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La narration oratoire et les genres littéraires XVe-XVIIIe siècles (Grenoble)

La narration oratoire et les genres littéraires XVe-XVIIIe siècles (Grenoble)

Publié le par Marc Escola (Source : Pascale Mounier)

Colloque international, Université Grenoble Alpes, amphithéâtre de la MSH,

16-17 mars 2023

La narration oratoire et les genres littéraires (XVe-XVIIIe siècles)

 Appel à communications

 
La narration oratoire peut se définir comme un exposé de faits centré sur les circonstances dans lesquelles ceux-ci se sont produits. Elle peut se limiter à la présentation d’une situation ou prendre des allures de récit ; dans l’un et l’autre cas elle a pour caractéristiques la brièveté, la clarté et la vraisemblance. Les règles en ont été établies et commentées par une longue tradition allant de l’Antiquité à l’époque moderne. Dans les traités généraux, depuis la Rhétorique d’Aristote, elle constitue une étape de la dispositio du discours persuasif. Elle est présentée comme une partie située entre l’exorde et la réfutation permettant de faire comprendre l’action et de déterminer les responsabilités des personnes impliquées, notamment dans le genre judiciaire. Cette doctrine, perpétuée par de nombreux rhétoriciens entre le XVe et le XVIIIe siècle, de Georges de Trébizonde ou Agricola à Gibert ou Crevier en passant par Melanchton, Majoragius, Bary et Le Gras, sert de socle à la pratique du barreau, de la chaire et des autres formes du discours solennel. Dans les manuels scolaires héritant de l’enseignement oral des rhéteurs grecs, parmi lesquels les fameux Progymnasmata d’Aphthonios écrits au IVe siècle, elle apparaît sous la forme trois exercices, la fable (mythos), la narration proprement dite (diégèma) et la chrie (chreia). Quoique l’essentiel soit ici de donner des conseils pour écrire des apologues, des récits vraisemblables et des récits élogieux, ces livres de classe proposent quelques divisions. Les manuels à destination des collèges jésuites, signés notamment par Pomey et Jouvancy, diffusent ainsi la distinction entre trois types de narrationes, poétique, historique ou oratoire (poetica, historica ou civilis).

La narration poétique porte quant à elle sur des événements inventés, qu’elle organise de manière cohérente et en ménageant une tension vers la fin du récit. Elle est pensée à partir du XVIe siècle, avec la relecture de la Poétique d’Aristote, sur la base de la fable et de la mimèsis, c’est-à-dire de l’art de produire une image cohérente du réel. Mais comme le prouvent déjà les progymnasmata, illustrant largement la narration de nature poétique, elle reçoit aussi des éléments de conceptualisation dans le champ de l’art oratoire. La rhétorique latine envisage en effet un type de narration situé en dehors de la cause, mobilisé pour le simple plaisir qu’il produit chez l’auditeur-lecteur. Elle fait une distinction entre la narration des faits, qu’elle décompose en trois espèces (fabula, historia, argumentum), et la narration des personnes, pour laquelle elle ajoute aux trois qualités (virtutes) canoniques celle de l’agrément (suavitas). Les traités de poétique puisent dans cette doctrine aussi bien que les traités de rhétorique, y compris pour élaborer la notion de « suspens ». Les commentaires du XVIe siècle sur le genre de l’épopée en font foi. Marmontel mobilise encore dans la section « Narration » de ses Éléments de littérature les catégories « exposé des faits » et « exposé des choses » et les quatre qualités de la narration. Les deux ensembles théoriques s’empruntent ainsi des notions, quitte à les rebaptiser, à les hiérarchiser autrement et à en adapter le contenu à leurs propres cadres. Mais ils divergent sur le fond dans leur approche de la narratio. Pour les rhétoriciens, l’orateur doit construire une version vraisemblable d’une situation ou d’une suite d’actions réelles dans le but de démontrer une cause. Pour les poéticiens, l’auteur d’un récit de fiction doit s’attacher à des considérations que l’on qualifie aujourd’hui de « narratologiques » et peut, s’il le veut, cultiver l’illusion référentielle, exhiber la mise en récit et insister sur la présence du narrateur.

