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Le désir de belle radio en France aujourd’hui. Acte 1 : la fiction radiophonique des années 2000 et 2010 (Univ. Paris 8)

Le désir de belle radio en France aujourd’hui. Acte 1 : la fiction radiophonique des années 2000 et 2010 (Univ. Paris 8)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Pierre-Marie Héron)

Le désir de belle radio en France aujourd’hui

Acte 1 : la fiction radiophonique des années 2000 et 2010 

10 et 11 décembre 2020, Université Paris 8

 

La radio est un média souvent minoré et un terrain de création peu exploré alors que, suivant une étude récente, elle reste le média préféré des Français. La France est même l’un des pays les plus radiophoniques d’Europe. Huit français sur dix parmi les plus de treize ans[1] l’écoutent quotidiennement. Au-delà des formats standards, qui rejoignent ceux des émissions télévisées, s’y déplient des écritures originales et souvent hybridées. Ces créations littéraires et artistiques interpellent les auditeurs en captant leur attention parfois plusieurs heures durant. Leur réception reste pourtant discrète : la radio n’est pas à proportion du théâtre dans le spectre des loisirs et spectacles français et ses programmes artistiques citent peu d’échos au sein de la critique. Pourtant, un regard sur les chiffres le montre, les écritures radiophoniques se portent plutôt bien : en France, où les subventions sont modestes, on arrive malgré tout à une centaine de nouvelles créations par an. La radio continue à inspirer dramaturges, poètes, écrivains et/ou compositeurs. Les usages numériques de l’écoute se sont par ailleurs démultipliés avec la possibilité du podcast et l’essor de plateformes audio. Celle-ci accroissent la disponibilité des créations pour l’oreille, en s’adaptant aux temporalités contemporaines de disponibilité mentale et temporelle. Le podcast accompagne et revivifie le plaisir de la rencontre aurale, et la découverte d’une autre littérature orale.

Toutefois le récent manifeste des Sons Fédérés, publié en février dernier à l’occasion du Festival Longueur d’ondes, alerte sur les dérives industrielles de la production sonore en ligne, liée à la montée en puissance des intérêts d’argent dans le secteur des podcasts audio, un marché de 4 millions d’internautes actuellement (sondage Médiamétrie). Les Sons Fédérés dénoncent, chez les acteurs de ce nouveau marché (dont plusieurs managers sont d’anciens cadres et hauts dirigeants du public) « une récurrente méconnaissance de l’histoire de la radio et des expressions sonores les plus diverses », et, dans les productions de leurs studios, une « standardisation des formats d’écriture sonore au profit d’une manière de raconter des histoires centrées sur une voix narrative (storytelling promu par le podcast nord-américain) », qui contribue à une « standardisation de l’écoute ».

Mais les choses ne sont pas si simples dans les rapports entre création, institutions et marché. Robert Desnos n’avait-il pas, dans un article fameux de 1942[2], rendu hommage aux stations privées des années 1930, aux mains des grands groupes de presse, comme ayant été de hauts lieux d’invention sur les ondes de la « belle radio » ? Et durant l’après-guerre, au sein de la radio d’État et avec Paul Gilson (directeur des programmes artistiques de l’ensemble des chaînes jusqu’en 1963) et Jean Tardieu (animateur du Club d’Essai), une « belle radio » ne s’est-elle pas épanouie dans toutes les directions, du divertissement à la poésie, sans snobisme élitiste et sans bouder par exemple des veines dramatiques aussi populaires que le polar, le fantastique et la science-fiction ? De 1969 à 2011, la belle radio a su exister notamment à l’Atelier de création radiophonique conçu par l’immense Alain Trutat. Dans les années 80, elle s’est épanouie à quantités d’endroits, dans les effervescentes radios libres comme sur les ondes de Radio France, avec notamment, sur France Culture, les Nuits magnétiques (1978-1999) du poète Alain Veinstein. Au début des années 2000 enfin, la belle radio a continué d’exister un peu partout mais notamment à Arte Radio, la première webradio française, imaginée en 2002 par Arte France pour des raisons modestement journalistiques (proposer des débats prolongeant les soirées Thema d’Arte) mais tout de suite réorientée vers le travail du son par Sylvain Gire et Christophe Rault, lui-même inspiré par l’un des grands de l’ACR. En 2005, alors le nouveau son internet s’est amélioré, Arte Radio s’ouvre avec succès au podcasting et à partir de 2008 décroche régulièrement des prix internationaux.

