naissance n’éloigne pas des jeux de pouvoir – tels que don Juan d’Autriche et don Juan José d’Autriche, respectivement frères bâtards de Philippe II et de Charles II de Habsbourg, les demi-frères de Louis XIII ou encore, bien que légèrement postérieurs à notre période, les « légitimés » de Louis XIV.

Axes de réflexion :

Axe 1. Eduquer le frère du roi : Le monde de l’enfance – où le concept de hiérarchie n’est pas inné, mais construit – est dominé par l’affect. Comment transforme-t-on ce monde ordonné horizontalement pour y instaurer un principe de verticalité ? Existe-t-il un rapport privilégié entre le roi et son aîné ou au contraire un traitement indifférencié entre tous les fils ? L’aîné et les cadets reçoivent-ils la même éducation selon un principe préventif qui envisage la mort du premier et, donc, sa substitution par le second ?

Axe 2. Conceptualiser le statut et la fonction du frère du roi : Comment justifie-t-on la supériorité de l’aîné sur le cadet alors qu’ils partagent le même sang ? Selon les miroirs du prince et les épîtres dédicatoires adressées aux personnes royales, qui dressent la liste de leurs vertus, qu’est-ce qu’un « bon » frère de roi, et quelles doivent être ses fonctions ? Dans le protocole et les cérémonies qui constituent un discours performatif et visuel de l’ordre juridico-politique en vigueur, quelle est la place assignée au puîné ?  Ce dernier peut contribuer à conceptualiser son statut, notamment en cas de rébellion contre le roi, comme c’est le cas pour Gaston d’Orléans. Quels sont les discours construits pour légitimer la désobéissance ?                                                                                                               

Axe 3. Etablir et utiliser le frère du roi au service de la monarchie : En France, les apanages sont perçus comme un dédommagement concédé aux puînés en compensation de leur renoncement à la succession au trône[5]. Quelles sont les ressources mises à la disposition des cadets dans le reste de l’Europe, notamment lorsqu’ils sont nombreux comme c’est le cas dans le Saint-Empire germanique ? Les infants Charles et Ferdinand de Habsbourg, frères de Philippe IV, moururent, respectivement à 25 et 32 ans, sans avoir contracté d’alliance matrimoniale, créant ainsi les conditions qui permirent l’arrivée sur le trône espagnol de la dynastie de Bourbon au début du siècle suivant. Quelles sont les politiques matrimoniales appliquées aux frères du roi ? Quel juste milieu la monarchie peut-elle trouver pour protéger ses intérêts présents et futurs, et ménager ceux de ses puînés ?

Axe 4. Représenter le frère du roi : L’activité de mécénat de Gaston d’Orléans nous est connue grâce aux travaux de P. Gatulle[6] ; de même, de nombreux travaux ont été consacrés aux activités de Rubens au service du Philippe IV et de son frère, le Cardinal Infant. Quelles images littéraires, iconographiques, numismatiques du frère du roi sont-elles diffusées ? Les représentations issues du pouvoir et les représentations parrainées par les frères du roi concordent-elles, ou au contraire, défendent-elles des idéologies différentes ?

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Quelques références bibliographiques

AURELL, Martin (ed.), La Parenté déchirée : les luttes intrafamiliales au Moyen Âge, Belgique, Brepols, 2010.

DUINDAM, Jeroen, Dynasties: A Global History of Power, 1300-1800, Cambridge, Cambridge University Press, 2016.

GARCÍA HERNÁN, David, “El valor de la sangre: marco teórico, representación cultural y realidad social” dans Monarquías en conflicto. Linajes y noblezas en la articulación de la Monarquía Hispánica, José Ignacio Fortea Pérez, Juan Eloy Gelabert González, Roberto López Vela, Elena Postigo Castellanos (coord.), Madrid, Fundación Española de Historia Moderna, 2020.

JOHNSON, Christopher H. and SABEAN, David Warren (ed.), Sibling Relations and the Transformations of European Kingship, 1300-1900, New York ; Oxford : Berghahn books, 2011. 

SEGALEN, Martine, RAVIS-GIORDANI, Georges (dir.), Les Cadets, Paris, CNRS Editions, 1994. 

STEINBERG, Sylvie, Une tache au front. La bâtardise aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Albin Michel, 2016. 

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Modalités de soumission des propositions

Les propositions de communication (en français ou en espagnol) devront être envoyées au format PDF et comprendre un titre provisoire, un résumé d’environ 500 mots et une brève notice bio-bibliographique du communicant. Elles seront à faire parvenir à marion.duchesne@unicaen.fr avant le 20 janvier 2021.  

Le comité scientifique répondra aux propositions avant le 20 février 2021.

Les communications (en français ou en espagnol) ne pourront dépasser 30 minutes.

La publication des actes du colloque est prévue.

L’hébergement et les repas des intervenants, mais non les déplacements, seront pris en charge par l’organisation du colloque.

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Comité scientifique

Fanny Cosandey

Sylvène Édouard

Manuela Águeda García-Garrido

Michèle Guillemont

Alexandra Merle

Fabrice Micallef

Hélène Thieulin-Pardo

 

 

 

[1] DUINDAM, Jeroen, Dynasty: A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2020, p. 23. 

[2] Nous pouvons inclure dans cette réflexion les monarchies électives qui, généralement, suivent une logique héréditaire.  

[3] https://www.cnrtl.fr/lexicographie/cadet

[4] SEGALEN, Martine, RAVIS-GIORDANI, Georges (dir.), Les Cadets, CNRS Editions, Paris, 1994, p. 11.

[5] DEROCHE, Alexis, L’apanage royal en France à l’époque moderne, Paris : éditions Panthéon-Assas, 2013, p. 9.

[6] GATULLE, Pierre, Gaston d’Orléans. Entre mécénat et impatience du pouvoir, Seyssel, Champ Vallon, 2012.