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L'art (décoratif) du livre illustré fin-de-siècle : éloge du parergon (Paris)

L'art (décoratif) du livre illustré fin-de-siècle : éloge du parergon (Paris)

Publié le par Romain Bionda (Source : Hélène Védrine)

7 février 2019
Salle des Actes (Faculté des Lettres, Sorbonne Université, entrée par le 54 rue Saint-Jacques)

Journée d’études organisée par Sophie Lesiewicz (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet/ UMR THALIM) et Hélène Védrine (Sorbonne Université/ UMR CELLF),

avec le soutien de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, du Centre d’étude de la langue et des littératures françaises et du Centre Jean Mabillon (Ecole nationale des chartes)

 

« Mais l’illustration, c’est la décoration d’un livre ! » 

Qui ne connaît l’exclamation célèbre de Maurice Denis, qui ajoutait : « Trouver cette décoration sans servitude du texte, sans exacte correspondance de sujet avec l’écriture ; mais plutôt une broderie d’arabesques sur les pages, un accompagnement de lignes expressives » (« Définition du néo-traditionnisme », août 1890) ?

.Cette affirmation a blasonné une nouvelle conception du livre illustré. Attirer l’attention sur le caractère purement plastique de l’illustration et des éléments qui la déterminent déplace notre regard du texte et de l’image vers la typographie (lettre et mise en page) et le décor. Maurice Denis résout brillamment l’opposition qui voudrait que la domination de l’illustration au XIXe siècle ait dévoyé l’art de la décoration purement typographique du livre (voir Charles Saunier, Les Décorateurs du livre, 1922)

Encore faut-il donner sa pleine mesure à la notion de « décor » et de « décoration », et examiner la diversité des exemples qui peuvent appuyer une telle assertion.

Cette réévaluation du caractère décoratif du livre demande à être envisagée selon des perspectives à la fois esthétiques et théoriques.  La notion de parergon, que Jacques Derrrida (La Vérité en peinture, 1978) emprunte à Kant qui désignait ainsi les ornements extérieurs qui encadrent une œuvre d’art de manière accessoire et parfois préjudiciable, invite à apprécier le statut des éléments proprement décoratifs dans le livre : bandeaux, culs-de-lampe, fleurons, encadrements, lettrines, voire caractères typographiques, etc. Souvent invisibles et négligés, leur création a cependant occupé de nombreux artistes et typographes qui leur ont attribué un rôle majeur dans leur programme iconographique.

Que l’illustration puisse se revendiquer elle-même comme parergon, par la voix d’un Maurice Denis rêvant d’« encadrements rythmiques, de lettres fastueuses », ou d’un Auguste Lepère parlant à  propos de son À rebours (1905), d’ « ornement de la feuille de papier », d’« orfèvrerie autour des pages » et de « feston », bouleverse profondément le statut de l’image dans le livre.

À la fois extérieure et fondamentale au texte, l’illustration devient ce « décor suggestif » qui rend compte, comme tenta de le faire Remy de Gourmont dans L’Ymagier et ses éditions illustrées au Mercure de France, d’un rapport idéal entre le mot et les choses.  

Le livre fin-de-siècle ne réalise pas cet idéal de manière uniforme, comme a pu le montrer par ailleurs Evanghélia Stead (La Chair du livre, 2012). Le livre Art & Craft, comme celui de William Morris, se tourne vers l’imitation des incunables, de leurs caractères typographiques et encadrements décoratifs. Il vise à créer une harmonie par laquelle « les illustrations ne devraient pas avoir une relation plus ou moins aléatoire avec la décoration et la typographie, mais une relation essentielle et artistique. » Le livre Art Nouveau, qu’Antoine Coron désignait comme un « livre de décorateurs », met lui aussi l’accent sur les encadrements et ornements floraux ou organiques, et se caractérise par une grande innovation typographique (que l’on pense à Auriol ou à Grasset). Il bénéficie des nouvelles techniques de reproduction photomécaniques qui permettent de placer le texte en surimposition d’une illustration et de la décoration des marges, inventant de nouvelles normes de mises en page où s’impose largement la couleur. Cette esthétique décorative, qui joue sur les découpes de l’image et du texte comme l’a montré Philippe Kaenel à propos de l’Histoire des Quatre fils Aymon et des éditions d’Uzanne (Le Métier d’illustrateur, 2005), annule la distinction entre l’illustration, qui relève du régime iconographique, et l’ornementation typographique, qui relève de la sphère du bloc typographique et de la zone de lisibilité de la page.