Où en est aujourd’hui le désir de belle radio ? Nous en parlerons au fil de plusieurs rencontres annuelles consacrées à la fiction, au documentaire, aux lectures et performances, au foisonnement de la création sonore hors de ces « grands genres ». L’objectif est d’étudier largement les ressorts de créations récentes, leurs inspirations ou intentions, leurs particularités et potentialités par rapport à d’autres littératures ou arts vivants. De manière générale, l’exploration des modalités de l’écriture radiophonique sera l’occasion d’analyser le rapport spécifique que ces productions établissent avec les auditeurs, cette intimité particulière qui nous lie à l’auralité, notamment à la voix.

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La première rencontre aura lieu à l’université à l’université Paris 8 les 10-11 décembre 2020 et sera consacrée à la fiction.

Le terme de « Fiction » nous renvoie d’abord, en contexte français, à une décision institutionnelle : celle de France Culture, en 1992, de remplacer « dramatiques » par « fictions » dans le nom de son service dédié aux œuvres d’imagination. L’initiative en revient à Alain Trutat qui partait du constat de déclin de la « dramatique », forme longtemps reine des programmes artistiques en raison d’une vieille tradition d’influence du modèle théâtral. La « fiction » est florissante aujourd’hui : une enquête publiée dans Le Figaro du 21 novembre 2019 saluait un « nouvel âge d’or de la fiction radiophonique » ; et Blandine Masson, directrice de la fiction sur France Culture, indiquait il y a peu : « Nous avons été incités à repenser nos lignes éditoriales pour répondre à cette appétence grandissante des Français pour le genre, qui concerne aussi bien des adaptations de classiques que des textes plus contemporains[3] ». Nous laisserons pour l’instant de côté d’une part les autofictions, d’autre part les docu-fictions, qui relèvent plutôt des écritures factuelles, dont ils sont depuis quarante ans des extensions bien identifiées et acclimatées dans le système certes mouvant et brouillé des genres. Nous préférons nous concentrer sur les riches corpus de France Culture (qui demeure le plus grand producteur français avec environ sept heures de programme par semaine hors rediffusions et, pour assurer une telle production, un budget important, autour de 25% du budget de la chaîne, soit 3 millions d’euros en 2003 et 11,5 millions en 2019) ; sur ceux de France Inter (40 fictions par an avant en 2019, date à laquelle la direction a décidé de réduire la production de moitié en contrepartie d’un investissement dans le podcast natif) ; sur ceux d’Arte Radio (dont la ligne éditoriale est de promouvoir « des formes hybrides, des mini-fictions, des docu-fictions, des feuilletons conçus pour le podcast[4] » en privilégiant les possibilités du documentaire et les prises de son en extérieur). Mais on pourra aussi regarder du côté des radios associatives produisant de la fiction comme Radio Grenouille à Marseille ou Jet FM à Nantes, des sociétés de production et plateformes récentes de podcast audio.

Parmi les pistes à suivre, celle des auteurs d’abord : qui aujourd’hui écrit des fictions pour la radio ? Sur commande ou de leur propre initiative ? Pourquoi, comment et pour quel public ? Qui réalise des adaptations et à partir de quelles œuvres (livre, bande-dessinée, pièce de théâtre, film, chanson…) ? On pourra s’intéresser par exemple à Benjamin Abitan, Alain Damasio, Mathieu Bertholet, Claudine Galéa, Catel Guillou, Camille Kohler, Sophie Loubière, Philippe Malone, Pierre Ménard, Mariette Navarro, Emmanuelle Pireyre, Noëlle Renaude, Tanguy Viel, Martin Winckler… Le fait est aussi que les fictions radiophoniques s’élaborent volontiers aujourd’hui encore en collaboration avec des artistes issus des champs sonores et musicaux, ce qui contribue à hybrider les compositions. Il conviendrait d’explorer ces synergies qui ne manquent pas d’enrichir les œuvres.

On pourra aussi approfondir la question des esthétiques de la fiction radiophonique, de ses modèles d’écriture plus ou moins oubliés ou revendiqués (théâtre, cinéma, roman, conte, peinture, sculpture, musique…), de ses « règles du jeu » éditoriales (format, découpage, périodicité, collection, budget, public ciblé…), génériques ou auctoriales. Comme le roman, la fiction radio a ses « stylistes », ses « musiciens » : ceux qui veulent travailler « dans le son » comme on travaille « dans la phrase », ont un rapport quasi instrumental à l’histoire, voire qui jouent « le langage contre la fiction[5] ». Et elle a ses « romanciers » ou « conteurs » : ceux qui sont plus tournés vers l’histoire à raconter que le travail des phrases ou des sons, vers l’action à mener, avec début, milieu et fin, que vers la composition sonore de leur fiction (voix et autres sons). Elle a ses auteurs de séries ou de feuilletons et ses auteurs d’œuvres unitaires, ses auteurs de passage et ses auteurs maison, ses créateurs et ses adaptateurs. Tous sont confrontés aux mêmes questions de construction de sens, de rythme et d’imaginaire ; ils leur apportent des réponses différentes qui illustrent la variété des espèces possibles au sein de la belle radio de fiction.

