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Écoféminismes : récits, pratiques militantes, savoirs situés (revue Itinéraires. Littérature, textes, cultures)

Écoféminismes : récits, pratiques militantes, savoirs situés (revue Itinéraires. Littérature, textes, cultures)

Publié le par Marc Escola (Source : François-Xavier Mas)

Appel à contribution pour

le numéro 2021-3 de la revue Itinéraires. Littérature, textes, cultures

Coordonné par Magali Nachtergael et Claire Paulian

Domaines concernés : Littérature générale et comparée, analyse du discours, sciences de l’information et de la communication, géographie, sciences politiques, études de genre, philosophie, histoire, arts du spectacle.

Argument

L’écoféminisme comme mouvement de pensée pose en principe que les discours qui ont rendu possible l’exploitation intensive, l’objectivation et la destruction de la nature, commencées au xviiie siècle, sont indissociables, historiquement et idéologiquement, d’un refoulement du féminin (Federici 2004, Merchant 1980). Cette approche a été, de façon militante, particulièrement développée par les féministes américaines anti-nucléaires des années 1980, qui, aux États-Unis et en Europe, effrayées par la course aux armements propre à la guerre froide, luttaient, par des blocus, des performances, des groupes d’affinités, des tracts, pour transmettre une terre habitable aux générations futures (Starhawk 2015, Cook et Gwyn 2016). La notion de « care » – de soin – était alors essentielle (Laugier 2015). De façon rétro-active, le terme s’est également mis à désigner, et à faire connaître, grâce à Vandana Shiva (2010), le mouvement chipko, mouvement de paysannes indiennes qui, en 1973 ont lutté contre la déforestation de leur terre en se collant contre les arbres, réactualisant ainsi une lutte plus ancienne dans cette région. Les années 1990, au sortir de la guerre froide, ont vu le caractère militant du mouvement non pas s’éteindre mais s’estomper légèrement et l’écoféminisme être davantage porté par un discours académique, pour lequel il devenait également un sujet de recherche. Depuis quelques années, en France, sous la menace du réchauffement climatique et à la faveur de la diffusion des questions de genre, la réflexion ouverte par les féministes anti-nucléaires et les femmes chipko, donne lieu à des traductions ou retraductions importantes[1], notamment grâce à Anne Querrien, Isabelle Stengers et Émilie Hache. Cela interroge à la fois notre imaginaire et notre pratique de la terre, notre rapport au savoir académique, et aux façons d’agir politiquement.

Perspectives

Un numéro d’Itinéraires. Littérature, textes, cultures consacré aux écoféminismes pourrait développer quatre axes, qui peuvent largement être enrichis par d’autres propositions.

Écoféminismes : poétiques de la terre et approches environnementales

Il s’agirait ici d’analyser les liens entre les récits de la terre portés par les textes écoféministes (tels qu’on peut les lire, par exemple, dans l’anthologie rassemblée par Émilie Hache), et d’autres poétiques – récits et pratiques – de la terre. On pourrait étudier le contraste, notamment genré, entre, d’une part, les textes écoféministes, qui militent pour la préservation de l’existant, l’attention au collectif et valorisent l’héritage des sorcières, et, d’autre part, les récits « survivalistes » post-apocalyptiques, centrés sur une pensée, souvent masculiniste, de l’auto-suffisance de petits groupes, voire d’individus, isolés et qui héritent davantage d’un imaginaire guerrier ou propre au roman d’aventures. On pourra, pour les récits survivalistes rassembler un corpus fait, entre autres, de sites internet (par ex. https://survivalisme-survie.fr/), de blogs (http://survivez.over-blog.com/) ou de manuels de survie. On pourrait également s’intéresser à la façon dont les textes écoféministes, permettent de questionner la notion de « géopoétique » développée par Kenneth White[2] à partir des années 1980. On pourrait à cette occasion, examiner comment les textes écoféministes, parfois collégiaux, permettent de questionner à la fois l’idée de « littérature » chère à Kenneth White et son ethos auctorial.

Il s’agirait également d’étudier la place des femmes et les rapports de genre dans différentes agricultures et de présenter des cas concrets de techniques et d’économies agricoles locales développées en lien avec des réflexions féministes (en analysant par exemple la place des questions féministes dans de développement de la permaculture, ou dans les expériences sociales et agricoles de la ZAD[3] ).

Diversité des mouvements écoféministes et des pratiques militantes

Le mot écoféministe (inventé par Françoise d’Eaubonne en 1974) est parfois revendiqué par les courants militants qu’il désigne, parfois attribué rétroactivement, et recouvre une grande variété de pratiques militantes.

Quelle histoire de l’écoféminisme peut-on faire ? Par qui et dans quel but, le nom d’écoféminisme est-il donné ? Peut-il y avoir un usage stratégique de ce mot unique qui recouvre des mouvements, voire simplement des événements (week-ends, manifestations) parfois très divers ? Ou bien qualifier d’écoféministes des mouvements qui ne se revendiquaient pas, à l’origine, comme tels, relève-t-il d’une forme de récupération politique et d’effacement des divergences ? Quels problèmes de traduction et d’interculturalité pose la circulation (ou la non-circulation) des divers textes dits « écoféministes » ?

