Actualité
Appels à contributions
Enseigner les Lumières. Questions didactiques et construction des savoirs de l'école élémentaire à l'université

Enseigner les Lumières. Questions didactiques et construction des savoirs de l'école élémentaire à l'université

Publié le par Université de Lausanne (Source : Éric Négrel)

Enseigner les Lumières

Questions didactiques et construction des savoirs de l'école élémentaire à l'université

Projet de volume collectif sous la direction d'Éric NÉGREL

 

En tant que courant de pensée européen, les « Lumières » constituent un objet d’étude commun à plusieurs disciplines scolaires et universitaires. Si la recherche scientifique concernant les Lumières adopte volontiers une approche pluridisciplinaire, la réflexion didactique au sujet de cet objet commun d’enseignement est en revanche plus cloisonnée. Le présent volume se propose de nouer un dialogue entre les différents acteurs du monde enseignant qui sont amenés à approcher les Lumières dans le cadre de leur pratique professionnelle : les enseignants-chercheurs en études théâtrales, histoire, histoire de l’art, littérature française, littératures étrangères, musicologie ou philosophie ; les enseignants-praticiens des disciplines ou enseignements connexes dans les premier et second degrés ; les enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation et les didacticiens de ces disciplines, intervenant dans la formation initiale des futurs enseignants ainsi que dans la formation continue.

Entre le primaire, le secondaire et le supérieur, les différences ne portent pas seulement sur les découpages disciplinaires, les niveaux d’enseignement ou la variété des publics. À l’école élémentaire comme au collège et au lycée, du cycle 3 (CM 1, CM 2, sixième) à la terminale, les programmes publiés par le Ministère de l’Éducation Nationale fixent les objets d’étude, la progression des apprentissages et l’esprit « républicain » des divers enseignements. Néanmoins, le primaire, le secondaire et le supérieur partagent tout à la fois des conditions pratiques d’enseignement, des finalités à court terme liées aux échéances d’évaluation, d’examen ou de concours, et les contraintes d’apprentissage induites. Élèves comme étudiants sont au cœur de dynamiques pédagogiques semblables, qui s’efforcent de tresser ensemble l’acquisition des contenus et savoirs disciplinaires, et l’acquisition de méthodes et de compétences scolaires et universitaires, qui sont soit proprement transversales, soit celles-là mêmes des disciplines scientifiques de référence. Pour remplir leur mission, l’école comme l’université sont créatrices de savoirs hybrides et originaux, modelés par le souci pédagogique et l’« apprêt didactique » (Yves Chevallard). Savoirs scolaires et savoirs universitaires se distinguent donc ‒ selon une logique et des modalités qui leur sont propres ‒ des savoirs savants produits par la recherche scientifique. Les Lumières telles qu’elles sont enseignées, de l’école élémentaire à l’université, se constituent en objet de savoir autonome ; c’est à l’épistémologie de cet objet que le présent volume entend contribuer.

I. Une première partie de l’enquête souhaite analyser les objets d’étude spécifiques et les savoirs enseignés tels que les construisent les disciplines et les curriculums.

1. Un pan de l’enquête relève ainsi de l’histoire de l’éducation et des disciplines scolaires et universitaires : quelle est la place des Lumières dans les programmes et dans les manuels scolaires ? dans les maquettes de Licence ? dans les programmes de Master et dans ceux des concours ? À partir de quand les Lumières se sont-elles constituées en objet d’enseignement ? Comment chaque champ disciplinaire s’est-il emparé de la réalité historique afférente, avec ses particularités régionales, linguistiques, culturelles (Aufklärung en terres germaniques, Enlightenment sur les îles britanniques, Illuminismo en Italie, Ilustración et Iluminismo sur la péninsule ibérique) ? Suivant quelles modalités de transposition didactique les savoirs sont-ils enseignés dans le primaire, le secondaire et le supérieur ? Comment les diverses disciplines d’enseignement articulent-elles leur rapport à leurs propres historiographie et épistémologie ? Les derniers programmes du collège (2015-2018) et ceux du lycée (2019) accordent-ils une place nouvelle aux Lumières dans les enseignements pluridisciplinaires et transversaux qu’ils mettent en œuvre ? Quelles sont les images des Lumières données par les œuvres cinématographiques étudiées en classe ? par la littérature de jeunesse, et particulièrement par les œuvres recensées dans les « Listes de lectures pour les collégiens » qui sont proposées par l’Éducation Nationale ? Dans quelle mesure prescriptions institutionnelles et réalité enseignée se recoupent-elles ?

