Questions de société

"Ensemble afin de défendre le savoir et la qualité de la formation du primaire à l'université", par Annliese Nef (Paris IV-SLU)

Publié le par Bérenger Boulay

Plan de la page : 1. Ensemble afin de défendre le savoir et la qualité de la formation du primaire à l'université" par Annliese Nef 2. Articles et liens récents du site SLU sur l'enseignement secondaire. 3.  Derniers Articles et liens du site SLU sur la recherche et l'enseignement supérieur. ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Ensemble afin de défendre le savoir et la qualité de la formation du primaire à l'université" par Annliese Nef (Paris IV-SLU)

 Texte publié le le samedi 29 mars 2008 sur le site de SLU :

Bien que les réformes de l'enseignement secondaire, et même primaire, aient toujours eu un impact certain sur l'enseignement universitaire, dans la mesure où les étudiants en sortent, et réciproquement, puisque les enseignants de l'Education Nationale sont formés dans le supérieur, jamais il n'est apparu aussi clairement qu'aujourd'hui que les réformes profondes mises en place dans l'Education nationale et l'Enseignement Supérieur sont pensées conjointement et visent les mêmes objectifs. Ceci ne serait pas nécessairement négatif si ces objectifs étaient bons, ce qui n'est pas le cas.

Quels sont donc les éléments qui menacent l'ensemble de notre système d'éducation et de formation ?

Du côté des personnels

  La flexibilité accrue des services est une arme redoutable. Différents instruments sont utilisé depuis déjà longtemps, comme les heures supplémentaires, mais cette année nous sommes clairement passés à la vitesse supérieure et nombre de collèges/lycées refusent en bloc le volume d'heures sup proposé. Dans l'EN comme dans à l'Université, le recours à ces heures sup (souvent imposées dans les faits) permet de remettre en cause le statut des personnels et de ne pas recruter. Les personnels se retrouvent soumis à une pression psychologique difficile, d'autant que rien n'indique que les spécificités du métier d'enseignant seront prises en considération, comme cela avait été promis, dans le cadre du recul de la date de départ à la retraite.

  Recul des fonctionnaires : partout l'objectif est de privilégier les non-fonctionnaires. Dans l'université, cela est dit clairement, mais dans le secondaire aussi, l'autonomie budgétaire prévue et l'élaboration de projets d'établissements toujours plus larges ira dans le même sens (cf lettre de mission à Darcos et les pratiques européennes : recrutement en Italie d'enseignants sur projet avec objectifs à remplir). La concurrence accrue entre enseignants plutôt que la collaboration autour de projets pédagogiques en découlera au détriment des élèves et des étudiants.

  Fin des concours de recrutement nationaux : le projet de suppression au profit d'une formation universitaire professionnalisante est très avancé au ministère. Cette suppression est dommageable pour tous. Elle soumet toujours plus les futurs recrutés au choix des chefs d'établissement, elle entraîne la disparition d'une formation de qualité. L'existence de concours nationaux anonymes est une garantie d'impartialité que n'assurera jamais aucune autre modalité de sélection et permet aux candidats d'aller enseigner ailleurs que dans leur région d'origine. Il est à parier que les critères de formation revus à la baisse ne renforceront pas l'autorité des enseignants. Enfin, cela revient à soutenir que le savoir n'est pas la priorité de la formation des élèves et ouvre un cercle vicieux : les enseignants moins bien formés formeront moins bien des élèves qui feront des étudiants de moins bon niveau, etc. Que penser, en outre, d'une autorité des enseignants qui ne reposerait pas sur le savoir acquis ? En supprimant les concours, sans le reconnaître, le ministère actuel s'apprête à donner naissance à une relation pédagogique nouvelle, sans réelle réflexion et sans motivation autre que la baisse des coûts.

  La soumission à la direction/présidence des établissements, dans le secondaire comme dans le supérieur est un des instruments retenus par le ministère pour rendre plus « efficace » la gestion des établissements au mépris de la démocratie interne.

