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Journée d'étude : "Imaginaires du temps post-apocalyptique et (ré)organisation des rapports sociaux"

Publié le par Aurelien Maignant (Source : Clémentine Hougue)

Imaginaires du temps post-apocalyptique et (ré)organisation des rapports sociaux

Journée d’étude organisée par Clémentine Hougue, Sébastien Haissat et Audrey Tuaillon Demésy

 

Aiôn (Socio-anthropologie de l’imaginaire du temps. Le cas des loisirs alternatifs)

financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR19-CE27-0008)

Besançon 

8 avril 2022

 

PRÉSENTATION

Dans son sens originel de révélation, l’apocalypse est un kaïros, un instant décisif : suspendant le chronos (le temps linéaire, chronologique), il marque une opportunité, une occasion à saisir – avec prudence (phronesis), recommande Aristote dans L’Éthique à Nicomaque. Dans son acception religieuse, le temps d’après représente le retour à une forme parfaite du monde : ainsi de l’Apocalypse de Jean où la fin des temps conduit à l’avènement de la Jérusalem céleste.

Qu’en est-il dans la science-fiction (ou plus globalement dans les fictions spéculatives) ? Depuis les premiers textes du genre, les auteurs se sont emparés du motif de la fin du monde pour imaginer de nouvelles sociétés : dès le début du XIXe siècle, dans Le Dernier Homme (1805) de Jean-Baptiste Cousin de Grainville ou The Last Man de Mary Shelley (1826), la fiction post-apocalyptique permet de mettre en perspective les problématiques des sociétés contemporaines. Les récits de fin du monde ont en effet pour fonction d’« historiciser le présent », de donner à penser « une praxis, c’est-à-dire une pratique politique du temps » (Engélibert, 2019 : 89). Les fictions des mondes d’après interrogent aussi les façons dont les individus coopèrent entre eux, se distinguent, s’éloignent ou se rapprochent ; bref, la manière dont ils (re)font société.

Dès lors, comment les spécificités de l’imaginaire du temps post-apocalyptique influent-elles sur les rapports sociaux ? À l’inverse, comment ces rapports sociaux nous informent-ils sur la nature de ce temps de l’après ? S’agit-il d’un temps social nouveau, inédit, qui redistribue les hiérarchies sociales ? Ou, au contraire, d’un temps social « à rebours », qui réinstaure, ou rejoue, les organisations sociales du passé ?

Cette journée d’étude vise à utiliser les imaginaires post-apocalyptiques comme laboratoires d’expérimentation du social, autrement dit à comprendre quelles formes de rapports sociaux peuvent être mis en jeu dans un nouvel ordre fictionnel. Mais elle consiste tout autant à saisir comment l’imaginaire du temps de l’Après renseigne sur notre présent et le passé (que celui-ci soit réel ou fictionnel). Plus largement, une réflexion sur les imaginaires du temps est attendue et la dialectique avant/après sera au cœur des interrogations de la journée. Les fictions post-apocalyptiques étudiées pourront aussi bien évoquer des mondes « en construction » (telles les fictions zombies) que des univers « nouveaux » et stabilisés prenant place plusieurs années ou décennies après un phénomène apocalyptique. Il s’agit en tous les cas d’« une formalisation projective, en ce qu’elle donne forme, ici et maintenant, à une idée de quelque chose qui n’est pas encore. » (Di Filippo et Schmoll, 2016 : 127).

D’un point de vue anthropologique, l’Apocalypse comme fin d’un monde se présente comme « l’élaboration culturelle d’un discours sur l’annihilation d’une certaine communauté morale entendue comme une totalité faisant sens » (Carey, 2019 : 13). Dès lors, questionner l’imaginaire apocalyptique invite à saisir la façon dont se construisent les discours sur le temps de l’après mais permet aussi de comprendre comment s’exprime la finitude d’un groupe ou d’un « objet social » (ibid. : 16). La dimension téléologique du temps post-apocalyptique pourra être interrogée : en tant que temporalité tendue vers une fin, quelles sont les articulations de ce temps avec, par exemple, le temps messianique ? Un film comme Matrix (The Wachowskis, 1999) présente une dystopie technologique où les humains, dominés par des machines, attendent la venue d’un sauveur : l’univers dystopique entraîne ainsi la construction d’un imaginaire utopique. La fin du monde ayant déjà eu lieu, reste l’attente du messie, dans une temporalité suspendue : c’est ici « le temps qui se contracte et commence à finir […] le temps qui reste entre le temps et sa fin » (Agamben, 2000 : 110-111). On pourra ainsi se demander en quoi le temps qui succède à l’apocalypse est, ou n’est pas, déterminé par la notion de fin, vers son attente et vers l’aspiration à un renouveau. Dans cette continuité, les liens entre dystopies et temps post-apocalyptique pourront être interrogés. Outils permettant de mettre en lumière certains dysfonctionnements de nos sociétés contemporaines, les fictions dystopiques évoquent également les dérives des sociétés de surveillance et de contrôle. Se pose alors la question des nouvelles relations sociales entre les humains qui s’installent ou disparaissent. C’est ce qu’illustrent notamment les œuvres d’Alain Damasio (La Zone du Dehors, 2007 ; Les Furtifs, 2019). Critiques acerbes des dérives du capitalisme, les histoires prenant place dans un temps post-apocalyptique témoignent aussi du réaménagement des rapports sociaux entre immobilisme, reproduction d’un ordre existant et mouvement comme moyen d’émancipation.

