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La chanson de geste aux frontières, aux frontières de la chanson de geste (ENS Lyon)

La chanson de geste aux frontières, aux frontières de la chanson de geste (ENS Lyon)

Publié le par Marc Escola (Source : Blaise Léo-Paul)

La chanson de geste aux frontières, aux frontières de la chanson de geste

28 novembre 2020, Lyon, ENS de Lyon

Journée d’étude organisée par

Léo-Paul Blaise, Elena Podetti, Nina Soleymani Majd

 

Cette journée d’étude, organisée dans le cadre des activités du laboratoire junior « Épopées médiévales : frontières, échanges, héritages » (2018-2020), entend synthétiser les problématiques qui ont motivé la création de ce laboratoire, et lui servir de conclusion. Il est donc principalement adressé aux jeunes chercheurs et chercheuses en cours de thèse ou ayant soutenu une thèse depuis moins de 5 ans.

La journée sera l’occasion de reprendre une partie des questions touchant à l’expérience des frontières dans et de la chanson de geste, y compris dans une perspective comparatiste.

Les chercheurs et chercheuses souhaitant proposer une intervention pourront s’inspirer des pistes suivantes, qui ne sont ni contraignantes ni exhaustives :

- Genre communautaire par excellence, le genre épique médiéval repose sur l’exaltation hyperbolique de valeurs fédératrices, d’où un « mécanisme de concentration » qui « resserre l’action et survalorise les situations conflictuelles » (Daniel Madelénat). Partant, l’opposition radicale de deux entités ethno-religieuses étanches serait le pivot d’une représentation du monde rigide et duelle.

Néanmoins, il semble que cette représentation monolithique de l’épopée et de la chanson de geste doive être nuancée et réexaminée comme reposant sur une vision traditionnelle de la littérature d’époque féodale. Plus récemment, l’épopée a en effet été redéfinie comme un lieu de remise en question des valeurs d’une société, et de leur mise en tension plutôt que de leur célébration sans heurts (Florence Goyet). L’on doit également tenir compte d’éléments essentiels dans le genre épique médiéval qui permettent de comprendre les phénomènes de passages de frontières (au sens géographique ou moral, voire générique ou linguistique), de déplacement ou de transfert qui affectent le récit épique et en déstabilisent le manichéisme sans pour autant perturber les grands équilibres de la chanson de geste. La réflexion pourra ainsi tendre à montrer que c’est justement dans ses potentialités à dépasser les structures préétablies que l’épopée médiévale trouve les ferments de son renouvellement.

- Pour prolonger ces premières notations théoriques, rappelons que l’ensemble de l’Europe a décliné le genre de la chanson de geste française, du cantar espagnol au cantare italien en passant par la Sage allemande ou la saga norroise. Le genre a voyagé abondamment à travers l’Europe, par le biais de traductions ou d’adaptations. La Karlamagnus saga norroise, pour ne citer qu’un exemple, procède à la compilation et à la traduction des aventures de Charlemagne et de ses douze pairs en les exportant vers le Grand Nord européen. À travers ces pérégrinations, on peut étudier la pertinence de la notion de frontière entendue exclusivement comme la somme des filtres linguistiques de traduction. Existe-t-il des ensembles stylistiques, des constantes sémantiques ou même iconographiques, des caractéristiques pertinentes qui permettent d’avancer que la structure de la chanson de geste se maintient constante en Europe, au-delà des frontières linguistiques ?

- Dans une approche plus épistémologique, la romanistique et ses grandes figures (telles Erich Auerbach ou Ernst Robert Curtius) sera également un terrain d’observation privilégié. Par son désir réaffirmé de démontrer l’existence d’une communauté culturelle européenne, construite sur l’utilisation d’éléments narratifs communs et de topoï partagés, la romanistique trouve une résonance particulière avec ce projet scientifique. Par quels moyens méthodologiques la chanson de geste peut-elle nous aider à témoigner de l’existence d’une littérature européenne médiévale, non pas entendue comme territoire délimité par des frontières, mais comme espace sémiotique commun, ou sémiosphère (Youri Lotman) ? Dans cette optique, l’Europe se révèle être une question relevant de la rhétorique et est vue comme une communauté de discours, dans laquelle prend place la littérature épique. L’exploration de ces postulats peut constituer une autre piste d’étude.