2. Un autre volet de l’enquête examinera les enjeux idéologiques de l’enseignement des Lumières. Les disciplines qui s’attachent à enseigner les Lumières portent sur des objets culturellement et socialement sensibles : le fait colonial, l’esclavage et le racisme, la tolérance et l’altérité, le fait religieux et le fanatisme, le rapport à l’autorité et au pouvoir, les hiérarchies et les inégalités sociales, les révoltes anti-fiscales, la place de la femme dans la société, la liberté d’expression et la liberté de la presse, la notion d’« élite culturelle », la Révolution française, les « droits de l’homme et du citoyen », l’Europe en tant qu’entité culturelle et géopolitique singulière… Dans quelle mesure les enseignements qui abordent ces « questions socialement vives » (Alain Legardez) rendent-ils compte de leurs implications idéologiques contemporaines et des controverses qu’elles peuvent susciter ? Comment se résout, dans le primaire et le secondaire, la tension entre, d’une part, l’ambition officielle des programmes et des enseignements, censés favoriser la pensée critique et la formation citoyenne, et, d’autre part, un paradigme pédagogique dominant, largement modelé par l’institution, qui tend à privilégier la transmission de savoirs univoques à leur mise en question, la neutralité d’une « vulgate » consensuelle à l’expression des conflits d’ordre éthique, politique ou scientifique ?

II. Une deuxième partie de l’enquête souhaite se pencher sur les modalités de circulation des savoirs socialement construits au sein des processus d’enseignement.

1. Un premier volet fera leur place aux analyses qui s’inspirent de la psychologie cognitive et sociale. La réalité historique des Lumières confère aux disciplines qui la prennent pour objet une position originale dans le champ des didactiques par la complexité des discours qui s’y réfèrent : aux productions savantes, aux savoirs scolaires et universitaires qui construisent l’objet « Lumières », s’ajoutent les multiples usages publics et culturels qui en sont faits, ainsi que les représentations sociales qui déterminent ces usages. Or, ces représentations, investies plus ou moins fortement de valeurs morales et sociales suivant les individus, jouent un rôle déterminant dans le processus d’appropriation des connaissances. Quelle place occupent dans les cours ces représentations sociales, qui peuvent être partagées, simplificatrices ou bien sujettes à polémique ? Dans quelle mesure et suivant quelles modalités les dispositifs didactiques prennent-ils appui sur ces représentations pour problématiser les objets d’enseignement et conduire élèves et étudiants à mettre en question leurs représentations ? De quelles façons les apprentissages peuvent-ils concilier les activités intellectuelles et la démarche d’objectivation avec l’engagement psycho-affectif et l’expression des émotions que suscite la question des valeurs ?

2. Un second volet, corollaire du précédent, entend mettre les théories et les concepts didactiques à l’épreuve des apprentissages, afin de dégager les conditions et les voies concrètes de construction, par les élèves et les étudiants, des savoirs scientifiques liés aux Lumières. L’approche socio-constructiviste permet de définir les processus cognitifs d’apprentissage et conduit à penser telles activités pratiques de conceptualisation, d’explication, de problématisation ou d’interprétation qui favorisent, par exemple, « l’apprentissage du philosopher » (Michel Tozzi), la construction en classe du « penser en histoire » (Henri Moniot) ou la mise en pratique d’une « lecture littéraire » des œuvres (Jean-Louis Dufays) par un « sujet lecteur » (Annie Rouxel et Gérard Langlade). Selon quels équilibres les enseignements peuvent-ils articuler une parole professorale détentrice de savoirs savants et volontiers déclarative avec les méthodes actives qui engagent élèves et étudiants dans la voie d’opérations intellectuelles de haut niveau, seules à même de transformer des savoirs enseignés en savoirs appris ? Étant donné que l’héritage des Lumières ne se limite pas à un ensemble de savoirs scientifiques objectifs, mais consiste également en un usage libre et public de la raison au service d’une pensée critique des textes et des discours, il convient de s’interroger sur la façon dont les apprentissages articulent l’appropriation des savoirs et l’acquisition d’un tel mode de pensée : suivant quels « processus de problématisation » (Michel Fabre), en recourant à quels types d’activités cognitives élèves et étudiants sont-ils amenés à développer leur raison critique dans la rencontre qui leur est proposée en classe avec la pensée des Lumières ? Comment l’enseignement d’une pensée émancipatrice peut-elle mettre en œuvre les conditions concrètes d’une émancipation intellectuelle ? Dans quelle mesure la conception des nouveaux programmes scolaires par cycles de trois ans détermine-t-elle une continuité pédagogique et une cohérence propre des apprentissages au sein du cycle 3, dit de consolidation (du CM 1 à la sixième), et du cycle 4, qui est celui des approfondissements (de la cinquième à la troisième) ? De quelles façons la pédagogie de projet ou les usages pédagogiques du numérique peuvent-ils favoriser ces processus d’apprentissage ?