On pourra ainsi aborder les rapports de classe dans le contexte post-apocalyptique : un roman comme Fury de Henry Kuttner (1949), qui se situe dans un futur où l’humanité a dû s’exiler sur Vénus, présente par exemple une société de castes, dominée par des Immortels, qui vont se voir contester leur suprématie par un groupe dissident. Plus récemment, Peste (Rant en VO), de Chuck Palahniuk (2007), raconte par bribes la propagation d’un virus, dans une société divisée entre les respectables Diurnes, qui vivent le jour, et les Nocturnes, marginaux qui occupent leur nuit à des rodéos en voiture. Land of the Dead de George A. Romero montre également une société nivelée entre les ultra-riches vivant dans l’opulence et les plus pauvres, parqués dans des bidonvilles et cernés par les zombies. Dans ces exemples, on observe que le temps post-apocalyptique renforce les inégalités de classe, leur imperméabilité les unes aux autres : le futur est ainsi envisagé par ces auteurs comme non seulement profondément inégalitaire, mais aussi totalitaire, révélant une inquiétude politique profonde sur le devenir des démocraties occidentales.

Quid de la question ethnique dans le monde d’après ? Comment la situation minoritaire d’un groupe est-elle traitée après l’apocalypse ? Par exemple, dans la série télévisée Fear the Walking Dead, en pleine invasion zombie, un groupe de natifs amérindiens s’oppose à des survivants blancs et revendique la propriété de leur terre, tentant de défaire l’Histoire qui les en a privés. Cet exemple permet également d’interroger la notion même de « fin du monde », éminemment culturelle : comme le soulignent Déborah Danowski et Eduardo Viveiros de Castro (2014 ; cité dans Kyrou, 2020), pour les natifs américains, « la fin du monde a déjà eu lieu, en 1492 ». La fiction permettrait alors de revenir sur une fin du monde authentiquement vécue, voire de la réparer.

L’étude des personnages féminins dans cette temporalité de l’après doit également faire l’objet d’un examen.  La question des inégalités de genre étant particulièrement présente dans le débat public, l’analyse de son inscription dans le temps post-apocalyptique conduit aussi bien à penser la place des femmes dans la société actuelle que la nature de ce temps : c’est par exemple le cas dans La Servante écarlate de Margaret Atwood (1985), qui donne à lire l’instauration d’une théocratie après qu’une série de catastrophes écologiques a rendu la plupart des femmes stériles. Les dernières femmes en mesure de procréer sont alors forcées de devenir mères porteuses pour les grandes familles de la classe dominante. À la suite de la césure apocalyptique, c’est donc moins une nouvelle ère qu’un retour des hiérarchies archaïques qui se dessine. Après l’opportunité du kaïros, il s’agirait là d’un temps enroulé sur lui-même, « un éternel retour constituant le thème de bien des romans de science-fiction […] une histoire cyclique qui se relance à la fin et dont le temps peut se parcourir en n’importe quel sens finalement » (Martin, 2017 : 56)

Dans le prolongement de cette réflexion, on est conduit à s’interroger sur la place du religieux après l’apocalypse – d’autant plus que les religions ont produit les textes fondateurs de ce motif. Une série comme The Leftovers met en effet en évidence l’importance politique de la croyance pour faire face au temps post-cataclysmique : suite à la disparition aussi soudaine qu’inexpliquée de 2 % de la population mondiale, un groupe sectaire nommé les « Coupables Survivants » se donne pour mission de rappeler aux « restants » (leftovers) le non-sens de ce monde d’après. Face à cette apocalypse silencieuse, ces religieux fanatiques entendent faire durer la catastrophe, rester suspendus dans le temps de la fin, dans une eschatologie permanente. Il s’agit là d’une autre modalité du temps que la fiction permet d’appréhender, le temps eschatologique étant, pour Agamben, une contemplation de la fin : « Le discours apocalyptique se situe au dernier jour, au jour de la colère : il voit la fin advenir et il décrit ce qu’il voit » (Agamben, 2000 : 110). 

