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La politique du visage. Fanatisme esthétique et regard éthique (Rennes)

La politique du visage. Fanatisme esthétique et regard éthique (Rennes)

Publié le par Philippe Robichaud (Source : Leszek Brogowski)

La politique du visage. Fanatisme esthétique et regard éthique

colloque sous la responsabilité scientifique de :

Leszek Brogowski, Université Rennes 2, France

Gwenola Druel, Université Rennes 2, France

Anna Szyjkowska, Université de Musique Frédéric Chopin, Varsovie, Pologne

Vendredi 6 et samedi 7 avril 2018

Le colloque est coorganisé par l’EA 7472 : Pratiques et théories de l’art contemporain, et l’EA 4050 : Psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social

Le visage n’est pas « naturel » ; il est une construction historique, sociale et politique. Son ambiguïté reflète nombre de tensions intellectuelles qui fondent la conception même de l’individu humain : l'humanité et l'animalité, le corps et l'âme, l'intérieur et l'extérieur, l’artificiel et le naturel, etc. On perçoit aisément les pièges du combat philosophique contre le dualisme, lorsqu’il s’agit de la conception du visage.

Le portrait à l’époque moderne est un miroir brisé de l’art qui permet à celui-ci de se dérober aux prescriptions esthétiques : mimétisme, idéalisation, symbolisation, construction perspective… Le visage ne peut être qu’humain, mais dès le xvie siècle son expression est « calquée » sur l’expression animale (Giambattista della Porta). Au xviie, parallèlement aux traités philosophiques, le portrait contribue à formuler une nouvelle approche des « passions de l’âme » (Simon Vouet) et à retourner le sens même de l’expérience de la passion : du « pathologique », elle devient le moteur de l’existence. Il aide à comprendre les émotions qui se dessinent dans les traits du visage, mais finit, au xviiie siècle, à produire le vocabulaire hypocrite des passions, inscrit dans les coordonnées cartésiennes (Charles Le Brun), parfait pendant de l’étiquette à l’usage de la société de cour. Le xixe voit le phantasme de la physionomie – lire dans le visage le caractère de l’individu, voire ses pensées les plus intimes – pénétrer durablement dans les défis scientifiques (eugénisme, la fabrique de l’homme nouveau) : c’est un déni de faciès ! L’éclatement de l’espace de la Renaissance sous l’impulsion des cubistes est l’occasion de considérer l’expression du visage comme le modèle de l’expression tout court : quelques traits de pinceau, et voilà le visage ! (Alexej von Jawlensky, Amadeo Modigliani.) Mais de là, on dérive facilement : la déformation comme marque de la folie (Francis Bacon, Gilles Deleuze), le monde qui regarde le sujet, le regard qui fait de nous des êtres regardés" (Jacques Lacan), etc.

Le xxie siècle, grand creuset de tous les mélanges, a besoin de repères. D’où la question  directrice de ce colloque : quel avenir pour le visage qui, à l’époque moderne, a été un symbole de l'identité et de la dignité humaines dans les sociétés occidentales ? Comment assumer la double tradition philosophique qui est à la fois tentée par le fantasme de la beauté féminine, idéalisant et désingularisant le visage (fondement de l’industrie de la beauté), et par l’éthique fondée sur le regard d’autrui ? L’une conduit au fanatisme esthétique combattu par les féminismes, l’autre souligne l’importance du regard dans la rencontre de l’autre : ne voir que les deux petits trous noirs des pupilles des yeux, où l’on ne voit plus rien, mais d’où l’autre me regarde (Emmanuel Levinas, Jean-Luc Marion). Quelle politique du visage, donc, à une époque qui, sur fond de divers phénomènes anciens (masque rituel, masque mortuaire, icône byzantine, tatouage, maquillage, physionomie…), voit en émerger de nouvelles (Photoshop, chirurgie esthétique, contrôles au faciès, selfies, webcam, greffe du visage…) devant lesquels la pensée se sent désarmée et la philosophie reste muette.

