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La biofiction comme littérature mondiale

La biofiction comme littérature mondiale

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Colloque Biofiction)

La biofiction comme littérature mondiale

Veuillez bien soumettre vos propositions (voir le format en bas de page) à l'adresse suivante: biofiction@kuleuven.be

Date limite pour la remise des propositions: le 15 avril 2020.

Les notifications d'acceptation seront envoyées au plus tard le 15 juin.

To see this page in English, click here. 

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La biofiction est premièrement de la littérature, mais elle prend pour point de départ une biographie réelle. Elle est sous-tendue par ce que Colm Tóibín a récemment appelé « l’imagination ancrée », qui confère au récit fictionnel une crédibilité ambiguë touchant parfois à la duplicité. Les biofictions sont ainsi d’emblée situées à la croisée du monde réel et des mondes possibles. Paradoxalement, elles donnent fréquemment corps, du même coup, au réel et au possible. Mais que signifient-elles alors en tant que vecteurs de fabrication de mondes et en tant que médiation entre des expériences d’altérités culturelles parfois conflictuelles?

Des auteurs majeurs comme Robert Graves, Thomas Mann, Arna Bontemps, Zora Neale Hurston, Marguerite Yourcenar et William Styron ont innové en partie cette forme littéraire au cours du 20e siècle. La biofiction est cependant devenue plus connue encore depuis la fin des années 1980, avec les publications remarquées d'auteurs célèbres tels que Gore Vidal, Gabriel García Márquez, J.M. Coetzee, Margaret Atwood, Peter Carey, Hilary Mantel, Pierre Michon, Olga Tokarczuk et Colum McCann, pour n’en mentionner que quelques-un(e)s. Ce boom des récits qui rejouent le passé réel, projetant sur lui un regard contemporain, est-il seulement un signe que nous cherchons à élaborer une image cohérente du monde des siècles passés ou s’agit-il plutôt d’une tentative de donner forme à une nouvelle manière de voir et/ou de se situer dans le présent ? Ou encore, favorise-t-il de nouvelles conceptions et enseigne-t-il de nouvelles leçons pour l’avenir ? Compte tenu de l’intérêt académique croissant pour la biofiction (notons, par exemple, que 5 numéros thématiques consacrés à la biofiction ont été publiés depuis 2016), la prochaine étape consiste logiquement à poursuivre un dialogue international sur le sujet et explorer les facettes du genre, sur différents continents et dans différentes langues.

Fondée sur la conception de David Damrosch de la littérature mondiale comme mode de lecture plutôt que comme sélection d’œuvres canoniques, mais prenant également en considération les avertissements d’Emily Apter contre l’oubli commode de l’intraductibilité de nombreuses notions et expériences, notre projet s’inscrit dans le prolongement de la méthode de Thomas O. Beebee en utilisant le particulier et ses croisements avec l’universel comme un tremplin pour circonscrire les tendances et mutations à l’œuvre au sein de la littérature mondiale. Fidèles à l’héritage humaniste de la Bildung qui sous-tend la Weltliteratur depuis ses débuts (ainsi que l’ont souligné les travaux de Theo D’haen, David Damrosch, Djelal Kadir, Ottmar Ette, et de nombreux autres), notre approche vise une meilleure compréhension de la manière dont chaque récit individuel d’apprentissage éclaire notre monde partagé et ses valeurs. Nous nous intéressons également au processus de traduction de l’intraduisible à travers le recours au récit, surtout dans le cas d'un type de récit qui s’inspire de détails historiques dans l'objectif de refaçonner des passés familiers et moins familiers en des fictions où résonne une pertinence contemporaine.

Nous nous proposons ainsi d’examiner la capacité fondatrice de la biofiction par rapport à la vision contemporaine du monde à partir de plusieurs angles de vue complémentaires. 

La première, et peut-être la plus basique de ces perspectives touche aux enjeux de la représentation interculturelle : l’écrivain d’un pays et d’une langue devenant le sujet des  romans biographiques dans une autre langue (Le Perroquet de Flaubert de Julian Barnes, Le Maître de Pétersbourg de J.M. Coetzee, Les Trois derniers jours de Fernando Pessoa d’Antonio Tabucchi, Les Derniers jours de Stefan Zweig de Laurent Seksik, Gertude de Hassan Najmi, etc.).

Le second aspect couvre l’imagerie fondatrice émanant de figures cosmopolites qui ont façonné la carte du monde tel que nous le connaissons à travers leurs aventures à travers le globe – explorateurs, traducteurs, etc.  – comme protagonistes de romans biographiques, comme Alexandre de Klaus Mann et Les arpenteurs du monde par Daniel Kehlmann (romans sur Alexander von Humboldt), ou encore L’aventurier du hasard: Le baron de Lahontan (un explorateur du Canada français) de Réal Ouellet.

Ensuite, nous projetons de nous focaliser sur les origines hétérogènes de la biofiction. Ces racines se situent dans le roman à clé à la façon de l’entre-deux-guerres, ainsi que dans des ouvrages tels que Les Vies imaginaires de Marcel Schwob (1896), Orlando de Virginia Woolf (1928) ou encore « La quête d’Averroès » de Borges (1947), ou dans des explorations antérieures des jeux identitaires et des recyclages culturels, qui témoignent de la diversité des influences transculturelles qui ont présidé à l’émergence de ce genre. L’examen de l’héritage moderniste que la biofiction perpétue au sein du postmodernisme et au-delà peut éclairer la nature de son hybridité, et l’ouvrir au monde via le canon cosmopolite en lequel il trouve sa source.

