Essai
Nouvelle parution
J. de Palacio, La Décadence. Le mot et la chose

J. de Palacio, La Décadence. Le mot et la chose

Publié le par Laure Depretto (Source : Marie-Pierre ciric)

Jean de Palacio, La Décadence. Le mot et la chose

Paris: Les Belles Lettres, collection "Les Belles Lettres / Essais"

2011

EAN13 : 9782251444260.

Présentation

Issue de Baudelaire, ni mouvement, ni école à proprement parler, la Décadence est un état d'esprit, un syndrome, une diathèse. Les contemporains parlaient volontiers de maladie. Plus poétiquement, le critique Charles Morice y voyait « une naissance dans une agonie », « une aurore dans la nuit » (1886). L'oxymore est bien la figure favorite d’une rhétorique qui se résout dans l’alliance des contraires: raffinement et barbarie, laideur et beauté, préciosité et argot, tous ces éléments portés à l’extrême. Remy de Gourmont situait « vers 1885 » l’entrée dans la littérature française de l’idée de décadence. Il y a bien, à cette époque, comme il y eut une Querelle des Anciens et des Modernes, une « Querelle de la Décadence », que Verlaine n’hésitait pas à comparer à la bataille d’Hernani. En étudiant le sens de ce vocable contesté, ce livre, mettant l’accent sur des questions de lexique et de grammaire, rappelle qu’on ne faisait en ce temps là, nulle distinction entre Symbolisme et Décadence, et s’interroge sur la portée de ce terme dans les domaines poétique, politique et religieux.

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Dans Le Monde des livres du 24/11/11, on pouvait lire entretien avec l'auteur avec J. Clarini:

Dans le style "décadent"

Pour la tradition contre-révolutionnaire, la France a trahi sa mission historique en 1789. La décadence, cause et conséquence de ce désastre, est un thème central de son imaginaire politique. Dans les années 1880, l'avènement de la République et la mort du comte de Chambord, avec qui s'éteint la dynastie des Bourbons, se conjuguent pour susciter un sentiment très vif du déclin. Le motif se répand dans les lettres françaises et s'épanouit dans un courant qui se réclame de Baudelaire. Jean de Palacio, professeur émérite à la Sorbonne, offre, dans La Décadence. Le mot et la chose (Les Belles Lettres, "Essais", 342 p., 35 €), une passionnante tentative de cerner la grammaire et les images de ce courant.

De quel poids pèse le procès de la société moderne, tel qu'il est fait par Baudelaire et Taine, dans la formation de la génération de 1880 - celle qui se reconnaît dans l'idée de décadence ?

Il s'agit en effet d'un véritable réquisitoire contre la démocratie. Entre 1883 et 1896, les témoignages se multiplient, souvent d'une rare virulence. La revue-pamphlet d'Octave Mirbeau Les Grimaces s'ouvre sur la fameuse "Ode au choléra" : "Autrefois la France était grande et respectée. (...) Des hommes la prirent et commencèrent sur elle l'oeuvre maudite. Ce que l'Allemand n'avait pu faire, des Français le firent ; ce que l'ennemi avait laissé debout, des républicains le renversèrent." Il récidive en 1886 : "Sommes-nous donc dans une époque d'irrémédiable décadence ? (...) L'anémie a tué nos forces physiques ; la démocratie a tué nos forces sociales." La société moderne apparaît comme un monde renversé. Valet devenu maître, maître se pavanant dans ses vices, hommes devenus femmes, tout est détraqué. A l'instar de Taine, la décadence est hostile à toute forme de jacobinisme. Un Jean Lorrain stigmatise "la salissure même des clubs jacobins" ; un Octave Mirbeau pourfend "ce jacobinisme violemment persécuteur qui n'admet ni scrupules politiques ni pitiés humaines".

Quelles sont les références historiques et la géographie que prisent les "décadents" ?

La référence fondamentale est celle du Bas-Empire romain, celui qui va de Tibère à Héliogabale (Ier-IIIe siècle). Le poète Jean Richepin voit en Néron "le plus complet comme empereur de décadence". La géographie épouse volontiers cet intérêt pour l'Histoire. Les hauts lieux de la décadence sont Rome, Byzance, Venise... On assiste à la naissance d'une sorte de mythe que l'on pourrait nommer "mythe de la ville morte" et que reflètent les titres des romans : La Mort de Venise (Barrès), Bruges-la-Morte (Rodenbach), La Mort de Corinthe (Lichtenberger), Versailles aux fantômes (Batilliat).

Comment définir la Décadence ?

Ni école (bien que le terme se rencontre parfois à l'époque) régie par un manifeste, ni mouvement constitué sous l'autorité d'un chef de file (bien que Verlaine et Mallarmé aient paru jouer ce rôle), la Décadence est plutôt un "état" ou une "disposition" d'esprit. Les contemporains, souvent hostiles, avaient fréquemment, pour la définir, recours au langage médical, à l'usage du terme "maladie". Et la "Muse malade" de Baudelaire est bien son inspiratrice. La célèbre définition de Verlaine : "C'est l'art de mourir en beauté", corroborée (et complétée) par celle de Charles Morice : "Une naissance dans une agonie", pourrait s'en approcher au plus près.

Paradoxalement, la poétique de la décadence n'est pas conservatrice mais innovante. Pourquoi ce besoin de forger une nouvelle langue ?

La Décadence est un art de l'extrême et de l'excès, poussant la modernité baudelairienne jusqu'à un point de non-retour. Il lui faut trouver un langage prêt à "tenter l'inexprimable". L'innovation s'incarne sous deux aspects : la volonté de revivifier l'ancienne langue (Villon, Rabelais, Ronsard sont constamment invoqués) et la pratique de la néologie et du barbarisme. Ce dernier point témoigne de la relation ambiguë entre la décadence et les barbares, c'est-à-dire entre destruction et renaissance. Impossible conciliation d'une langue malmenée et violentée jusque dans le trivial, et d'un idiome réservé, impénétrable au vulgaire. Se glisser, écrivait Paul Valéry en 1890, "dans l'âme d'Héliogabale ou de Nabuchodonosor comme dans celle d'un marlou qui passe".

Propos recueillis par Julie Clarini

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On peut lire sur le site nonfiction.fr un compte rendu de l'ouvrage:

"De la décadence à la modernité dixneuviémiste", par E. Marson.