Agenda
Événements & colloques
La figure littéraire du Wanderer aujourd'hui: liberté et non-liberté de l'errance (Tours)

La figure littéraire du Wanderer aujourd'hui: liberté et non-liberté de l'errance (Tours)

Publié le par Marc Escola (Source : Emmanuelle Terrones)

Si le terme allemand « Wanderer » signifie en tout premier lieu le marcheur, le randonneur, dans la littérature il peut tout aussi bien désigner le vagabond, l'errant ou encore le migrant. Cette figure a ceci de séduisant pour l'écriture qu'elle incarne une ambiguïté première : celle de jouir d'une liberté tout en faisant l'expérience du manque de celle-ci. « En aucune/ partie/ du monde/ je ne peux m'établir » dit le vagabond de Giuseppe Ungaretti dans le poème du même nom (« Girovago ») : « Je cherche un pays/ innocent. » Fascinant pour la marginalité, la dimension provisoire et la quête infinie qu'il symbolise, son image prend au fil des époques des reflets variés, toujours nouveaux. Qu'en est-il de cette figure à l'époque contemporaine ? S'interroger sur les caractéristiques que revêt le Wanderer à la fin du siècle dernier et dans le siècle naissant implique avant tout de réfléchir à la part de liberté que représente encore son errance, à l'ambivalence constitutive du Wanderer entre liberté et non-liberté. 

Le motif du Wanderer connaît une longue tradition notamment dans la littérature allemande – il suffit de penser au « Bildungsroman », par exemple – et continue d'animer la création littéraire outre-rhin. Qu'il s'agisse, par exemple, d'une errance entre les deux Allemagnes pour le personnage de Wolfgang Hilbig dans Provisoire (2000), d'une mise en mouvement incessante d'un père et de ses enfants dans une Hongrie stagnante dans Le nageur de Zsuszsa Bank (2002), le Wanderer est toujours celui qui n'a pas de place au monde et vient interroger les fondements des sociétés qu'il approche. Cette figure n'est pas l'apanage de la littérature allemande : il suffit d'évoquer le personnage de Benno von Archimboldi, écrivain allemand énigmatique et passeur de frontières, dans 2666 (2004) de l'écrivain chilien Roberto Bolaño ou encore les errements d'une mère à travers la géographie et l'histoire américaines dans The Nix (2016) de l'écrivain nord-américain Nathan Hill. Dans quelle mesure et sous quels traits la figure du Wanderer se retrouve-t-elle donc aussi dans d'autres littératures aujourd'hui et de quelle façon y évolue-t-elle ? 

À l'époque des « nouvelles guerres », telles qu'elles ont été définies par Herfried Münkler (Die neuen Kriege, 2002) et des mouvements migratoires auxquelles elles ont donné lieu, il semble que le motif du Wanderer connaisse aussi une radicalisation dans sa représentation. S'il est en effet toujours une figure marginale, le Wanderer est désormais avant tout le migrant, l'étranger, celui dont on ne parvient pas à cerner les contours. Nombreux sont les romans qui, ces dix dernières années, traitent de la question spécifique des réfugiés en Europe et de façon plus générale des migrants à l'échelle mondiale. « Citoyens du monde en fuite » (Olga Martynova), « migrants transnationaux » (Nina Glick Schiller), « existences en fuite » (traduction du titre du roman Schlafgänger de l'écrivain suisse Dorothee Elmiger), rapportés dans la plupart des cas à un collectif, que conservent-ils dans leur errance de la liberté du Wanderer, ne sont-ils plus qu'un symbole de non-liberté ? 

Tout porte à croire que le Wanderer s'inscrit à l'époque actuelle dans un champ de tension entre « la liberté absolue d'une vie sans document valide » (Terézia Mora) et l'impossibilité de jouir de « la liberté d'être libre » (Hannah Arendt), comprise comme liberté d'agir, comme liberté politique de participer aux affaires publiques. Condamné à vivre en marge d'une société, dans une situation pour le moins précaire, le Wanderer contemporain n'est-il pas en train de remettre radicalement en question, comme le suggère le philosophe Giorgio Agamben, les concepts des Droits de l'Homme et de l'État-nation ? Quelles libertés sont revendiquées par le Wanderer à notre époque ? Hannah Arendt allait jusqu'à affirmer, dans le cas spécifique des réfugiés, qu'ils représentaient « l'avant-garde de leurs peuples ». En quoi pourrait-on dire du Wanderer contemporain qu'il puisse encore l'être ?

Ce colloque s'inscrit dans le programme 2018-2023 intitulé « Libertés » de l'unité de recherche interdisciplinaire ICD (Interactions culturelles et discursives, EA 6297). Il se propose de réfléchir à la figure du Wanderer dans la littérature à la fin du XXe siècle et au début du XXIe et cherchera à prendre en compte les aspects esthétiques, philosophiques, éthiques et politiques de ses différentes représentations littéraires.