Quelle politique pour quel avenir du visage humain dans une situation nouvelle où la construction du visage semble avoir définitivement échappé à l’art, en subissant des assauts non coordonnées, et pourtant convergents dans le non-respect du visage, de la part de l’industrie, de la science, du marketing, des nouvelles technologies, de la politique sécuritaire (reconnaissance des émotions faciales), etc. ? Le danger est de ramener le visage au seul visible, alors qu’il s’enracine aussi dans l’invisible : le rôle du masque est aujourd’hui admis dans la constitution de l’idée de la personne, per-sonare (Jean-Pierre Vernant). Être attentif au regard et lire dans le visage, c’est apprendre l’autre, certes, mais ce n’est pas poursuivre l’œuvre de la physionomie. Sans que personne ne s’en émeuve, l’industrie de la chirurgie esthétique (notamment au Brésil) et de chirurgie dentaire (notamment en France) font la promotion des idées eugénistes au nom des modèles esthétiques définis par le marketing. Nombre d’artistes utilisant la vidéo ont procédé à de nouvelles analyses du visage dans une attitude réflexive en déconstruisant les stéréotypes, indissociablement artistiques et politiques, mais d’autres se sont emparés de la technique de morphing en ignorant les usages funestes qui ont été faits de son ancêtre, la photographie composite, et ont émis des paroles imprudentes et maladroites sur le visage. Tandis que Ludwig Wittgenstein a passé de la fascination par la photographie composite de Francis Galton à une phénoménologie du visage dans ses Fiches.

Une prise de conscience artistique et politique est indispensable : qu’est-ce que le visage, littéralement et symboliquement ? Qu'y a-t-il eu avant et qu’y aura-t-il après le visage humain ? Quel est le sens social du visage : dans la réalisation de soi ? dans la reconnaissance sociale (au sens double du terme) ? dans la construction de l’identité ? Qu’est-ce que « porter » le visage ? Comment le visage participe-t-il des codes sociaux, autant pour construire le lien que pour favoriser les discriminations ?

Nous invitons philosophes, historiens de l'art, anthropologues, théoriciens d'études culturelles, psychologues, psychanalystes, sociologues, politologues, critiques d'art et artistes à réfléchir sur les dimensions éthiques et politiques du visage, et sur le défi que le visage constitue pour l’art à venir. Nous les invitons également à attacher une importance singulière à la place des documents visuels dans leurs propositions des conférences.

Thématiques proposées :

- Le visage comme construction historique, sociale, politique ou artistique.

- Le visage et le problème de dualisme : la dialectique du visage.

- Migrations de la notion de visage entre la philosophie et l’art.

- Le visage invisible, le visage caché.

- L’avenir du visage comme un symbole de l'identité : la disparition du visage ?

- Les tabous du visage.

- Les nouveaux médias et la physionomie aujourd’hui.

- La politique du visage féminin/masculin.

- Le visage et la psychanalyse : reconnaître soi-même dans son visage, reconnaître soi-même dans le regard des autres.

- Le visage comme fétiche.

Publication de l’appel à communication : août 2017

Les propositions ne dépassant pas 1500 signes, accompagnées d’un bref CV, doivent être adressées aux organisateurs pour le 31 octobre 2017 :

Leszek Brogowski leszek.brogowski@univ-rennes2.fr

Gwenola Druel gwenola.druel@univ-rennes2.fr  

Anna Szyjkowska anna.szyjkowska@civitas.edu.pl

Comité scientifique :

Mieke Bal, théoricienne et critique de la culture, Amsterdam School for Cultural Analysis (ASCA), University of Amsterdam

Hans Belting, historien de l’art et critique d’art, membre de l’Académie des sciences de Heidelberg.

