Essai
Nouvelle parution
J.-L. Bayard, P.O.L nid d'espions

J.-L. Bayard, P.O.L nid d'espions

Publié le par Marc Escola

P.O.L nid d'espions
Jean-Luc Bayard

Date de parution : 05/06/2015 Editeur : POL ISBN : 978-2-8180-3676-1 EAN : 9782818036761 Format : Grand Format Présentation : Broché Nb. de pages : 211 p.

Quelques messages codés, surpris à l'improviste, à la jonction de deux livres, laissent flairer un drôle de flagrant délit : leurs auteurs sont complices - mais on ignore de quoi. Il suffit que d'autres ouvrages, parmi les plus silencieux, confirment ce trafic, pour que les soupçons retombent aussi sur la maison P.O.L : une organisation est-elle à l'oeuvre derrière les livres ? Les éditions participent-elles à un réseau plus vaste ? La responsabilité de l'éditeur est-elle engagée dans un incroyable cryptage d'informations et de données ? On imagine aisément les auteurs comme des gens d'action : cette idée sonne juste.
Qu'on ne nous demande plus de croire qu'ils passent innocemment leur temps à inventer des histoires.

*

Libération a publié un entretien de l'auteur avec V. Bloch-Lainé (5/8/15) :

À partir de quelques livres du catalogue, tous publiés en mai 2000 et auxquels il trouve des points communs,
Jean-Luc Bayard écrit P.O.L nid d’espions, tout à la fois une histoire volontairement partielle des éditionsP.O.L, un pastiche de filature sur la trace d’un hyperlivre qui condenserait l’essence cachée de P.O.L, un essai
sur la lecture et, surtout, un hommage à Georges Perec, dont Paul Otchakovsky-Laurens a édité la Vie mode
d’emploi et Je me souviens. Très structurée, l’enquête progresse à travers les amis de Perec (Roubaud,
Mathews), slalome dans son oeuvre, cite d’excellents palindromes et s’achève sur son premier livre, qui fut
aussi le dernier, édité posthume en 2012 : le Condottière. Rencontre avec Jean-Luc Bayard, par ailleurs
directeur de la recherche à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Saint-Etienne.

Comment est venue l’idée d’écrire P.O.L nid d’espions ?
Deux livres publiés par P.O.L en 2000 se sont rapprochés pour n’en faire qu’un: le Consul d’Islande,
d’Emmanuel Hocquard, et Sainte-Catherine, de Harry Mathews. Je trouvais quatorze phrases communes à
ces deux livres pourtant très brefs, des mots qui sautaient d’un livre à l’autre. Qu’en faire ? Cinq ans après ma
découverte, Harry Mathews publie Ma Vie dans la CIA. Me reviennent en mémoire ces quatorze phrases et je
fais une hypothèse : Hocquard et Mathews communiquent par leurs livres, donc Hocquard aussi appartient à
la CIA. En 2007, je résume ce scoop en cinq pages, je l’envoie à Libé et au Monde : pas de réactions. Démuni,
j’envoie par mail les cinq pages à la maison P.O.L qui met le texte sur le site en le titrant : P.O.L, nid
d’espions. C’était un aveu de Paul Otchakovsky-Laurens. Lui-même me mettait sur la piste de cet exercice
d’infiltration.
J’ai continué, les signes s’accumulaient : Bernard Noël, publié chez P.O.L, m’a offert le Condottière, le
premier roman de Perec publié posthume récemment. Et chez qui dormait le manuscrit du Condottière ?
Chez Alain Guérin, journaliste d’investigation à l’Humanité - et agent de la CIA. Vous avez remarqué que
dans mon livre, tout allait par deux ?
1973 est une date importante dans le livre : Harry Mathews entre à l’Oulipo.
Perec commence à rassembler ses souvenirs pour Je me souviens. Que
faisiez-vous cette année-là ?

J’avais 14 ans et je quittais mon village, La Chaise-Dieu, pour entrer au lycée au Puy-en-Velay. A ce
moment-là, le dessin compte davantage pour moi que la littérature, mais j’aime Baudelaire, comme beaucoup
d’ados ; les Hauts de Hurlevent, Ramuntcho, de Loti, et le Livre de Monelle, de Marcel Schwob, une lecture
décisive, parce qu’en lisant plus tard les Nourritures terrestres, je découvre les passerelles qui relient ces
deux livres et les livres en général. Le chemin de la lecture est celui qui va d’un livre à l’autre.
Aimez-vous la Chartreuse de Parme qui est, à la fin du livre, «le centre de
l’étoile, à partir duquel tout s’éclaire» ?