- Au-delà des classifications théoriques, il est important de considérer l’épopée sous un angle dynamique et de réfléchir à la façon dont elle se montre ouverte à l’influence de genres littéraires variés, tels que le roman, l’hagiographie et le théâtre. Par ailleurs, cette tendance au mélange des genres, caractéristique de la chanson de geste que Dominique Boutet définit comme « holistique », n’est pas propre aux seuls textes épiques tardifs tels que La Belle Hélène, Lion de Bourges et Tristan de Nanteuil, puisqu’elle pointe déjà dans les textes les plus anciens, comme le Voyage de Charlemagne, le Charroi de Nîmes ou la Prise d’Orange. Du point de vue de l’archéologie des discours, comment la chanson de geste se perpétue-t-elle, du Moyen Âge jusqu’à nos jours, en tant que medium ? De quelles formes de remplois peut-elle faire l’objet ? Comment ses formes signifiantes sont-elles imbriquées, montées différemment, dans un procès dynamique, pour produire d’autres media ?

- À la frontière entre oralité et écriture, culture savante et culture populaire, les épopées se positionnent dans un « entre deux » qui se reflète aussi dans l’univers éthique qu’elles représentent. Déjà dans la Chanson de Roland, où il est proclamé que païens unt tort et crestïens unt dreit, un tel manichéisme est à plusieurs reprises remis en question ; l’univers des épopées tardives semble encore davantage avoir perdu ses points de repères immuables et fixes. Ainsi l’épopée contribue-t-elle à redéfinir le concept d’héroïsme, tout en questionnant les frontières entre je individuel et je social, rôles établis et identités de genre, dont l’équilibre précaire peut tout à fait être, encore, interrogé.

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Indications bibliographiques :

- Alvar Carlos, Carta Constance (éd.), In limine Romaniae, chanson de geste et épopée européenne, Actes du XVIIIe Congrès international de la Société Rencesvals, Bern, Peter Lang, 2012.

- Angelov Angel, « Erich Auerbach’s “European Philology” », Divinatio, 28, 2008, p. 51-86.

- Auerbach Erich, « Roland à la tête de l’arrière-garde », Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard, 1968, p. 106-132.

- Bem Jeanne, Guyaux André (éd.), Ernst Robert Curtius et l’idée d’Europe. Actes du colloque de Mulhouse et Thann des 29, 30, 31 janvier 1992, Paris, Champion, 1995.

- Boutet Dominique, La Chanson de geste : forme et signification d’une écriture épique au Moyen Âge, Paris, P.U.F., 1992.

- Boutet Dominique, L’Épique au Moyen Âge : D’une poétique de l’Histoire à l’historiographie, Paris, Champion, 2019.

- Curtius Ernst Robert, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Pocket, 1956, 2 vol.

- Curtius Ernst Robert, Essais sur la littérature européenne, Paris, Grasset, 1954.

- Espagne Michel, Lüsebrink Hans-Jürgen (éd.), La romanistique allemande. Un creuset transculturel, Revue germanique internationale, 19, 2014.

- Goyet Florence, Penser sans concepts : Fonction de l’épopée guerrière, Paris, Champion, 2006.

- Langenbruch Beate, « L’Europe médiévale et ses chants épiques », Cahiers d’études hispaniques médiévales, 40, 2017, p. 25-31.

- Lotman Youri, La Sémiosphère, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 1999.

- Madelénat Daniel, L’Épopée, Paris, P.U.F., 1986.

- Obry Vanessa, Lodén Sofia, L’Expérience des frontières et les littératures de l’Europe médiévale, Paris, Champion, 2019.

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Les propositions de communication (titre et résumé indicatif), de 400 mots maximum, sont à faire parvenir avant le 15 juillet 2020 aux adresses suivantes :

elena.podetti@outlook.it

nina.soleymani@univ-grenoble-alpes.fr

leo-paul.blaise@ens-lyon.fr

Une réponse sera donnée ensuite rapidement.

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Les responsables Léo-Paul Blaise, Elena Podetti, et Nina Soleymani Majd

pour le laboratoire junior « Épopées médiévales : frontières, échanges, héritages »