Les auteurs entretiennent dans leur pratique les mêmes interférences entre les deux champs, dont ils perçoivent le caractère complémentaire et distinct à la fois. La production littéraire du XVe au XVIIIe siècle présente en particulier régulièrement des narrations oratoires. Le phénomène excède les récits de fiction. Tel héros de tragédie qui survient juste avant la crise rapporte les faits qui lui sont arrivés avant le lever de rideau pour justifier la disposition d’esprit dans laquelle il se trouve ; telle épistolière ou tel rédacteur d’ana fait part de façon orientée des faits et des propos dont il a été témoin ; tel moraliste brosse en quelques lignes une attitude sur laquelle il porte un jugement ou relate en une page des événements de façon à révéler un caractère. L’étude des dispositifs rhétoriques mobilisés dans ces passages présente déjà en soi un intérêt (voir la partie « Dossier » du numéro 18 d’Exercices de rhétorique, consacrée à ceux qui sont pris en charge par des personnages dans des fictions narratives). Il faut à présent explorer le lien entre la mise en œuvre de la narration oratoire et la typologie des formes d’écriture. Nombreux sont en effet les genres qui intègrent des séquences textuelles soutenant une démonstration : on trouve non seulement le roman et l’épopée ainsi que le théâtre et le dialogue, mais aussi les différentes formes littéraires du discours argumenté, que celles-ci soient orientées vers la collecte de faits vrais (la lettre, les mémoires, la gazette, l’ana), l’exploration du moi (la poésie lyrique) ou l’analyse des mœurs (l’essai, le pamphlet, l’oraison funèbre). De quelle manière les auteurs mettent-ils les ressources du genre qu’ils sélectionnent au service de la production d’une narration efficace ? En quoi les principes rhétoriques de l’exposé des faits nécessaires à l’intelligence d’une cause contribuent-ils inversement à infléchir la mise en œuvre des lois de la forme d’accueil, voire à actualiser des modes de fonctionnement restant à l’état de virtualité ?

Toutes les pistes qui permettent de cerner les modalités et les enjeux du recours à la narration oratoire dans le cadre d’un genre littéraire sont bonnes à suivre. Plusieurs semblent particulièrement prometteuses :

-          le mode de réalisation du but expositif de la narration oratoire : le narrateur sélectionne les éléments et présente les circonstances qui entourent le fait (précisions relatives aux personnes, temps, lieux, causes et conséquences) ; il établit les motifs des actions et procède à une caractérisation morale et affective des individus ; il construit un point de vue sur les faits (accusation, défense, éloge, blâme), qui peut se traduire dans son état émotionnel (colère, crainte, pitié, joie) ; il peut convoquer massivement certains procédés poétiques, fragilisant alors la frontière entre les deux types de narrations (recherche de l’émotion par la surprise ou du divertissement par le registre pathétique, tragique ou comique, développement du dialogue, usage des figures de l’amplification)

-          l’effet de l’intégration d’une ou de plusieurs séquences narratives sur les composantes génériques : le dispositif communicationnel de la ou des parties est lié à celui du tout (prise en charge par l’auteur ou les personnages, destination au lecteur ou à d’autres personnages) ; les faits rapportés introduisent ou non de l’hétérogénéité au plan thématique (insertion du fictif dans du vrai et inversement, présence d’un contexte argumentatif renforçant la visée probatoire de la narration) ; si les faits appartiennent à l’intrigue, ils sont concomitants, antérieurs ou postérieurs au moment de l’action où la narration est introduite et la restitution de l’action suit un ordre naturel ou artificiel ; s’ils n’y appartiennent pas, ils peuvent ébranler l’unité de l’œuvre tout en apportant un éclairage indirect sur l’action principale ; le traitement des caractères et des discours et de l’enchaînement des faits correspond ou non aux principes esthétiques et éthiques du genre (vraisemblance, bienséance et morale)

-          le rapport de la pratique à la théorie : la ou les séquences narratives peuvent illustrer fidèlement ou non les préceptes rhétoriques formulés dans les traités antérieurs ou contemporains (voir les parties « Atelier » et « Document » du n° 18 d’Exercices de rhétorique, qui contiennent une liste commentée de traités composés de l’Antiquité à la fin du XVIIe siècle et la traduction de chapitres de Majoragius et Caussin) ; le fait d’intégrer une ou plusieurs narrations oratoires peut modifier les lois du genre de la ou des œuvres considérées (infraction aux habitudes d’écriture de l’époque).

Les propositions de communication, qui prendront la forme d’un résumé de 5 à 10 lignes assorti d’un titre, sont attendues pour le 15 septembre 2022 au plus tard.

 

Comité scientifique

 Delphine Denis (Sorbonne Université)

Francis Goyet (Université Grenoble Alpes)

Jean Lecointe (Université de Poitiers)

Christine Noille (Sorbonne Université)

 
Comité d’organisation

Pascale Mounier (université Grenoble Alpes, UMR 5316 Litt&Arts)

Contact : mounier.pascale@wanadoo.fr

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Pistes bibliographiques

Marie Formarier, « La narratio chez Cicéron doit-elle être brève pour persuader ? », Interférences (http://journals.openedition.org/interferences/6007), n° 10, 2018.

Christine Noille, « La rhétorique de la narration à l’époque moderne », in Handbook of Diachronic Narratology, dir. P. Hühn, J. Pier et W. Schmid, Berlin, De Gruyter, à paraître (2023).

Christine Noille, « Narratio / narration ? La rhétorique et la langue française », in Les Intraduisibles du vocabulaire critique (XVIe–XVIIIe siècle), dir. C. Barbafieri, D. Denis et L. Susini, Littératures classiques, n° 96/2, 2018, p. 85-97.

Sur la Narration, dir. P. Mounier, Exercices de rhétorique (https://journals.openedition.org/rhetorique/1256), n° 18, mis en ligne en février 2022.