Actualité
Appels à contributions
La critique au risque de l’engagement : marges disciplinaires, politiques et scientifiques

La critique au risque de l’engagement : marges disciplinaires, politiques et scientifiques

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Veronika Zagyi)

La critique au risque de l’engagement : marges disciplinaires, politiques et scientifiques

Université Paris 8 — 5 et 6 juin 2013

Ce colloque de deux journées, organisé par les doctorant-e-s du Centre d’étude sur les médias, les technologies et l’internationalisation (CEMTI, Université Paris 8), a pour objectif de réfléchir la question de l’engagement des chercheurs dans les approches critiques en Sciences de l’information et de la communication (SIC) et plus largement en Sciences humaines et sociales (SHS). Nous accueillons les travaux de jeunes chercheurs en sciences humaines et sociales (doctorant-e-s, docteur-e-s et jeunes maîtres de conférences) comme de chercheurs plus confirmés. Les communications issues du colloque feront l’objet d’une publication dans un ouvrage à comité scientifique.

 

Argument

Si la question de l’engagement est une préoccupation transversale aux différentes approches critiques, la conception de cette participation intéressée au monde — pour reprendre les mots d’Axel Honneth (2007) — n’en rencontre pas moins des acceptions diverses : selon les contextes socio-historiques, les courants théoriques et les trajectoires des chercheurs, les modalités de l’engagement et les cadres dans lesquels celui-ci se réalise varient. Dans les contextes actuels de mutation des rapports entre les disciplines des sciences sociales, entre institutions publiques et privées, ainsi que des transformations de la médiatisation de ces rapports, notamment par le renforcement des impératifs de communication pour la valorisation des institutions ou encore par l’utilisation de plus en plus intense des blogs et des réseaux sociaux par les chercheurs, ces journées ont comme objectif de regrouper des interventions sur l’étude de l’actualité des formes d’engagement des chercheurs et des cadres qui les rendent possibles du point de vue de la critique.

Les approches critiques, en SIC et plus largement en SHS, postulent toutes un rap- port particulier du chercheur à son objet d’étude et à ses méthodes, obligeant celui-ci à considérer sa place d’analyste dans les rapports de production et les phénomènes de domination que ceux-ci engendrent comme point de départ de son analyse. Dans ce cadre, l’engagement du chercheur est une dimension d’importance première, obligeant ce dernier à considérer le rôle de son propre travail dans le maintien éventuel des états existants, dans l’éventuelle pérennisation du status quo. Ainsi les catégories les plus largement utilisées pour critiquer les injustices et les formes de domination, selon les contextes, peuvent véhiculer des cadres normatifs légitimant les phénomènes critiqués. L’engagement doit alors s’accompagner d’une réflexivité indispensable permettant de circonscrire les domaines de validité des énoncés scientifiques ; il s’agit moins d’une introspection du soi par le sujet, que d’une analyse sociologique de la pratique, d’une « réflexivité de méthode » (Bourdieu, 1997 ; 2001) qui est affaire collective car se formant au sein de la discipline scientifique.

Cette réflexivité n’est pas sans rapport avec l’explicitation des rapports entre le chercheur et les acteurs objets de son étude, par la prise en compte des interdépendances entre des sphères d’activité relativement autonomes. Mais cette réflexivité n’est pas sans rapport non plus avec, ce qu’Olivier Voirol (2012, p.114) décrit comme intrinsèque au courant de pensée de la Théorie critique, la clarification de son point de vue normatif et aussi du « lieu » théorique à partir duquel ce courant parle et critique un monde qui aliène les possibilités d’émancipation. Les approches critiques posent ainsi la problématique de l’engagement d’une manière double : d’une part elles considèrent comme inéluctable la prise de position du chercheur, d’autre part elles pointent les limites de l’autonomisation de la sphère scientifique par rapport à d’autres sphères, notamment politiques et militantes.

Nous invitons donc les chercheurs participant à ces journées à une démarche réflexive consistant à discuter de certaines pratiques d’engagement et à les interroger par rapport aux exigences de la recherche critique, qui affiche une interrogation sur les rapports de pouvoir, la domination et les formes de résistances, tout en cherchant à clarifier le domaine de validité des énoncés scientifiques. Quelles sont les modalités d’engagement des chercheurs « critiques » ? Quelles sont les exigences de ces pratiques d’engagement lorsque l’on cherche à les concilier avec une perspective critique ? Il s’agit de réfléchir sur les apports et les limites des pratiques d’engagement du chercheur, en tant que sujet réflexif, pour questionner les approches critiques et leurs possibles faux-semblants.