  Dans le secondaire comme dans le supérieur, est prévue l'autonomie budgétaire dans la pénurie, ce qui ne peut que rendre plus difficile la gestion des établissements, inévitables les sacrifices et le recours accru aux contractuels. Dans l'un comme dans l'autre on fait miroiter les avantages supposés d'une individualisation des carrières selon la bonne logique « moi je suis bon, tant pis pour les autres », qui n'a jamais été qu'un miroir aux alouettes. Il est à douter que l'on privilégie les qualités individuelles (bien difficiles à évaluer) et que le clientélisme s'en trouvera renforcé ; s'il en faut un exemple, il suffit d'observer ce qui se passe dans la fonction publique territoriale.

  Il est à craindre également que la soi-disant autonomie budgétaire sans augmentations de moyens n'ait pour but que de démontrer l'impossibilité pour les établissements de faire face (exemple des universités italiennes très souvent en très grande difficulté financière), manière de renforcer la tutelle de l'Etat dans un second temps dans la plupart des établissements, tandis qu'une partie choisira la privatisation.

  Du point de vue des carrières, les choix retenus sacrifient la formation tout au long de la carrière et les possibilités d'avancement non soumis au bon vouloir du supérieur hiérarchique (concours internes, formation continue, etc.)

Savoir et système éducatif : chronique d'un désastre annoncé

  La suppression d'horaires et de filières en fonction de la rentabilité : la machine est lancée depuis quelques années dans le secondaire (cf. les profs de philo ou d'autres disciplines que l'on a invités à démissionner et à s'occuper de documentation, les profs de langue à qui l'on demande d'en enseigner une autre que celle pour laquelle ils ont été formés, etc.) ; la même logique est à l'oeuvre dans le supérieur et l'autonomie budgétaire promue ne fera que renforcer cette logique. Bien entendu, cela pose la question de la formation à l'université dans certaines disciplines qui n'ont ainsi plus de débouché dans l'enseignement et de leur pérénité à terme dans le paysage national du savoir

  Ce dernier point est renforcé par d'autres méthodes, moins « voyantes » a priori, qui se dissimulent derrière les exigences de la gestion horaire (DHG dans le secondaire, plan licence et nouvelles maquettes dans les universités). On oblige ainsi à des abandons d'horaires et d'options pour se recentrer sur un socle commun de plus en plus étroit et basique. L'appauvrissement financier se traduit donc directement par un appauvrissement intellectuel de l'enseignement, caché sous les termes de « professionnalisation » pour le supérieur, de « socle commun » pour le secondaire. Dans les deux cas, les enseignements fondamentaux fondent en volume horaire.

  Dans tous les domaines, la priorité est à la diminution des coûts à tout prix (concours de l'enseignement, bacs pro, BEP) sans logique aucune et au détriment de la qualité de la formation quelle qu'elle soit alors même que l'on privilégie, dans les discours, la formation professionnelle. La qualité a un prix : en marchandisant le savoir et sa transmission, on fait de la qualité une variable d'ajustement.

  Une professionnalisation à tout crin est promue de manière idéologique sans mesure appropriée : stages dans le secondaire, stages dans le supérieur, comme si les stages, utiles dans certains cas, étaient le sésame dans tous les cas…

  De manière générale, ce qui est promu c'est un système éducatif à deux (ou multiples) vitesses : la fin de la carte scolaire, dans un cadre qui demeure tel quel, ne peut que renforcer une ghettoïsation sociale ; les mesures prises dans le supérieur vise expressément (de l'aveu du ministère) à faire naître deux niveaux dans le supérieur : des collèges universitaires et des pôles d'excellence (Universités/grandes écoles). L'augmentation des droits d'inscription dans le supérieur, inévitable dans le cadre de l'autonomie budgétaire, ne fera que renforcer l'adéquation entre extraction sociale et accès aux formations. De toute évidence la sélection sera opérée de plus en plus tôt, ce qui nous amènera à rejoindre les pratiques européennes dans ce domaine. De manière générale, ce sont donc des filières parallèles (du primaire au supérieur) qui se mettront en place. C'est donc bien d'un choix de société qu'il s'agit.