Je ne sais pas. J’ai un rapport difficile aux grands livres. Je suis un lecteur des contemporains, Cadiot,
Hocquard, Bernard Noël, Danielle Mémoire, plus loin dans le temps Blanchot et Perec : ils me donnent la clé
et je fais la marche à reculons. Je fonctionne sur un mode connectique, par rapprochements. Je vais lire la
Chartreuse parce que j’ai lu 53 Jours de Perec.
On lisait dans votre famille ?
Non, chez nous il y avait un dictionnaire et un roman. Bizarrement, c’était le quatrième tome des Jeunes
Filles, de Montherlant, les Lépreuses. Mon père avait une boucherie-charcuterie, ma mère travaillait avec lui.
Mon premier métier, c’est garçon-boucher. Je suis né dans une maison à 1 100 mètres d’altitude, dans ce
village blotti autour d’une église-tombeau, fondée au XIe siècle par le neveu de saint Odilon dans la plus pure
tradition bénédictine. Et l’un des moines de cette église est le pape Clément VI. Il a décidé de faire de cette
église son tombeau. La Chaise-Dieu, c’est un pape pour 900 habitants. Il y a des bois, de la neige, deux
saisons, l’été qui dure trois mois, l’hiver qui dure neuf mois. J’ai eu la chance de naître dans cette proximité
avec la nature, de sentir un contact avec les commencements de l’humanité. Le festival de musique classique
de La Chaise-Dieu fut créé en 1966 ; j’avais 7 ans.
Grandir à La Chaise-Dieu, c’était faire l’expérience de la grotte de Lascaux : éprouver la tension entre l’oeuvre
d’art par excellence, Rhapsodie hongroise jouée par Cziffra père et fils, et les forêts d’épicéas, la rivière, le
jardin ; avoir l’intuition que le théâtre de l’humanité, c’est à la fois l’attente des écrevisses et Cziffra. Mon père
aimait chasser, pêcher, il m’a appris l’attente ; ma mère m’a appris le travail. Mes parents n’ont jamais pris de
vacances, mais qu’est-ce que ça veut dire, des vacances, pour un homme préhistorique ? Ils m’ont aussi
appris la séparation : «Va en ville, mon fils.»
Vous rapprochez l’écriture de l’architecture…
J’ai passé quelques années en compagnie d’Edmond Jabès, sur lequel j’ai fait une thèse. Son premier livre
s’intitule Je bâtis ma demeure. Il a l’intuition très claire qu’existe une parenté entre écriture et architecture.
Je l’ai éprouvé tôt, dans des lectures pour moi déterminantes, qui furent plutôt du côté de la poésie. J’entre
dans un poème comme dans une église romane : je compte pour comprendre. L’écriture, c’est une mise en
espace. C’est pour ça que j’ai du mal avec les romans policiers, qui jouent dans le temps plus que dans
l’espace. Le palindrome est une mise en espace. Je voulais écrire un livre-palindrome, qui soit le livre de la vie
dans un sens, et celui de la mort si on le commence par la fin, avec 53 Jours, que Perec écrivait au moment de
sa mort, et le Condottière, premier et dernier livre de lui.
Un portrait de Paul Otchakovsky-Laurens, à qui est dédicacé votre livre ?
Un silencieux. J’ai été bouleversé par Une jeunesse aphone, le troisième tome de l’autobiographie de Santiago
Amigorena, parce que j’y ai vu un silencieux et tout au bout je me vois, moi, le silencieux que j’essaie de ne
plus être. Otchakovsky-Laurens, c’est le lecteur par excellence sur les traces duquel je me suis lancé et que je
ne rattraperai jamais, puisque je n’arrive pas à lire tous les livres de sa maison alors qu’il lit tous les
manuscrits de sa maison.
Remarquez-vous des invariants dans ses goûts ?
Je pense qu’il aime la géométrie, qu’il poursuit une figure qui, pour être visible, doit réunir les points les plus
éloignés les uns des autres, d’où l’hétérogénéité de ses choix d’éditeur.