On se demandera, plus globalement, quels types de continuités ou de discontinuités se dessinent entre avant et après : sans exclure aucun medium ni aucune aire linguistique ou culturelle, l’étude des rapports sociaux dans le monde post-apocalyptique poursuit l’objectif d’une cartographie de cette temporalité singulière, uniquement accessible par le travail de l’imaginaire.

 

CONTRIBUTIONS

Cette journée d’étude se veut pluridisciplinaire. Les communications attendues pourront ainsi relever du domaine des sciences humaines et sociales (anthropologie, sociologie, histoire, sciences de l’information et de la communication, etc.) aussi bien que des disciplines littéraires.

Les propositions de communication (2 000 signes et 5 mots clés) accompagnées d’une courte biographie, présenteront le cadre théorique et méthodologique de la proposition envisagée, ainsi que les principaux résultats de l’analyse.

Les textes sont à faire parvenir avant le 30 juin 2021 aux trois adresses mails suivantes :

 

BIBLIOGRAPHIE

  • Agamben, Giorgio (2000). Le temps qui reste. Un commentaire de l’Épître aux Romains. Trad. Judith Revel. Paris : Rivages Poche
  • Carey, Matthew (2019). « L’apocalypse au pluriel », Terrain, n° 71, pp. 6-25.
  • Danowski, Déborah et Viveiros de Castro, Eduardo (2014), « L’arrêt du monde », in Hache, Émilie (dir.), De l’univers clos au monde infini, Bellevaux : Éditions du Dehors, p. 221-339.
  • Di Filippo, Laurent et Schmoll, Patrick (2016), « La ville après l'apocalypse Entre formalisation projective et réalisation locale », Revue des sciences sociales de la France de l’Est, décembre 2016, p. 126-133.
  • Engélibert, Jean Paul (2019). Fabuler la fin du monde. Paris : La Découverte.
  • Kyrou, Ariel (2020). Dans les imaginaires du futur. Chambéry : Éditions ActuSF.
  • Martin, Jean-Clet (2017). Logique de la science-fiction. Bruxelles : Les Impressions Nouvelles.

CALENDRIER

  •             Date limite de réception des résumés : 30 septembre 2021 
  •             Expertises et retours aux communicants : 15 décembre 2021
  •             Journée d’étude : 8 avril 2022 

COMITÉ SCIENTIFIQUE

  • Alain Agnessan (PhD, Enseignant-chercheur en littérature générale et comparée, Département de Lettres Modernes Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, Côte d'Ivoire)
  • Patrick Bergeron (Professeur titulaire, Département d’études françaises University of New Brunswick)
  • Laetitia Biscarrat (Maîtresse de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, EUR CREATES, LIRCES EA 3159, Université Côte d’Azur)
  • Manouk Borzakian (Docteur en géographie, Aiôn)
  • Laurent Di Filippo (Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, CREM EA 3476, Université de Lorraine)
  • Jean-Paul Engélibert (Professeur des Universités en Littérature Comparée, TELEM EA 4195, Univ Bordeaux-Montaigne)
  • Anne-Laure Fortin-Tournès (Professeure des Universités en Langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes, 3L.AM EA 4335, Le Mans Université)
  • Ninon Grangé (Maîtresse de Conférences HDR en Philosophie, LLCP, EA 4008 – IHRIM, UMR 5317, Université Paris 8)
  • Sarah Lécossais (Maîtresse de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication, LabSIC EA 1803, Université Paris 13)

COMITÉ D'ORGANISATION

  • Valérie Cruzin (doctorante en STAPS, Université de Franche-Comté)
  • Sébastien Haissat (MCF en STAPS, Université de Franche-Comté)
  • Clémentine Hougue (Docteure en Littérature Comparée, Le Mans Université)
  • Orlane Messey (doctorante en STAPS, Université de Franche-Comté)
  • Audrey Tuaillon Demésy (MCF en STAPS, Université de Franche-Comté)