On pourra en outre s’intéresser à la place de la fiction dans la « culture d’entreprise », le « cahier des charges » et l’offre d’écoute des radios, se demander s’il existe ici ou là des styles de fiction, des formats privilégiés, analyser les modes et rythmes de diffusion. Tout cela sans oublier les pratiques d’aides à la création (prix en tous genres, commandes, concours), les partenariats entre radios et théâtres (Comédie-Française, Théâtre Ouvert, La Colline...) ou festivals (le Festival d’Avignon, La Mousson d’été…), qui invitent à des collaborations parfois inventives, jouant avec la question des territoires de création des uns et des autres. Enfin on pourra étudier le phénomène des festivals de l’écoute, apparu dans le courant des années 2000, avec ce qu’il traduit du besoin de rites sociaux autour de l’écoute (les « Nuits sonores » de Phonurgia nova en Arles, la « Nuit de la radio » de la SCAM à Paris, « Sonor » à Nantes, « Longueur d’ondes » à Brest, « Écoute(s) » à Grenoble et le Paris Podcast Festival). Et l’on pourra porter une attention particulière au seul festival exclusivement consacré aux fictions radiophoniques francophones, « Les Radiophonies », lancé en 2002 par l’auteur et acteur de théâtre Yves Gerbaulet.

L’hypermédiatisation allant, de manière très générale, de pair avec des formes de sensationnel plus ou moins affichées mais toujours mues par la volonté de capter l’attention des récepteurs, il importerait aussi d’étudier sous cet angle les fictions radiophoniques récentes. Participent-elles de certaines stratégies des médias de masse, en tentant de forcer l’attention, et en participant de l’économie de l’attention dominante (Georg Franck, Yves Citton, Bernhard Waldenfels) ? Ou bien sont-ce d’abord, comme on l’a implicitement entendu jusqu’à présent, les spécificités des écritures, jointes aux particularités du medium, qui alimentent les désirs contemporains de radio ? En d’autres termes, contribuent-elles à extraire les moments de radio du flux médiatique et à promouvoir une attention singulière, analogue au rapport que l’on entretient avec des voix singulières ? Ou bien s’appuient-elles, et dans quelle mesure, sur des stratégies de captation et des « plaisirs du texte » sonore bien éprouvés ? 

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Ce colloque est le fruit d’une collaboration entre ArTeC Paris 8 et le laboratoire RIRRA21 de l’université Paul-Valéry Montpellier 3, en partenariat avec l’Ina.

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Un résumé de 500 mots (ou 3000 signes espaces compris) est à envoyer à Éliane Beaufils (eliane.beaufils03@univ-paris8.fr), Pierre-Marie Héron (pierre-marie.heron@univ-montp3.fr) et Florence Thérond (florence.therond@univ-montp3.fr) avant le 17 juillet 2020.

Seront précisés : l’indication de l’axe dans lequel la communication propose de s’inscrire, quelques éléments bio-bibliographiques, le rattachement institutionnel de l’auteur.e de la proposition.

Le format des communications sera de 30 mn, diffusion d'extraits incluse, discussion non comprise. Les intervenants consacreront quelques minutes à la présentation et l’analyse motivée d’une œuvre de fiction radio qu’ils aiment et dont ils ne sont pas l’auteur ou le réalisateur.

Les réponses seront adressées le 31 juillet 2020.

 

 

[1]Selon l’enquête de la SCAM réalisée par Hervé Marchon et présentée par Thomas Baumgartner : « Radio : quelle place pour les auteurs ? », 2017.

[2]« La coquille et le souvenir », Aujourd’hui, 15 septembre 1942.

[3]Propos rapportés par Joël Morio dans « Le renouveau des fictions à la radio », Le Monde, 8 avril 2017.

[4]Silvain Gire, propos cités par Laurence Le Saux dans « La radio raconte de nouveau des histoires », Télérama, 5 décembre 2009.

[5]Henri Godard, Le roman modes d’emploi, Paris, Gallimard, « Folio essais », 2006.