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Écrire contre l’État. Pensée et esthétique antiétatiques aux XIXe et XXe s. (Nanterre)

Écrire contre l’État. Pensée et esthétique antiétatiques aux XIXe et XXe s. (Nanterre)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Clémentine Delaporte)

Écrire contre l’État. Pensée et esthétique antiétatiques aux XIXe et XXe siècles

Journée d’étude à l’intention des jeunes chercheurs et chercheuses

Université Paris Nanterre, 7 avril 2022

Cette journée d’étude a pour ambition d’aborder le thème de la contestation de l’État dans les œuvres du XIXe et XXe siècles. L’objectif est d’approcher les productions à la fois artistiques et théoriques émanant de milieux intellectuels ne séparant pas encore les deux approches comme le ferait la terminologie scientifique actuelle. Elle s’inscrit donc sous le signe de la recherche interdisciplinaire, et s’adresse à des jeunes chercheur·euses intéressé·es par ce type d’approche, afin de nourrir un échange intellectuel qui dépasse les limites formelles entre les disciplines.

Au XIXe siècle, période à laquelle l’État se consolide dans les sociétés occidentales, le développement des structures administratives, politiques, militaires des États occidentaux va de pair avec l’essor de plusieurs formes de contestation de cette institution. La question de l’anarchisme vient immédiatement à l’esprit, anarchisme qui, tout en ayant des racines plus anciennes, se développe considérablement durant cette période. En s’appuyant tout d’abord sur l’œuvre de Max Stirner et de William Godwin, l’anarchisme imagine une forme de vie et de société humaine indépendante de l’État, forme dans laquelle ce dernier est dépourvu de toute légitimité. Fedor Dostoïevski construit par exemple une représentation des positions anarchistes de la jeunesse russe influencée par la pensée de Bakounine dans son chef-d’œuvre Les démons. Mais l’anarchisme est une pensée complexe et multiforme. D’un côté, en effet, elle théorise une société où le collectif cherche à se passer du recours à toute autorité surplombante sur la base des principes de l’égalité et de la fraternité entre êtres humains – principes souvent ouvertement chrétiens. Il est fondamental d’explorer à ce sujet la production de Tolstoï, laquelle offre une représentation de l’anarchisme mutualiste et chrétien où la société paysanne russe est envisagée comme un terreau fertile pour la constitution d’une société nouvelle. D’un autre côté, dans la lignée de Max Stirner, la pensée anarchiste a également été associée à l’idée d’individualisme radical, idée selon laquelle l’organisation sociale n’est possible qu’en tant qu’union d’individus d’exception. Ce courant, qui se propage principalement aux États-Unis, donne naissance à la pensée « anarcho-capitaliste » selon laquelle le refus de l’État doit aller de pair avec une confiance dans l’autorégulation des lois naturelles de l’économie, lois à la lumière desquelles toute institution politique est non seulement inutile, mais encore dangereuse. L’anarchisme a également donné lieu à d’importantes contributions dans le domaine des arts figuratifs : il suffit de penser aux caricatures à travers lesquelles Daumier, en France, s’attaquait aux symboles du pouvoir, ou bien aux œuvres des Dadaïstes. Plus récemment, on s’intéressera aux développements de cette pensée à travers le mouvement de l’anarcho-féminisme ou encore à travers les différents courants anarchistes de l’Amérique du sud.

La pensée antiétatique, toutefois, n’est pas forcément synonyme de refus radical de l’État. Un bon exemple en est le socialisme, qui n’accepte la possibilité de l’État qu’à condition que celui-ci soit réformé. Au refus catégorique des institutions étatiques s’ajoute donc l’hypothèse de leur transformation et le questionnement sur les conditions de celle-ci. À partir du socialisme utopique, puis par la suite avec la maturation de la pensée communiste au XIXe siècle, la contestation de l’État en tant qu’État bourgeois, et, par conséquent, la volonté de repenser radicalement les formes de celui-ci jusqu’à sa possible suppression – comme Marx semble le suggérer –, a eu une place prépondérante dans les formes d’expression intellectuelles et artistiques les plus variées. Il suffit de penser aux œuvres de Jack London, aux surréalistes français, à la philosophie de l’histoire de Jean-Paul Sartre, à Antonio Gramsci, à Cesare Pavese et à Pier Paolo Pasolini en Italie, ainsi qu’à l’essor de l’opéraïsme italien. Un point d’intérêt majeur réside dans le versant utopique de cette pensée, versant qui a été magistralement développé, dans le contexte marxiste, par le philosophe allemand Ernst Bloch, à travers une dialectique articulée autour du « principe de l’espérance ». 