Loin de prétendre à l’exhaustivité en la matière, les trois axes choisis cherchent à mettre en perspective trois angles de réflexion sur l’engagement du chercheur critique :

 

Axe 1 : L’investissement interdisciplinaire du chercheur critique pour « rendre justice aux objets »

Le premier ensemble de questionnements que nous aimerions mettre en place en rap- port avec cette question de l’engagement critique des chercheurs s’articule autour de la définition même des objets de recherche ainsi que des moyens de leur investissement. Alors que « les nouveaux paradigmes appellent la transversalité » (Mattelart & Mattelart, 1986) et que beaucoup des objets des sciences humaines et sociales ne se soucient guère du découpage disciplinaire pour se laisser appréhender, il nous semble que la question de cette appréhension peut déjà s’intégrer dans une réflexion critique et ressort pleinement de la question du positionnement du chercheur par rapport à ses objets de recherche.

Si le projet de la Théorie critique visait à construire la possibilité d’une réflexion interdisciplinaire permettant aux objets d’exister dans l’espace théorique dans toute la complexité de leurs particularités et de leurs rapports au social, force est de constater qu’aujourd’hui, les injonctions à l’interdisciplinarité, qu’elles soient réclamées par les institutions pour l’attribution des crédits de recherche ou par les nécessités immédiates des procédures de problem solving industriel laissent peu de marge à une interdisciplinarité réfléchie. Pourtant, le premier lieu de l’engagement critique du chercheur par rapport à un objet de recherche n’est-il pas d’assurer à l’analyse de ce dernier des concepts réfléchis dans leur historicité et dans leur rapport dialectique aux disciplines qui les font émerger dans un but précis ?

L’interdisciplinarité, telle qu’elle est souvent revendiquée par certains courants cri- tiques ne contient-elle pas en elle le risque d’inféoder des disciplines à d’autres et de créer ainsi des hiérarchies entre les disciplines revenant à subsumer les catégories aux catégories de l’économie et notamment de l’économie dominante ? Comment se « mettre à l’écoute » des objets en s’engageant auprès d’eux pour leur offrir les paradigmes qui leur rendent justice, au-delà des contraintes imposées par les cloisonnements disciplinaires et sans pour autant risquer de tomber dans un éparpillement post-moderniste qui reviendrait à noyer les objets sous la multiplicité des paradigmes sans jamais leur donner une chance d’exister ?

 

Axe 2 : Le chercheur critique engagé dans le débat public

Ce second axe de questionnement s’articule autour de la prise de position publique du chercheur. L’importance de la publicisation — et, par là, de la médiation — de la critique est incontestable dans l’histoire des sociétés. Les analyses que les sociologues, philosophes, historiens, psychologues font lors du surgissement des événements sociétaux de grande envergure (mouvements sociaux, changements de régime, révolutions, etc.) et les éventuelles critiques qu’ils adressent aux autorités en place sont constitutifs des représentations qui se forment dans les sociétés en question en proposant des modèles pour penser les phénomènes. La prise de position dans l’espace public permet également « la traduction d’un monde dans un autre », c’est-à-dire l’enrichissement de la pratique scientifique par l’action militante et inversement le développement de la pratique militante par l’activité de la recherche scientifique (Noiriel, 2012).

Les médias, qu’ils soient traditionnels ou du nouveau type des réseaux sociaux ou des blogs, jouent un rôle incontestable dans cette « traduction ». On peut ainsi penser cette prise de parole publique et cette prise de position en rapport avec l’utilisation des médias et notamment des nouveaux médias. Dès lors quels sont les enjeux des prises de position dans l’espace public ? Quels sont les processus (normés) de médiatisations de l’engagement ? En retour, l’utilisation des nouveaux médias par les chercheurs ne tend-elle pas vers une saturation qui enjoint chaque nouvel arrivant à un positionnement nécessaire et une prise de parole publique pour la simple reconnaissance de son statut de chercheur en SHS ?

 

Axe 3 : L’expertise, menace ou opportunité pour le chercheur critique ?