Joan Bestard Camps, professeur du Département d'Anthropologie Social, Faculté de Géographie et Histoire, Université de Barcelone, directeur du groupe de recherche sur la famille et la parenté

Christine Buignet, professeure de photographie à Aix Marseille Université

Olivier Douville, psychologue clinicien et psychanalyste, maître de conférences en psychologie à l'université Paris Ouest Nanterre La Défense

Michel Grollier, professeur de la psychopathologie clinique, université Rennes 2

Rahma Khazam, critique d’art indépendant, membre d’ICOM (International Council of Museums)

William J.T. Mitchell, professeur d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, Université de Chicago

Alexander Streitberger, professeur d’histoire de l’art à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, Belgique

Nicolas Thély, professeur en art, esthétique et humanités nulmériques à l’université Rennes 2

Evelyne Toussain, professeure de l’histoire de l’art et d’esthétique à l’université de Toulouse II Jean Jaurès

Antònia Vilà, artiste et PhD en histoire de l'art, professeure au Département des Arts visuels et du Design à la Faculté des Beaux-Arts de Barcelone, membre du group de recherche IMARTE, Université de Barcelone

Politics of Face. Aesthetic Fanaticism and Ethical Vision

Symposium under the scientific supervision of:

Leszek Brogowski, Université Rennes 2, France


Gwenola Druel, Université Rennes 2, France


Anna Szyjkowska, Université de Musique Frédéric Chopin, Varsovie, Pologne

Friday 6th – Saturday 7th April 2018

The symposium is co-organized by EA 7472: Practices and theories of contemporary art, and EA 4050: Psychopathology: new symptoms and social bond

The face is not "natural"; it is a historical, social and political construct. Its ambiguity reflects many of the intellectual tensions that underlie the very concept of the human individual: humanity and animality, body and soul, interior and exterior, artificial and natural – to name but a few. One may easily notice the traps of the philosophical struggle against dualism when it comes to the conception of the face. The portrait in the modern era is a broken mirror of art, which allows it to shirk aesthetic prescriptions: mimicry, idealization, symbolization... The face can only be human, but as early as the 16th century its expression was "modelled" on animal expression (Giambattista della Porta). In the 17th century, in parallel with the philosophical treatises, the portrait helped form the new approach to the "passions of the soul" (Simon Vouet) and reverse the very meaning of the experience of passion; the "pathological" became the motor of existence. It helped understand the emotions that emerge in the features of the face, but in the 18th century it ends up producing the hypocritical vocabulary of the passions, inscribed in the Cartesian coordinates (Charles Le Brun), perfected during the etiquette used by court society. The 19th century saw the phantasm of physiognomy – which read from the face the character of the individual, including even his most intimate thoughts – consistently penetrate scientific challenges (eugenics, production of the “new man”); indeed, a denial of facies. The shattering of Renaissance influence under the influence of the Cubists constituted an occasion to consider the expression of face as a model of expression itself: just a few brush strokes, and here is face… (Alexej von Jawlensky, Amadeo Modigliani). Nevertheless, this may lead to deformation as a mark of madness (Francis Bacon, Gilles Deleuze), a world that looks at the subject, a gaze that turns us into watched beings (Jacques Lacan), and so on.

The great crucible that is the 21st century is in need of points of reference. Hence the guiding question of this conference: what future for the face, which in modern times and Western society has become a symbol of human identity and dignity? How can we assume the double philosophical tradition that is at once tempted by the fantasy of feminine beauty, which idealizes and desingularizes the face (the foundation of the beauty industry), and by an ethics based on the gaze of the other? The former leads to the esoteric fanaticism fought by feminisms; the latter emphasizes the importance of the gaze in the encounter of the other: seeing only the two small black holes of the pupils of the eyes, wherefrom the other looks at me (Emmanuel Levinas, Jean-Luc Marion). What should be the politics of face at a time which – with various ancient phenomena in the background (ritual mask, death mask, Byzantine icon, tattoo, makeup, physiognomy…) – experiences the emergence of new phenomena (Photoshop, cosmetic surgery, face recognition systems, selfies, webcams, face transplants...) – but sees thought disarmed and philosophy silent.

