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Le courage de la vérité dans les usages de l'histoire (XVIe-XVIIIe s.)

Le courage de la vérité dans les usages de l'histoire (XVIe-XVIIIe s.)

Publié le par Arnaud Welfringer

Le courage de la vérité dans les usages de l’histoire à l’époque moderne

(XVIe-XVIIIe siècles)

 

Journée d’étude organisée par Karine Abiven (Équipe Sens-Texte-Informatique-Histoire, EA 4509 – Université Paris-Sorbonne) et Arnaud Welfringer (Équipe Littérature, histoires, esthétique EA 7322 – Université Paris 8-Saint-Denis & Équipe Fabula),

Journée d’études prévue le samedi 10 octobre 2015

 

            La véracité du discours historique tient aujourd’hui pour nous avant tout à l’adéquation entre un énoncé et des faits attestés. Il n’en a pas toujours été ainsi. Nombre de mémorialistes et d’historiens d’Ancien Régime situent autant la véracité de leur discours dans leur énonciation, donnée comme « courage de la vérité », dans la filiation parfois explicite d’une notion antique redécouverte par M. Foucault[1] : la parrêsia, « liberté de parole » par laquelle se manifestent les qualités éthiques de franchise et de courage de l’énonciateur –qualités qui garantissent la vérité de son discours. Cette conception de la vérité comme produit d’une posture énonciative (celle d’un sujet qualifié pour dire le vrai) semble informer les formes d’écriture historique les plus diverses du XVIe au XVIIIe siècle.

Ainsi du président de Thou, qui place au frontispice de son Histoire universelle les figures allégoriques d’Aletheia, la vérité, et de Parrêsia, la liberté de parole. Ainsi de Tallemant des Réaux qui, dans ses Historiettes, affirme « dire le bien et le mal sans dissimuler la vérité […] d’autant plus librement que […] ce ne sont pas choses à mettre en lumière ». Ou encore de Retz qui affirme sa « sincérité » en tête des Mémoires, comme un devoir à l’égard de sa destinataire et comme une vertu héroïque : on reconnaît là une qualité sociale qui s’inscrit dans l’histoire longue des reformulations et des réactualisations de la parrêsia (définie par Aristote pour en faire l’une des vertus du magnanime dans l’Éthique à Nicomaque, et qui à ce titre, chez Retz, participe à la construction d’un èthos aristocrate). De telles stratégies de légitimation sont sans doute topiques ; elles n’en sont que plus révélatrices de la prégnance de cette conception de l’énonciation historique commune à l’époque moderne.

La parrêsia pourrait ainsi constituer un modèle pour mieux comprendre les manières d’écrire l’histoire à cette époque. À côté du développement concomitant de l’histoire critique et scientifique, les procédures d’autorisation éthiques de la parole historique héritée de la parrêsia ne se sont-elles pas durablement perpétuées ? Pour reprendre une opposition de M. Foucault, la « vérité-constat » à quoi se résume pour nous la vérité historique ne nous masque-t-elle pas la place considérable qu’occupe, sous l’Ancien Régime, une autre conception de la vérité, « vérité-épreuve », vérité qui s’éprouve et s’authentifie d’abord par l’èthos parrésiastique de l’énonciateur[2] ?

Nous proposons ainsi de repenser collectivement cette notion de parrêsia, non pas comme l’avatar d’une parole oblique ou masquée, mais en lui redonnant son sens de pacte de parole où la construction de l’image discursive de l’énonciateur est déterminante.

 

  • Peut-on penser une parrêsia écrite ?

Alors que la parrêsia antique correspond surtout à une situation de communication orale et directe, ce modèle est-il entièrement pertinent dans le cadre de la communication différée que suppose l’écrit ? Le mode de diffusion des textes donnés comme « parrésiastiques » n’est pas sans faire bouger cette pratique (par exemple dans les Mémoires, souvent limités dans leur diffusion ou destinés à une publication posthume) : une parrêsia in absentia est-elle encore parrêsia ? La question se pose en particulier pour l’écriture de l’histoire du temps présent : prend-on des risques à écrire une vérité qu’on ne fait lire à personne, ou en tout cas pas aux intéressés ? Est-ce faire preuve de « liberté de parole » que de dire la vérité dans le secret de son cabinet ?

L’écrit apporte une autre modification par rapport au modèle antique de la parrêsia ; si celui-ci reposait sur le face-à-face entre le parrésiaste et le prince, la publication ajoute un troisième personnage sur la scène de la véridiction : le public. Quel rôle ce public est-il appelé à jouer dans le jeu parrésiastique ? Le public est a minima un témoin devant lequel et par lequel la véridiction est authentifiée ; mais sa présence ne pourrait-elle pas aussi avoir force d’obligation sur le destinataire princeps – obligation d’entendre la vérité de l’histoire, obligation d’agir conformément aux leçons morales et politiques que recèle  l’histoire ?

