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L'écrivain personnage de fiction

L'écrivain personnage de fiction

Publié le par Marie-Eve Thérenty

Appel à communications

 

Colloque

« L’écrivain personnage de fiction »

Université Paul Valéry- RIRRA 21

6-7 mai 2015

 

 

 

La notion de transfictionnalité récemment développée par Richard St-Gelais (fictions transfuges, Le seuil, 2009) s’intéresse aux transferts et à l’hybridation des univers fictionnels dans un même média ou dans un autre. Il peut s’agir de personnages repris à d’autres œuvres et parfois mélangés entre eux  (comme dans la série de BD The League of Extraordinary Gentlemen qui fait se rencontrer les héros de diverses œuvres du tournant du siècle : Mina Harker, l’Homme Invisible, le capitaine Nemo, le docteur Jekyll, entre autres, y font équipe contre Moriarty, l’ennemi de Sherlock Holmes), voire de l’emprunt d’univers fictifs entiers servant de décor à des variations ou des suites (les « suites » contemporaines de Mme Bovary, par exemple).  Le processus en lui-même est équivoque. En un sens, la transfictionnalité peut se lire comme une déclinaison du post-modernisme, de par sa référentialité, sa facticité et sa réflexivité ludique assumées, mais elle peut aussi se lire à rebours comme reflétant le désir- sans naïveté -d’ancrer les univers fictifs employés dans une forme de réalité objective, de « monde parallèle » autonome et inépuisable dont les œuvres, y compris originales, ne seraient que des expressions partielles. Curieux manège qui tend à la fois à dire que la littérature est exténuée, et qu’elle est infinie.

Dans ce colloque, nous aimerions étudier un cas limite de ce transfert , qui constitue pourtant une tendance contemporaine assez marquée: celui où l’auteur même de l’œuvre-source, un écrivain réel et reconnu, apparaît comme un personnage de la fiction qu’il inspire.Il peut s’agir d’un jeu intertextuel complexe dans lequel l’écrivain historique ne déroge pas à ce que l’on peut en savoir ou en inférer, ou bien, il peut s’agir de propositions qui basculent délibérément dans des spéculations fantaisistes mettant en jeu l’activité scripturaire de manière implicite ou explicite. Ainsi, dans la BD uchronique Univerne, Hetzel ayant été assassiné, Verne devient non pas écrivain mais un ingénieur qui fait réellement advenir l’univers décrit dans ses livres ; inversement dans le manga City Hall, le jeune Verne et le jeune Doyle sauvent le monde au moyen de leur écriture, qui se réalise instantanément sous la forme d’objets réels.

Dans un cas comme dans l’autre, pourtant, on  touche ici à un mode particulier de « l’effet-personnage ». D’un côté, il est bien identifié comme une personne, avec un statut proche de celui du « personnage historique », ayant sa référence dans le monde réel, et convoquant un savoir qui excède ce que la fiction en dit. Mais d’un autre côté, il transporte avec lui, en les personnifiant et en les condensant, les caractéristiques de sa propre poétique, Il tend ainsi à s’égaler symboliquement à tout l’univers fictif dont il est la métonymie, au point de se confronter à ses propres fictions et d’en subir contagieusement l’effet.

Au niveau de la réception, les effets sont tout aussi équivoques : l’écrivain « invité » dans la fiction-hôte légitime celle-ci, mais, ce faisant, la vide de son autonomie, en la constituant comme une sorte de satellite de l’œuvre de référence. L’image de l’écrivain fictionnalisé en est aussi changée : si l’intention de rendre hommage est plus fréquente que l’intention critique envers l’auteur, elle n’est jamais très loin du pastiche ou de la parodie, ni de la collection de clichés auquel l’œuvre invitée va souvent se résumer. Lla réception de l’écrivain réel va alors se trouver influencée par ses doubles fictifs- bien souvent dans le sens d’une fixation et d'une simplification. Cela nous invitera à réfléchir sur le rapport entre ces transfictions et les images médiatiques de l’écrivain, et sur la manière dont elles se nourrissent l’une de l’autre.

Ce ne sont pas seulement les écrivains de fiction qui bénéficie de ce traitement : le cas des poètes (par exemple Coleridge dans Anubis’s Gates de Tim Powers ou Keats dans Endymion de Dan Simmons, deux œuvres de science-fiction) demande sans doute une réflexion particulière quant à leur fonction et leur enjeu dans un processus transfictionnel, souvent marqué par le brouillage des registres et des genres (voir La dernière enquête du chevalier Dupin de Fabrice Bourland qui porte sur la mort de Nerval, ou L’Homme aux lèvres de Saphir de Hervé Le Corre, qui dénoue l’enquête des crimes commis par Maldoror... à l’insu de Ducasse). Au bout du compte, en traversant les frontières, l’écrivain-personnage devient un des acteurs involontaires de l’abolition de la différence entre littérature « savante » et « populaire », voire entre littérature et autres médias : Dante devient ainsi le héros d’un jeu vidéo « beat them all » : Dante’s Inferno.

Car bien sûr, ces effets de citation et de brouillage ne sont pas  à étudier dans la seule littérature : on a vu l’usage que la BD en faisait pour Verne, et il y aurait bien d’autres exemples (Hugo en uniforme dirigeant une révolution steampunk depuis son exil dans Hauteville House), mais ni les arts dramatiques, ni le cinéma (on peut songer à Gothic de Ken Russell, ou à Midnight in Paris de Woody Allen) ne sont à exclure de cette enquête.

En revanche, on évitera tout ce qui a trait aux écrivains fictifs, à l’autofiction –vaste sujet en soi- ainsi que les œuvres à dominante explicitement biographique, dans lesquels la fiction joue un rôle spéculatif différent (Blesse Ronce Noire, Rimbaud le Fils, etc…) : c’est bien le transfert de la réalité  biographique à un « monde » fictionnel autre qui retiendra notre attention.

 

Les personnes intéressées par ce colloque pourront envoyer jusqu’au 31 octobre 2014 une proposition (entre 1500 et 3000 signes) à jean-christophe.valtat@univ-montp3.fr