Le troisième axe invite à une démarche réflexive sur le rapport du sujet « chercheur » face aux injonctions qui lui sont adressées de la part de son environnement politique ou économique pour produire un « savoir opérationnel » proche de l’expertise. Cette réflexion paraît essentielle à l’heure où de nombreux chercheurs exercent également des missions de consultance et que les jeunes chercheurs réalisent de plus en plus leur thèse de doctorat en Cifre, tant dans des disciplines des sciences sociales que des sciences humaines.

Il s’agit alors de porter une réflexion sur la réduction des sciences humaines et sociales en pures techniques de « gestion opérationnelle » et la production d’un « savoir utilitaire » orienté vers une efficacité pragmatique. Cette évolution, emblématique de ce que certains intellectuels considèrent comme le « naufrage de l’Université » (Freitag, 1995) invite à une démarche réflexive. Le « savoir opérationnel » peut-il être concilié avec les exigences d’une recherche critique? Est-il dépendant de certains objets d’étude spécifiques? À quelles conditions le chercheur critique peut-il exercer des missions d’expertise sans pour autant sacrifier les exigences de la recherche au rang de pures techniques de « consulting » ? Enfin, comment les enjeux symboliques peuvent-ils se faire valoir au dessus d’enjeux économiques et politiques dans un monde académique pourtant dépendant des décisions politiques et des intérêts économiques? Comment les nouveaux-entrants négocient-ils leurs positions dans cette sphère en profonde mutation et de précarisation ?

Par ailleurs, ce dernier axe de questionnement vise également à poser la question des possibles lieux et conditions de l’engagement du chercheur critique. Alors que l’Université, haut lieu historique de la formation de la pensée critique, connaît une période de rationalisation (et notamment de rationalisation économique) l’enjoignant à davantage se diriger vers les objets ou paradigmes à la mode ou dominants, à l’exclusion de ce qui est marginal, plusieurs entreprises du secteur industriel ou plusieurs consultants se réclament désormais d’un point de vue critique et interdisciplinaire, visant une pensée utile, démocratique et citoyenne. Ces intellectuels ne remettent-ils pas en question la position qui était conférée aux chercheurs ? Enfin, quelle définition de l’intellectuel, possiblement à l’extérieur de l’université à l’heure où des essayistes et experts ont conquis la forme « rapport de recherche », où la critique des systèmes en place s’intègre in fine à la marche et aux mutations du capitalisme contemporain ?

 

 

Modalités de réponse

Les propositions de communication (jusqu’à 2500 signes comprenant une bibliographie indicative) seront adressées simultanément à Christophe Magis (christophe.magis(at)univ-paris8.fr), Veronika Zagyi (vercozagyi(at)yahoo.com) et Jean-Baptiste Le Corf (jblecorf(at)club-internet.fr).

La date limite de réception des propositions est fixée au 15 mars 2013. Les auteurs seront notifiés des résultats de la sélection des propositions par le comité scientifique début mai 2013 et les journées d’études se tiendront à l’Université Paris 8 les 5 et 6 juin 2013. Les textes définitifs, compris entre 40 et 45 000 signes, accompagnés d’un résumé de 2000 signes maximum devront être remis au plus tard le 25 octobre 2013 en vue d’une publication au printemps 2014.

Calendrier (rappel)

–      15 mars 2013 : date limite de réception des propositions,


–      début mai 2013 : retour des évaluateurs,

–      
5 et 6 juin 2013 : colloque,


–      25 octobre 2013 : réception des versions définitives des textes pour publication.

 

Comité scientifique

Fabien Granjon, Université Paris 8 ;


Mohamed Ali Elhaou, Université Lille 3 ;


Estelle Ferrarese, Université de Strasbourg ;


Laurent Di Filippo, Université de Lorraine ;


Éric George, Université du Québec à Montréal ;


Miguel Escobar Guerrero, Universidad Nacional Autonoma de Mexico ;

Jacques Guyot, Université Paris 8 ;

Razmig Keucheyan, Université Paris 4 ;

Sarah Labelle, Université Paris 13 ;

Tristan Mattelart, Université Paris 8 ;

Jacob T. Matthews, Université Paris 8 ; 

Gérard Mauger, CNRS ;

Lucien Perticoz, Université Grenoble 3 ;

Olivier Voirol, Université de Lausanne ;

Sophie Wahnich, CNRS.

 

Comité d’organisation

Jean-Baptiste Le Corf, Université Paris 8 ;

Christophe Magis, Université Paris 8 ;

Veronika Zagyi, Université Paris 8.