 

  • Peut-on penser une parrêsia rhétorique ? 

Pour Foucault, le modèle originel de la parrêsia est extérieur à la rhétorique : c’est une parole qui vise le vrai, et non le vraisemblable ; c’est une parole qui ne cherche pas d’abord à persuader. Les traités rhétoriques intègrent pourtant la figure de la franchise ou de la licence de parler – cela depuis l’Antiquité.

D’où plusieurs interrogations : faut-il suivre Foucault quant à la caractérisation essentiellement anti-rhétorique de la parrêsia, est-il si évident que parrêsia et rhétorique s’excluent mutuellement ? Si oui, quelle place pour un tel « dire-vrai » dans le régime discursif fondamentalement rhétorique de l’Ancien Régime ? Par ailleurs, comment penser, dans le champ de l’histoire, une vérité qui, à la limite, n’est telle que par la qualité de celui qui l’énonce ? Étudier la parrêsia dans le discours historique, c’est ainsi examiner les manières dont l’historien construit son ethos.

 

  • Implication de l’historien et construction du savoir

Alors que dans une conception de la vérité comme constat, la posture de l’historien se caractérise par un effacement énonciatif, la « vérité-épreuve » suppose une implication éthique. L’« historien » ne se contente pas d’affirmer une vérité d’adéquation entre son discours et les évènements : il s’engage dans l’énonciation de la vérité, donnée comme risquée et renvoyant à une qualité morale.

Comment une énonciation à la première personne peut-elle servir à accréditer la vérité, non par une recherche d’objectivité mais, au contraire, par une implication subjective exhibée ? Dans quelles conditions l’historien qui dit je peut-il prétendre au vrai ? À moins qu’il ne faille poser le problème autrement : quelle conception de la vérité historique cette modalité du dire-vrai implique-t-elle ? Quelle forme de savoirs cette implication de l’historien produit-elle ?

 

  • Ces questions traversent un ensemble de corpus possibles :

-Les genres historiques : Les Mémoires et les nombreuses formes d’écrits mémorialistes de l’Ancien Régime (Historiettes de Tallemant, Journal de ma vie de Bassompierre, etc.) ; l’historiographie « officielle » ; la « grande histoire » (J.-A. de Thou) ; l’histoire apologétique (notamment Bossuet) ; différentes formes d’histoire « philosophique et politique » des Lumières (l’Histoire des deux Indes, l’Essai sur la vie de Sénèque de Diderot…) ;

-Les différents « usages de l’histoire » dans d’autres genres : dans la prédication (le modèle de la parrêsia évangélique pouvant se manifester par l’emploi d’exempla historiques, par des allusions à l’actualité ou à l’histoire récente) ; dans l’écriture du for privé (rapport à l’écriture de l’histoire dans un « livre de bonne foi » comme celui de Montaigne, etc.) ; dans les traités politiques (Guez de Balzac, Naudé, etc.) ; ou dans la philosophie (quelle relation entre la reconstitution a priori du passé humain à laquelle se livre Rousseau et la dramatisation parrésiastique de son énonciation ?).

-Les fictions à matière historique : nouvelles historiques (Saint-Réal, Mme de Lafayette, Du Plaisir, Catherine Bernard, etc.), polygraphie historique (histoires tragiques, histoire secrètes, histoires sanglantes)... : qu’en est-il du statut du narrateur lorsqu’il se définit dans ces textes comme « historien » ?

-Libelles, écrits polémiques, voire diffamants : la prétention à révéler une vérité déplaisante peut-elle se lire comme un jeu avec l’énonciation du parrésiaste ? (par exemple dans les best-sellers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle que furent les Anecdotes sur Mme du Barry, le Gazetier Cuirassé, etc.)

 

 

Les propositions de communication (environ 250 mots) sont à adresser à Karine Abiven et Arnaud Welfringer à l’adresse parresiaethistoire@gmail.com jusqu’au 1er avril 2015.

 


[1] M. Foucault, Le Gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France 1982-1983, éd. Frédéric Gros, Paris, Gallimard/Seuil/Hautes Études, 2008 ; Le Courage de la vérité. Cours au collège de France 1983-1984, éd. F. Gros, Paris, Gallimard/Seuil/Hautes Études, 2009.

[2] M. Foucault, « La Maison des fous » [1975], Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 2001, t. I, p. 1561-1566.