  Ni dans le secondaire ni dans le supérieur, le savoir n'est au coeur des projets développés. Les contenus des programmes comme les méthodes d'apprentissage retenues ne peuvent qu'aboutir à une baisse générale du niveau, contrairement à ce qui est clamé, et en adéquation avec ce qui est perceptible dans les pays d'Europe qui ont appliqué ce choix.

Tous ces points sont liés de manière très imbriquée en réalité et le ministère a bien compris que pour jeter à bas le système actuel, il fallait s'attaquer aux deux bouts du problème : formation et carrière des enseignants et enseignants-chercheurs / formation des élèves et étudiants. Ce n'est qu'en sacrifiant les deux de manière globale que l'on mettra en avant quelques établissements choisis et que l'on renforcera la sélection sociale dans le cadre des formations.

Un tel constat invite à une union solidaire de tous les enseignants, de l'école primaire à l'université, pour promouvoir une autre forme de diffusion du savoir (et non d'une trop vague « culture » telle qu'elle est aujourd'hui définie). L'enjeu est d'importance puisqu'il ne s'agit rien moins que de la formation des jeunes qui constituent l'avenir de notre pays et, puisque l'évolution est en réalité pensée au niveau européen, de celui de l'Europe. Nous sommes donc collectivement placés devant une responsabilité à la fois intellectuelle, politique et sociale : il nous revient ensemble de dénoncer les impasses et les illusions d'un discours patelin qui abuse d'un soi-disant bon sens pour flatter les parents-électeurs ; il nous revient aussi de dévoiler les racines idéologiques très précises d'une posture politique qui rêve de la fin de la fonction publique, de l'individualisation systématique des carrière et, enfin, d'un éclatement radical d'un groupe social qui reste l'un des rares en France à conserver une certaine unité et une capacité de réaction notable tout en jouissant d'une image très positive dans l'opinion publique.

Annliese Nef, Paris-IV- SLU

Publié le samedi 29 mars 2008

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Autres articles publiés sur le site SLU :

Enseignement secondaire :  

"Ensemble afin de défendre le savoir et la qualité de la formation du primaire à l'université" par Annliese Nef (Paris IV-SLU) Publié le samedi 29 mars 2008 "École, halte à la pénurie !" Publié le jeudi 27 mars 2008 "Les lycéens donnent de la voix" Publié le vendredi 28 mars 2008 "La difficile recherche de l'efficacité" par Wendelin Werner, mathématicien, médaille Fields 2006 Publié le vendredi 28 mars 2008 Mis à jour le samedi 29 mars 2008

"Éducation : suppression de postes, les lycéens manifestent" Publié le jeudi 27 mars 2008 "Education : les lycées de banlieue lancent la contestation" Publié le jeudi 27 mars 2008 "Effervescence croissante dans l'enseignement secondaire" Publié le jeudi 27 mars 2008 Recherche : "Réforme de la recherche : les scientifiques sur le qui-vive" Publié le jeudi 27 mars 2008 "Nouvelle phase d'ébullition chez les chercheurs" Publié le jeudi 27 mars 2008

"Valérie Pécresse interviewée par les étudiants" Publié le jeudi 27 mars 2008 "Recherche, performance, évaluation" par Luigi Delbuono (CNRS-SLU) Publié le jeudi 27 mars 2008 Mis à jour le dimanche 30 mars 2008 "L'expert et le profane" par Sandrine Garcia, sociologue à Paris-Dauphine Publié le jeudi 27 mars 2008 Mis à jour le dimanche 30 mars 2008