Ce régime décoratif, loin d’être secondaire et extérieur, permet dès lors d’instaurer de nouvelles conceptions de la page, du livre, et des rapports entre le texte et l’image. Il est peut-être aussi l’étape qui permet de passer aux expérimentations des avant-gardes, dans le livre et la typographie.

C’est à cet éloge du parergon et du décor du livre qu’invite la journée d’études qui sera organisée le 7 février 2019. Il s’agira d’examiner les différentes manières dont un art décoratif du livre a pu être promu au tournant du XIXe et du XXe siècle, à travers des études portant sur l’ornementation, la typographie et l’illustration comme décoration.

Cette journée vise aussi à mettre en valeur la collection de livres fin-de-siècle de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet. Connu pour ses fonds de littérature des avant-gardes puis contemporaine, l’établissement conserve aussi un important ensemble d’ouvrages symbolistes et post-symbolistes qui se trouvent même former ses fondations puisqu’ils constituent les premiers éléments de l’originelle Collection Jacques Doucet, diligentée par André Suarès à partir de 1914. Cent ans plus tard, cette collection de livres fin-de-siècle prend une nouvelle actualité de par un second accroissement en 2014, grâce au legs Jean Bélias. Revivifiée, elle attend donc ses chercheurs qui trouveront, pour éclairer la genèse des ouvrages, manuscrits, maquettes ou correspondances, la BLJD se caractérisant par le caractère mixte de ses collections, dans une entreprise de contextualisation chère à Jacques Doucet.

 

PROGRAMME

9 h 15 : accueil des participants

9 h 30 : ouverture du colloque, par Sophie Lesiewicz (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet) et Hélène Védrine (Sorbonne Université)

10 h : Serge Linarès (université Versailles Saint-Quentin), « Effets de manuscrit dans le livre fin-de-siècle : du décoratif à l'ontologique »

10 h 30 : Marine Le Bail (université Toulouse II), « Le livre librement rêvé de Marcel Schwob »

11 h : Discussion et pause

11h 45 : Evanghélia Stead (université Versailles Saint-Quentin), « Jérôme Doucet et Georges Rochegrosse : broderies marginales autour de Trois légendes d'or, d'argent et de cuivre (1901) »

12 h 15 : Rivka Susini (université Paris-Nanterre), « Parergon symboliste dans le corpus illustré de Carlos Schwabe »

12 h 45 : Discussion et déjeuner

14 h 30 : Nicole Tamburini (historienne de l’art indépendante) : « Edmond Deman : vers une nouvelle conception du livre illustré »

15 h : Clément Dessy (université de Warwick), « Ambroise Vollard : un accordeur d’arabesques en mots et en images »

15h 30 : Discussion et pause

16 h 15 : Florence Alibert (université d’Angers) : « ‘Nous avons montré tout ce que nous pouvions ‘. De l’emploi de la couleur dans les illustrations des livres des Eragny Press de Lucien Pissarro »

16h 45 : Clémence Gaboriau (Sorbonne Université) : « Jacques Beltrand (1874-1977). Regard sur un graveur-éditeur emblématique au tournant du XXe siècle »

17 h 15 : Discussion et conclusion

 

Merci de vous munir de ce programme et de le présenter à l'entrée de la Sorbonne afin d'avoir accès à la salle.