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Esthétique & politique des figures « féminines » dans les reprises chorégraphiques : des (ré)activations féministes ?

Esthétique & politique des figures « féminines » dans les reprises chorégraphiques : des (ré)activations féministes ?

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Chloé Dubost)

Esthétique et politique des figures « féminines » dans les reprises chorégraphiques : des (ré)activations féministes ?

Journée d’Étude des doctorant·e·s du laboratoire LLA-CREATIS

 20 mai 2022
 

Cette journée d’études s’inscrit dans la continuité des réflexions amorcées lors de la journée d’études des doctorant.e.s du laboratoire LLA-CRÉATIS du 29 octobre 2021 : Les personnages « féminins » dans les réécritures féministes : Dramaturgie, esthétique et politique des classiques à la scène. Avec ce deuxième volet, nous souhaitons orienter les interrogations précédemment posées vers le domaine chorégraphique : quelles figures féminines émergent lorsque des chorégraphes font retour sur des rôles, mythes, personnages hérités de traditions culturelles et chorégraphiques ? Et comment ces actes de (re)prise participent-ils à l’activation au présent d’une mémoire féministe ? En posant ces questions, nous souhaitons nous inscrire à l’intersection entre deux champs de recherche : les études sur la mémoire en danse, fondées par les travaux sur le répertoire, les pratiques de la citation (Launay, 2018, 2019) et sur le reenactment (Lepecki, 2010 ; Franko, 2017) d’une part, et les approches féministes de l’histoire de la danse (Banes, 1998 ; Marquié, 2016) d’autre part.

Si certaines démarches de reprise de pièces chorégraphiques, ou de figures mythiques peuvent entrer dans une démarche patrimoniale de conservation du passé, une grande partie des expérimentations contemporaines qui empruntent des matériaux appartenant à l’histoire de la danse semblent se situer dans une tout autre logique. En effet, loin de constituer des espaces de conservation rigide, les pratiques de reenactment viennent au contraire révéler de nouveaux possibles contenus dans les œuvres du passé : dans son texte « The Body as Archive : Will to Re-Enact and the afterlives of Dances Author(s) », André Lepecki mettait ainsi en lien « le désir d’archive » remarquable sur les scènes contemporaines avec l’identification, dans une œuvre du passé, d’un champ créatif non épuisé de « possibilités impalpables » (2010 : 31). Plus récemment, Isabelle Launay soulignait à quel point « certains modes de reprise et de citation d’une œuvre en danse révèlent des potentiels esthétiques comme des impacts culturels et politiques imprévisibles » (2019 : 184). Aussi, les enjeux de la reprise chorégraphique sont-ils doubles : ils se situent autant au niveau de l’intention qui préside à la reprise que dans ses effets possibles dans un contexte autre que celui de ses « origines ».

Ces « impacts culturels et politiques » des reprises, nous nous proposons de les lire à travers le prisme du genre. Si les pratiques de la citation, de la réactivation, du reenactment, « loin de réassurer une tradition, peu[ven]t venir au contraire l’inquiéter » (Launay, 2019 : 24), nous pouvons penser que le regard « traditionnel 1» sur le « féminin" en danse peut être tout particulièrement court-circuité dans ces pratiques. Nous entendrons ici reprise au sens large, en envisageant toutes les démarches, qui depuis la scène, se saisissent d’un « féminin » hérité, dans une démarche anti-patrimoniale : un tel mouvement participe-t-il alors plutôt à la constitution d’un « matrimoine2 explorer et problématiser - depuis la création en danse ? » - notion à explorer et problématiser - depuis la création en danse ? 

 La question du féminisme en danse mérite cependant quelques précautions. En effet, la danse étant considérée encore aujourd’hui, dans l’inconscient collectif, comme féminine et féminisante, la tentation est grande de penser comme évidentes les relations entre féminisme et domaine chorégraphique. Or, les études sur le genre et les rapports sociaux de sexe en danse le montrent (Marquié, 2016) : l’histoire de la danse, et son historiographie, sont loin de faire la part belle aux femmes, notamment comme créatrices et chorégraphes, et l’engagement politique féministe de ces dernières ne représente pas un fait unanimement partagé. Ainsi, les projets chorégraphiques de « retours » sur l’histoire et sur la mémoire de la danse depuis des perspectives féministes - projets qui se sont multipliés depuis le début du XXIe siècle et qui ont pris des formes très diverses - se sont avérés, et s’avèrent toujours, nécessaires dans un champ traditionnellement dominé par le male gaze et, parfois, en prise avec des logiques sexistes.

