Essai
Nouvelle parution
J.-B. Moraly, Le maître fou. Genet théoricien du théâtre (1950-1967)

J.-B. Moraly, Le maître fou. Genet théoricien du théâtre (1950-1967)

Publié le par Marielle Macé (Source : Jean-Bernard Moraly)

Compte rendu publié dans Acta fabula, "Théorie et esthétique dans l'oeuvre de Jean Genet" par Myriam Bendhif-Syllas.

J.-B. Moraly,

Le maître fou. Genet théoricien du théâtre (1950-1967)

Saint Genouph : Nizet, 2009

EAN: 9782707813060


Introduction

      Etranges, trompeusement frivoles, fous, les écrits théoriques de Genet sur le théâtre et l'art semblent s'annuler eux-mêmes, dénoncer leur néant, notes jetées en marge des pièces, seules importantes. Et si de très nombreux livres ou articles ont été consacrés aux Bonnes, au Balcon, aux Nègres, aux Paravents, des oeuvres aussi capitales que la Lettre à Jean-Jacques Pauvert, Le Funambule ou les Lettres à Roger Blin ont rarement suscité d'oeuvres systématiques[1].

      Plus de vingt ans après sa mort, Genet semble encore victime de la légende que ses trompeuses autobiographies ont créée. Comment imaginer le prisonnier de Notre-Dame-des-Fleurs, le vagabond du Journal du Voleur esthète et érudit ? En 1986, dans la Revue d'Histoire du Théâtre, j'ai .remis en question la légende que le livre de Sartre a officialisée[2]. Mon essai (La vie écrite, Editions de la Différence, 1988), la biographie détaillée d'Edmund White (Gallimard, 1993), la très minutieuse édition critique du Théâtre complet (Gallimard, 2002) ont amplement vérifié ces hypothèses. A la place du délinquant devenu soudainement écrivain en prison est apparu un écrivain, prêt à tout pour réaliser son oeuvre, un érudit dont les connaissances couvrent tous les domaines : Littérature, bien sûr, mais aussi Histoire de l'Art, Musique, Philosophie, Histoire, Architecture, etc… Paul Féval, Ponson du Terrail, Xavier de Montepin, Michel Zevaco, Gustave Le Rouge, Détective (toute cette littérature populaire à qui ses romans font seule référence). Et apparaissant dans des entretiens beaucoup plus tardifs[3], Ronsard, Rimbaud, d'Annunzio, Voltaire, Valéry, Baudelaire, Nerval, Gide, Jouhandeau, Cocteau (dont il connaît des poèmes par coeur), Montherlant (dont il dit beaucoup de bien dans une lettre à François Sentein, puis beaucoup de mal), Carco, Dostoïevski, Proust, Mallarmé, Bataille, Sartre, Beckett ("un grain de sable monumental"), Adamov, Homère, Platon, Straton de Strate (qu'il voulait traduire), Flaubert, Pasolini, Balzac, Claudel, Céline (qu'il admire beaucoup), Moravia, Blanchot, Nietzsche, Euripide, Eschyle, Derrida (sur qui il a écrit), Kafka, Hugo, Barthes, Tocqueville, Danton, Saint-Just, Fustel de Coulanges, Brecht (qu'il dit ne pas aimer mais qu'il semble très bien connaître), Artaud : Genet lit sans arrêt et ce lecteur infatigable écrit depuis toujours. A treize ans, sous le pseudonyme de Nano Florane, il "rédige ses mémoires", se souvient René de Buxeuil, le compositeur aveugle chez qui il fut placé en 1925. A vingt-sept ans, il envoie à Anna Bloch, à qui il a donné des cours de français, des lettres d'un ton précieux où se déploie son immense culture et s'entend déjà la musique qui le rendra célèbre[4].


[1] Signalons le beau livre de Marie-Claude Hubert qui se sert des romans, du théâtre et des textes théoriques pour définir une globale Esthétique de Jean Genet (Sedes, 1996, Collection Esthétique). Je signale à la fin de ce texte quelques récents articles consacrés à certains des textes théoriques.

[2] Jean-Bernard (Yehouda) Moraly, "Les cinq vies de Jean Genet", Revue d'Histoire du Théâtre, 1986-III,
pp. 219-245.

[3] L'entretien avec Hubert Fichte, en particulier, réalisé en 1975 est particulièrement riche en références culturelles. Mais Genet ne voulait pas qu'il soit publié en français ("Entretien Genet-Fichte", dans L'Ennemi déclaré, Gallimard, date pp. 141-176).

[4] Chère Madame, lettres de Jean Genet à Anna Bloch, éditées par Friedrich Flemming, Merlin Verlag, Hambourg, 1989. Les lettres à Frechtman, à Barbezat, à Bourseiller aident aussi à composer une sorte de "bibliothèque imaginaire de Genet".