What politics of face for what future of the human face, in a new situation where the construct of face seems to have definitely escaped art? It is subject to uncoordinated yet convergent (in their non-respect of the face) shocks at the hands of industry, science, marketing, new technologies, security policies (recognition of facial emotions), and so on. The danger is to restrict face to just the visible. Whereas, it is also rooted in the invisible: the role of the mask is now accepted in the constitution of the idea of the person, per-sonare (Jean- Pierre Vernant). To be attentive to the gaze and to read from the face is to learn about the other; it should not, however, lead us to pursue the work of physiognomy. The cosmetic surgery industry (notably in Brazil) and the dental surgery industry (notably in France) promote eugenic ideas in the name of aesthetic models defined by marketing. Many artists who use video for novel analyzes of face developped reflexive attitudes by deconstructing stereotypes, which are indissociably artistic and political in their character. Others, however, got caught up in the technique of morphing, while ignoring the disastrous effects brought about by its ancestor – composite photography – and uttering imprudent and awkward statements on the subject of face. Ludwig Wittgenstein, meanwhile, moved on from his fascination of Francis Galton’s  composite photography to a phenomenology of the face in his Zettel.

Gaining artistic and political awareness seems essential. What is face, literally and symbolically? What happened before, and what will happen after, the human face? What is the social meaning of face in the realization of oneself? What is the role of face in social recognition (in the double meaning of the term)? What is its role in the construction of identity? What does "wearing" face entail ? How does face participate in social codes, both to build links and promote discrimination?

We invite philosophers, art historians, anthropologists, cultural theorists, psychologists, psychoanalysts, sociologists, political scientists, art critics and artists to reflect on the ethical and political dimensions of face, as well as on the challenges posed by face for art to come. We also invite them to attach singular importance to the place of visual documents in their proposals for papers.

The themes to consider are the following:

1) Face as historical, social, political or artistic construct.

2) Face and the problem of dualism, or the dialectic of face.

3) Migrations of the concept (symbol) of face between philosophy and art.

4) Invisible face, veiled face

5) The future of face as symbol of identity - the disappearance of face ?

6) The taboos of face

7) The new media and physiognomy today

8) Female/male face politics

9) Face and psychoanalysis: recognizing oneself in one's face, recognizing oneself in the gaze of the others.

10) The face as fetish

Publication of call for papers: August 2017

Proposals, not exceeding 1500 signs, accompanied by a short CV, to be sent to the organizers by October 31st, 2017:

 

Leszek Brogowski leszek.brogowski@univ-rennes2.fr


Gwenola Druel gwenola.druel@univ-rennes2.fr


Anna Szyjkowska anna.szyjkowska@civitas.edu.pl

Scientific Committee:

Mieke Bal, cultural theorist, critic of culture, video artist, théoricienne et critique de la culture, Amsterdam School for Cultural Analysis (ASCA), University of Amsterdam

Hans Belting, art historian and art critic, member of the Academy of Sciences and Humanities in Heidelberg.

Joan Bestard Camps, professor at the Department of Social Anthropology, Faculty of Geography and History, Univeristy of Barcelona, director of research group concerning family and kinship

Christine Buignet, photography professor in Aix-Marseille Univeristy

Olivier Douville, clinical psychologist and psychoanalyst, lecturer in psychology at the Paris Ouest Nanterre La Défense University

Michel Grollier, clinical psychopathology professor, Rennes 2 Univeristy

Rahma Khazam, independent art critic, member of ICOM (International Council of Museums)

William J.T. Mitchell, English, art history and cinema studies professor, The Univeristy of Chicago

Alexander Streitberger, art history professor at The Catholic Univeristy of Louvain-la-Neuve, Belgium

Nicolas Thély, art, aesthetics, and digital humanities professor at Rennes 2 University

Evelyne Toussain, art history and aesthetics professor at the Univeristy Toulouse II Jean Jaurès

Antònia Vilà, artist and PhD in art history, professor at the Department of Visual Arts and Design at the Faculty of Fine Arts in Barcelona, member of research group IMARTE, University of Barcelona