Il faut également se garder de tomber dans une autre évidence : celle de « l’obligatoire » dimension politique et féministe de la (re)prise chorégraphique et du travail sur la mémoire en danse. La volonté de revisiter le répertoire ballettique et ses personnages féminins, comme celle de réactiver des figures de femmes chorégraphes sur les scènes contemporaines, peuvent participer activement au « dérèglement » (Fraisse, 2019) des représentations stéréotypées du féminin et à la subversion de la « féminité » comme essence de « l’être femme », mais aussi reconduire cet essentialisme. Il conviendra donc de se demander à quelles conditions le travail de la (re)prise en danse peut « tenir un discours féministe, véritablement politique, sur les sexes et sur les genres, sur la sexualité et sur les sexualités, sur la place des femmes dans la société et face au pouvoir3 ». Ainsi se pose la question de la représentation des corps, des corporéités et des figures « féminines », mais aussi des rapports sociaux de sexe dans des spectacles qui troublent, subvertissent, réactualisent ou encore réactivent et revitalisent des œuvres ou des figures passées.

Si cette journée d’étude se focalise sur les relations entre féminisme politique et (re)prises chorégraphiques, elle s’inscrit par ailleurs dans une interrogation plus large, posée notamment par Hélène Marquié, sur la manière dont la danse a été, et continue d’être « aux prises avec le genre » (Marquié, 2016 : 85).


 Sans constituer une liste exhaustive ou restrictive, les sujets, axes de réflexion et approches suivants pourront être abordés :
 
•       Le traitement spécifique des personnages « féminins » dans les pièces et spectacles s’emparant de récits dits « classiques » ou « mythiques » depuis des perspectives féministes. Nous pouvons tout aussi bien penser aux réécritures de récits classiques ou mythologiques chez des représentantes de la modernité chorégraphique (Martha Graham et son cycle grec) comme à des démarches contemporaines, telles que celles de Dada Masilo (Swan Lake, Giselle, Carmen, etc.) qui reprend le répertoire classique occidental dans une perspective intersectionnelle4    (Crenshaw, 2005). Comment les chorégraphes parviennent-iels à renouveler et « dérégler » un certain académisme en requestionnant, reconstruisant et dépassant ces féminités stéréotypiques et en proposant d’autres modèles de corporéité et d’autres représentations ? Comment se situent-elles.ils dans cet « espace paradoxal de tension entre des processus de normalisation et des processus de résistance à ces normalisations, voire de subversion5 » ?

•       La réaffirmation d’un « matrimoine » puisant ses sources chez des figures « mythiques » de l’histoire chorégraphique. Sont réactivées, sur les scènes contemporaines, des chorégraphes canoniques ou plus marginales, de Martha Graham à Joséphine Baker, Valeska Gert ou encore Bronislava Nijinska.

•       La réactivation de figures oubliées par les récits dominants, dans une démarche de contre-histoire et de création d’un contre-répertoire. Que permet la réhabilitation, sur scène de corps féminins tels que ceux des sorcières (Nina Santes), de la spiritualité vodoo (Betty Tchomanga) ou encore de symboles de l’objectification coloniale du corps noir (Saartje Baartman chez Robyn Orlin) ?

•       Nous pourrons également sortir du champ de la danse spectaculaire pour aller vers celui des danses traditionnelles, sociales, urbaines ou de cabaret… Autant de formes qui comptent de nombreuses figures féminines, qui repensent les représentations genrées et les rapports sociaux de sexe. À ce titre, la question des rôles dans les pratiques de danses sociales (telle qu’elle apparaît par exemple dans les pratiques de tango queer) et la manière dont ils sont repensés, troublés par leur redistribution, voire leur “réécriture”, pourra faire partie de nos questionnements.

Nous serons particulièrement attentif·ve·s à la manière dont les critères esthétiques et chorégraphiques (rôles, gestualités, relations entre les corps, occupation de l’espace scénique) sont corrélés aux normes politiques et sociales, notamment en matière de genre et de rapports sociaux de sexe. Dans cette perspective, la subversion de ces critères esthétiques peut aider à la formulation d’un contre-discours et à la représentation de corporéités alternatives – afin de critiquer et de déconstruire les attributs, injonctions et déterminations assignées aux figures considérées comme « féminines ». À partir de ce qui fonde l’intention chorégraphique, à savoir les relations spécifiques entre le corps, le temps, et l’espace (Pellus, 2016), comment, dans de telles reprises, les artistes femmes en danse se réapproprient-elles une histoire des corps, du mouvement et de la création chorégraphique ?

Dans la continuité des études esthétiques et des études de genre menées par le laboratoire LLA-CRÉATIS, nous nous demanderons quelles stratégies esthétiques, dramaturgiques et, surtout, chorégraphiques peuvent être mobilisées pour remettre en cause la « légitimité » et « l’évidence » de ces normes sociales, pour s’affranchir des définitions qui cloisonnent « les genres » et pour inventer ainsi de nouveaux « devenirs individuels et collectifs » (Plana, 2015). Différentes perspectives féministes peuvent être mobilisées (matérialiste, queer, black feminism, afroféminisme…), le genre étant construit à l’intersection de différents rapports de domination (telle que « la race » et « la classe »), et parce que les outils de lutte et d’émancipation divergent selon les différentes situations et expériences. D’autre part, cette hétérogénéité des points de vue s’offrira comme une richesse permettant d’éviter de circonscrire notre réflexion à un féminisme « blanc », aux portées universalisantes.