III. La dernière partie de l’enquête souhaite étudier la place qu’occupent les Lumières dans la formation professionnalisante des futurs enseignants, ainsi que dans la formation continue. La récente « Loi pour une école de la confiance » (26/07/2019) attribue aux deux Ministères de tutelle ‒ Éducation Nationale et Enseignement Supérieur et Recherche ‒ la conception du nouveau référentiel de formation pour le Master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation). Cette réforme ‒ avec le déplacement à venir du concours en fin de seconde année de Master et un parcours de préprofessionnalisation de trois ans qui commence en troisième année de Licence ‒ va entraîner un remodelage des maquettes de Master et une reconfiguration de la collaboration entre les différents acteurs de la formation initiale. Quelles synergies didactiques peuvent naître de cette collaboration renouvelée entre enseignants des INSPÉ (Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation, ci-devant ÉSPÉ) et enseignants des Facultés ? Comment apprend-on à enseigner les Lumières au sein de ce processus de professionnalisation ? au sein des dispositifs de formation continue ? Comment s’équilibrent logiques d’enseignement et logiques formatrices ? À l’aide de quels dispositifs (méta)didactiques et suivant quelles implications épistémologiques est mise en œuvre cette formation à l’enseignement ? À quels concepts, à quelles méthodes, à quels cadres théoriques, à quelles activités intellectuelles recourent les enseignants-formateurs qui apprennent aux futurs enseignants à problématiser, à des fins d’apprentissage et suivant une démarche métacognitive, les savoirs savants propres à la tradition critique des Lumières ? Dans quelle mesure les Lumières favorisent-elle les dispositifs de formation transdisciplinaires et les approches comparatistes en didactique ? De tels dispositifs ne contribuent-ils pas à la constitution d’« objets-frontière » (Susan Leigh Star) en lien avec l’objet « Lumières », encourageant ainsi les dynamiques collaboratives ? De quelle façon la formation initiale des enseignants les conduit-elle à théoriser leur pratique préprofessionnalisante ? à construire des situations-problèmes qui articulent théorie et expérience personnelle ? à appréhender, en somme, la pédagogie comme pensée de la pratique ?

Du fait même de son objet, l’enseignement des Lumières invite à une conception critique des apprentissages qui réside dans la construction, par les élèves et les étudiants, des conditions pratiques d’intelligibilité des savoirs et dans leur problématisation. Favorisant ainsi, en théorie et en actes, la transformation du rapport des apprenants au savoir, l’enseignement des Lumières n’offrirait-il pas à l’école et à l’université un moyen de lutter contre la reproduction sociale ?

Ce projet entend réunir autour de l’objet « Lumières » des didacticiens et des spécialistes des disciplines de référence ; il fait ainsi se croiser deux champs scientifiques distincts mais qui partagent une même référence disciplinaire. Ce double ancrage épistémologique se manifestera dans la diversité des contributions, qui pourront relever de l’analyse des pratiques et des expérimentations par les enseignants, de la recherche-action, de la recherche descriptive empruntant les méthodes des sciences sociales (observations de séances de classes, questionnaires renseignés, entretiens avec les acteurs…) ou de la recherche théorique. Centré sur l’enseignement en France, avec ses spécificités institutionnelles, ses traditions critiques et historiographiques, le volume est aussi ouvert aux éclairages comparatistes venus des pays étrangers, francophones ou non.

*

Propositions de contribution (500 mots) à envoyer avant le 30 juin 2020 à Eric.Negrel@ac-lyon.fr

Articles (30000 à 40000 signes espaces compris) à rendre pour le 31 mars 2021.

*

Comité scientifique:

Sylviane AHR (INSPÉ de Toulouse, Université Toulouse – Jean-Jaurès)
Sophie AUDIDIÈRE (INSPÉ de Dijon, Université de Bourgogne)
Claire BOULARD-JOUSLIN (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)
Stefanie BUCHENAU-HAMOU (Université Paris 8 – Saint-Denis)
Jean-Charles CHABANNE (IFÉ, ENS de Lyon)
Sébastien CHARBONNIER (Université de Lille)
Marie-Noëlle CICCIA (Université Paul-Valéry – Montpellier 3)
Christian DEL VENTO (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)
Sylvain DOUSSOT (INSPÉ de Nantes, Université de Nantes)
Antoine LILTI (EHESS)
Brigitte LOUICHON (Université de Montpellier)
Christophe MARTIN (Sorbonne Université)
Anne-Marie MERCIER-FAIVRE (INSPÉ de Lyon, Université Claude-Bernard – Lyon 1)
Christian PEYTAVY (Université de Pau et des Pays de l’Adour)
Ève-Marie ROLLINAT-LEVASSEUR (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3)
Pierre SABY (Université Lumière – Lyon 2)
Pierre WACHENHEIM (Université de Lorraine)