La pensée antiétatique a également été le fruit, au XIXe siècle, de groupes d’intellectuels qui, en se plaçant dans le cadre de la théorie économique libérale et sur le principe du « laissez-faire », revendiquaient le primat des lois économiques sur la règlementation de l’État, idée qui sera reprise par le néolibéralisme au XXe siècle. C’est le cas des réformateurs libéraux anglais, comme Cobden et Bright, ou de philosophes et économistes de tradition anglaise, entre autres. Dans la philosophie de Herbert Spencer, par exemple, le rôle joué par les lois de l’économie prend racine dans le cours de l’évolution : les mécanismes de l’évolution seraient alors, de ce point de vue, complètement indépendants du contrôle de toute institution étatique, qui ne pourrait que déranger leur fonctionnement et empêcher la sélection naturelle, laquelle, grâce à la survival of the fittest, est censée conduire à une société plus heureuse et mieux organisée. Il faut également ajouter à ces courants de pensée une branche antiégalitariste prônée par des cercles de penseurs et d’artistes se revendiquant d’une aristocratie de l’intelligence. Cet élitisme a été à l’origine de la formation, depuis la seconde moitié du XIXe siècle, de réunions d’artistes revendiquant leur rupture avec les institutions étatiques et mettant en place des stratégies afin de créer une société dans la société. Ce mouvement culmine au XXe siècle avec la formation d’avant-gardes qui façonnent une conception durable du génie artistique comme être supérieur n’ayant pas à rendre de comptes à l’État. Dans cette optique, l’obsession esthétique de la fin du XIXe siècle et des premières années du XXe siècle pour la violence, le sadisme, le crime, peut être lue comme un refus de se soumettre aux lois générales imposées par la collectivité, ainsi que comme une valorisation de l’artiste-aristocrate qui enfreint fictivement toutes les règles au nom d’un idéal esthétique supérieur. Cette contestation élitiste, déjà présente dans une œuvre comme celle de Baudelaire, influence les cercles parisiens dont font partie des écrivains comme Marinetti ou Apollinaire. Par la suite, une conception de l’avant-garde artistique comme celle de Breton, exclusive et agressive, peut sans doute être rapprochée de ce militantisme antiétatique fondée sur un argument élitiste, Breton ayant défendu dans le Second Manifeste du surréalisme l’idée selon laquelle tirer au hasard sur la foule constituait un acte artistique.

L’étude de ces différents courants de pensée et de leur expression artistique répond à plusieurs objectifs. D’une part il permet d’étudier dans une perspective comparatiste la pluralité et la vivacité des critiques contre l’État depuis le XIXe siècle, et ce afin de dépasser les étiquettes fréquemment associées aux idéologies politiques afin de mettre en avant leur dimension complexe, dialogique et évolutive, le but étant de montrer que la cohérence interne d’une pensée ne va pas systématiquement de pair avec la production d’un système autonome, fermé, excluant toute idée extérieure à lui-même. Dans un second temps, cette approche permet d’interroger la relation entre idéologie et création artistique afin d’étudier la façon dont la contestation contre un système établi peut jaillir d’une esthétique singulière. Enfin, un soin particulier sera apporté à la question de l’utopie, question qui englobe des enjeux interdisciplinaires et permet d’aborder les imaginaires politiques, sociaux, économiques et artistiques proposant des solutions alternatives à l’État tel que le conçoivent les deux derniers siècles. Les propositions pourront donc s’inscrire, sans s’y limiter, dans les trois axes suivants :

I. Variété et dialogisme des contestations de l’État

- Complexité et évolution de la pensée antiétatique

- Conflits et scissions dans les courants de pensée antiétatique

- Étude de l’argumentaire antiétatique dans la théorie économique

- Contextualisation des pensées antiétatiques dans l’histoire des idées

- Influence de ces courants de pensée sur les idées politiques contemporaines

II. Idéologies au sein de la création artistique

- Imaginaires et représentations artistiques de l’État

- Éventualité d’une esthétique propre à l’antiétatisme

- Méthodes scripturales d’opposition, de contestation et de subversion

- Art et programmation idéologique : l’exemple du roman à thèse

- Refus de l’État et avant-gardes artistiques

III. L’utopie contre l’État
 
- Penser/Rêver des alternatives à l’État

- Utopies antiétatiques et disciplines scientifiques

- Formes artistiques de l’utopie

- Utopies et dystopies

- Survivance contemporaines de ces utopies

 Le but de cette journée est de conserver une dimension ouverte afin de susciter des participations émanant de disciplines de recherche variées, ce afin de pouvoir croiser les approches selon une perspective interdisciplinaire. Cette optique transversale sera un atout pour montrer la manière dont ces courants de pensées se diffusent et imprègnent une grande variété d’acteurs au sein de la société. L’étude de cette propagation nous permettra, en outre, d’aborder comment ces différents argumentaires, ainsi que leur mise en forme artistique, nourrissent encore les débats actuels sur la place et la légitimité de l’État. 

Les propositions de communication, d’une longueur de 3 000 caractères maximum, espaces et notes comprises, sont à envoyer pour le 10 janvier 2022 au plus tard à l’adresse suivante : ecrirecontreletat@gmail.com, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique.

Les propositions sont ouvertes à toutes les disciplines (Économie, Histoire, Histoire des Arts, Littérature, Philosophie, Sociologie...). Les réponses seront données fin janvier 2022. La journée d’étude aura lieu le 7 avril 2022 à l’Université Paris Nanterre.

Comité d’organisation

Eleonora Buono – Alma Mater Studiorum – Università di Bologna

Clémentine Delaporte – Université Paris Nanterre.