La biofiction s’est particulièrement développée au cours des années 1930, mais est apparue en tant que genre autonome grâce au catalyseur qu’a constitué le postmodernisme. Elle a gagné une plus large reconnaissance à la faveur de l’acuité théorique du postmodernisme. Cependant, la biofiction sort actuellement des limites de la logique propre au postmodernisme. Ses innovations formelles, ses jeux avec les frontières entre fait et fiction et ses reconfigurations de l’histoire ont été largement influencées par la pensée postmoderne, mais ils ont également commencé à dévoiler de nouveaux mécanismes de symbolisation qui s’écartent de ce paradigme et redécouvrent des sensibilités modernistes ou victoriennes. Nous postulons que l’exploration des relations complexes de la biofiction avec le postmodernisme éclairera la plasticité du genre à travers le temps et révèlera sa capacité à mettre en dialogue différentes époques littéraires.

Conjointement aux biopics, la biofiction a contribué à réduire l’écart entre la tradition littéraire et la culture populaire, intégrant ainsi des figures du canon mondial dans la conscience culturelle des nouvelles générations. La participation de récents romans et films biographies au retour et à la réévaluation d’icônes culturelles à travers le monde constitue un autre aspect du questionnement que nous proposons.

La biofiction contribue à la littérature mondiale par son traitement nuancé, ancré dans les faits et très personnel des mythes nationaux et politiques. Elle crée en outre une conscience empathique unique concernant des expériences individuelles touchant à la guerre, à des traumatisme historiques ou à des révoltes sociales (Les Soldats de Salamine de Javier Cercas, El comensal [L’invité au dîner] de Gabriela Ybarra ou encore Parnell de Brian J. Cregan), mais il souligne également le rôle de l’incertitude, de l’autonomie et de la responsabilité dans la mise en forme de « faits » historiques. Le positionnement politique de la biofiction peut également prendre la forme d’une recherche de précurseurs du féminisme (par exemple dans Artemisia d’Anna Banti) ou d’une plongée dans les vies de personnages féminins obscurs (Una habitación ajena [Une chambre d’autrui] d’Alicia Giménez-Bartlett, Alias Grace [Captive] de Margaret Attwood) ou de parias indépendamment du genre (Véritable histoire du Gang Kelly de Peter Carey). Son traitement direct de sujets postcoloniaux, du Foe de Coetzee à Le rêve du Celte de Mario Vargas Llosa inscrit également la biofiction dans un dialogue mondial quant à la manière de surmonter l’impuissance.

Si la biofiction configure une vision du monde, ce n’est pas seulement au prisme de son potentiel de dépassement des limites culturelles, mais également grâce à la révélation de développements parallèles à travers de vastes espaces. Conjointement aux connexions transnationales qui font partie de la dynamique de la biofiction, nous invitons les contributeurs à explorer horizontalement la diversité de ce genre; diversité qui nous conduit bien au-delà de l’Occident, p.ex. dans des romans qui ravivent des modèles culturels animés d’une vocation universelle et/ou universaliste, comme La Dernière impératrice et L’Impératrice orchidée d’Anchee Min, Samarcande d’Amin Maalouf, ou Le savant de Bensalem Himmich.

Enfin, la biofiction pourra générer, dans l’avenir, une dynamique transnationale au niveau théorique également, où l’on constate même un dépassement des barrières linguistiques. Ainsi que le montre l’histoire du terme « biofiction » (inventé par le critique français Alain Buisine en 1990 et utilisé également par les anglicistes austro-allemands Martin Middeke et Werner Huber en 1999), de nombreux travaux académiques en français demeurent jusqu’à récemment peu connus des théoriciens anglophones, et réciproquement. Aussi, à l’occasion de ce colloque bilingue (français-anglais), nous entendons initier un dialogue consistant à propos de la nature transculturelle du sujet en jeu.

Cette conférence est organisée par le Groupe de Recherche en littérature anglaise (English Literature Research Group), en collaboration avec le groupe de recherche MDRN.

SUGGESTIONS DE THÈMES

Les communications, qui ne dépasseront pas les  20 minutes, porteront sur les sujets suivants (liste non exhaustive):

  • La biofiction comme traduction interculturelle

  • La biofiction et la représentation de l’altérité

  • Les biofictions de figures fondatrices (explorateurs, traducteurs, diplomates, conquérants, révolutionnaires)

  • Les origines de la biofiction et le roman à clef

  • La biofiction comme genre cosmopolite

  • La biofiction et l’héritage mondial (écrivains, peintres, philosophes canoniques, etc.)

  • La biofiction et les mythes nationaux (Irlandais, Italien, Espagnol, etc.)

  • La biofiction post-coloniale

  • La biofiction au-delà de l’occident (la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud, etc.)

  • La biofiction et le postmodernisme

  • Les théories de la biofiction à la croisée des traditions académiques et des jargons

  • La formation humaniste, la littérature mondiale et les valeurs de la biofiction

  • La circulation de récits biofictionnels à travers les barrières linguistiques et les frontières nationales

  • La biofiction comparée au roman historique

  • Perspectives comparatives entre biofictions occidentales et non-occidentales

  • La biofiction et la reconfiguration du genre (gender)

  • Biofiction, biopics et culture populaire à la lumière de la mondialisation

CONSIGNES POUR REMETTRE LES PROPOSITIONS

Nous accueillons des propositions de communications de 20 minutes (300 mots), ainsi que des propositions de sessions (300 mots pour le descriptif général, tout comme pour chacun des trois exposés inclus).

Les résumés, accompagnés d'une note biographique d'environ 150 mots pour chaque participant, seront à envoyer à biofiction@kuleuven.be.