 Les propositions de communication (titre et résumé, entre 250 et 500 mots), accompagnées d’une notice bio-bibliographique d’une dizaine de lignes, sont attendues pour le vendredi 4 février et doivent être transmises à cette adresse : je.llacreatis@gmail.com Les communications gesticulées ou les propositions chorégraphiques et de mise en espace sont également les bienvenues.
 
1. Par « regard traditionnel », nous entendons ici le regard d’un imaginaire collectif majoritaire, pris dans des représentations stéréotypées des liens entre danse et « féminin ».

2. Selon Geneviève Fraisse, la constitution d’un matrimoine ne peut reposer sur une simple exposition d'œuvres de femmes mais nécessite de réfléchir à une synthèse de ces œuvres en construisant des lignées historiques pour nourrir le présent. Les démarches de reprises des œuvres et des figures du passé sur les scènes de danse contemporaine peuvent-elles être considérées comme de telles constructions historiographiques ? Geneviève Fraisse, Conférence « 24h contre les violences sexistes et sexuelles », Théâtre des Célestins, Lyon, novembre 2021.
 
3. PLANA Muriel, Théâtre et féminin, identité, sexualité, politique, Éditions Universitaires de Dijon, coll. Écritures, Dijon, 2012, p. 30.

4. Créé par Kimberlé Williams Crenshaw pour parler de l'intersection entre racisme et patriarcat, le concept d'intersectionnalité est abondamment repris et élargi par les penseuses féministes. Ainsi, dans son ouvrage Sexe, genre, et sexualités, Elsa Dorlin définit l' intersectionnalité   comme un concept « modèle » qui permet de penser l'articulation entre les rapports de domination, plus spécifiquement ceux liés au sexe, à la race et à la classe. Voir, DORLIN Elsa, Sexe, genre et sexualités, Paris, PUF, 2008.

5 MARQUIE Hélène, Danse et genre - Epistémologie d’un espace de recherche, Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, Université de Nice Sophia Antipolis, septembre 2014, p. 87.
 

Comité d'organisation : 
 

Pauline Boschiero, doctorante en Arts du spectacle, spécialité danse, laboratoire LLACRÉATIS, Université Toulouse - Jean Jaurès.

Leslie Cassagne, doctorante en théâtre et danse, laboratoire “Scènes du monde, création, savoirs critiques”, Université Paris 8.

Chloé Dubost, doctorante en Études théâtrales, laboratoire LLA-CRÉATIS, Université Toulouse - Jean Jaurès.

Andréa Leri, doctorante en Études théâtrales, laboratoire LLA-CRÉATIS, Université Toulouse - Jean Jaurès.


Comité scientifique :
 
Gilles Jacinto, Docteur et Professionnel associé (PAST) en Arts du Spectacle - département Art&Com, Université Toulouse 2 Jean Jaurès

Anne Pellus, Maîtresse de conférences en Arts du spectacle, spécialité danse.

Muriel Plana, Professeure en Études théâtrales.

Floriane Rascle, Maîtresse de conférences en Études théâtrales.

 

Bibliographie indicative :
 

Banes, Sally, Dancing Women: Female Bodies On Stage, New-York, Routledge, 1998. Fraisse, Geneviève, La suite de l’Histoire -Actrices, créatrices, Paris, La couleur des idées, 2019.

Franko, Mark (ed.), Oxford handbook of dance and reenactment, New York, Oxford University press, 2017.

Launay, Isabelle, Les Danses d’après I. Poétiques et politiques des répertoires, Pantin, CND, 2017.

Launay, Isabelle, Les Danses d’après II. Cultures de l’oubli et citation, Pantin, CND, 2019. Lepecki, Andre, “The Body as Archive : Will to Re-Enact and the afterlives of Dances”, Dance research journal, New York, Cambridge University Press, Vol. 42, 2010, p. 28-48.

Marquié, Hélène, Danse et genre : Épistémologie d’un espace de recherche, mémoire de synthèse pour obtenir l’Habilitation à Diriger des Recherche, Université de Nice Sophia Antipolis, 2014.

Marquié, Hélène, Non, la danse n’est pas un truc de filles! Essai sur le genre en danse, Toulouse, Éditions de l’Attribut, 2016.

Pellus, Anne (dir), Danse et Politique. Luttes, corporéités, performativités, Dijon, EUD, collection “Sociétés”, 2020.

Plana, Muriel, Théâtre et féminin, identité, sexualité, politique, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, Coll. « Écritures », 2012.

Sachs, Curt, Histoire de la danse, Dietrich Reimer/Emst Vohsen (trad.), Paris, Gallimard, 1938.