Par ailleurs peut-on repérer, au sein des pratiques militantes, des effets d’héritage et de transmission ? Cet axe peut être l’occasion d’analyser des slogans, des rituels militants, des chants, les liens entre pratiques militantes et performances dans la perspective d’un artivisme écoféministe. Il permettra également d’interroger la résurgence du modèle des luttes anti-nucléaires des années 1970 dans celles qui ont lieu aujourd’hui[4].

Cet axe pourra bien sûr donner lieu à des études centrées sur la pensée et la réception de figures importantes, d’un point de vue militant et/ou académique, de l’écoféminisme.

Écoféminismes, spiritualité, savoirs situés, savoirs académiques

Certains textes écoféministes, comme ceux de Starhawk, font la part belle à la figure de la Grande Déesse, inventent des rites et des fêtes en son honneur, d’autres, comme ceux de Vandana Shiva invoquent la figure de la Terre Mère ; ainsi désarçonnent-ils le discours académique. Quelle place donner à cette spiritualité ? Quelle(s) socialibilité(s) induit-elle selon les lieux où elle se décline ? Quel est son rapport au pouvoir et au savoir ? Quels sont ses modèles économiques ? Y a-t-il des effets de retournement au cours desquels la critique des pouvoirs et savoirs académiques se renverserait en ré-appropriation de postures autoritaires ?

Qu’est-ce que l’embarras du discours académique dit sur ses propres impensés, sur sa propre sociabilité, sur ce qu’il définit comme fiable, et ce qu’il exclut ? Dans quelle mesure les textes écoféministes peuvent-ils se laisser appréhender par la notion de « savoir situé », tel qu’élaborée par Sandra Harding dans The Science Question in Feminism (1986) puis par Donna Harraway dans « Situated Knowledges: the Science Question in Feminism and the Privilege of partial Perspective » (1988) ?

Écoféminisme, performance, science-fiction

L’activisme au moins états-unien des écoféministes est plein d’inventivité, parfois plein d’humour. Il a pu inspirer des artistes (par ex., en France, tout récemment Camille Ducellier) et les festivals féministes[5] comptent nombre de micro-performances comme celles proposées par le collectif d’« herboristes, activistes, féministes » La Vulva. Comment interpréter ce passage de l’activisme à la scène artistique ? Faut-il y voir une dépolitisation ? Ou au contraire une forme parmi d’autres de transmission politique ?

À la suite des travaux d’Anne Larue sur le « potentiel fictionnel » de la « wicca » (dans Fiction, féminisme et postmodernité – les voies subversives du roman contemporain à grand succès, 2010) et de la journée d’études « Ursula K. Le Guin et la science-fiction féministe » coordonnée par Magali Nachtergael et Valérie Stienon en janvier 2019 à l’université Paris 13, on pourra s’intéresser ici particulièrement aux science-fictions écoféministes, par exemple celles de Starhawk The Fifth Sacred Thing (1993) ou de Sally Miller Gearhart The Wanderground (1979) ou à la place de l’humour dans le livre de Camille Ducellier Le guide pratique du féminisme divinatoire (2011).

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Informations pratiques

Modalités de soumission

Les propositions doivent être envoyées à Claire Paulian (clairepaulian@gmail.com) et Magali Nachtergael (nachtergael@univ-paris13.fr) sous la forme suivante : titre, résumé de 3 000 signes (500 mots), cinq mots-clés, cinq références bibliographiques au maximum, et une mini-bio mentionnant l’affiliation et le statut.

Nos consignes aux auteurs : https://itineraires.revues.org/2255

Nos procédures : https://itineraires.revues.org/2252

Calendrier

  • Date de remise des propositions d’articles : 15 mars 2020
  • Réponse des coordinatrices : 15 avril 2020
  • Remise de la première version de l’article : 10 novembre 2020
  • Expertise des articles : hiver 2020
  • Remise de la version finale : 15 avril 2021
  • Parution : hiver 2021

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Références

Carson, Rachel Louise, [1962] 1968, Printemps silencieux, trad. par Jean-François Gravrand, Paris, Le Livre de poche.

Cook, Alice et Kirk, Gwyn, [1982] 2016, Des femmes contre des missiles : rêves, idées et actions à Greenham Common, trad. par Cécile Potier, Paris, Cambourakis.

D’Eaubonne, Françoise, [1978] 2018, Écologie et féminisme : révolution ou mutation ?, Paris, Libre et Solidaire.

Ducellier, Camille, 2011, Le Guide pratique du féminisme divinatoire, Nantes, Joca Seria.

Federici, Silvia, [2004] 2017, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, trad. par le coll. Senonevero, Genève, Éditions Senonevero et Entremonde.

Hache, Émilie et Larrère, Catherine, 2016, Reclaim : recueil de textes écoféministes, trad. par Émilie Notéris, Paris, Cambourakis.

Haraway, Donna, [1984] 2007, « Manifeste Cyborg », dans D. Haraway, L. Allard, D. Gardey et N. Magnan, Manifeste cyborg et autres essais : Sciences – Fictions – Féminismes, Paris, Exils Éditeur.

Haraway, Donna, 1988, « Situated Knowledges: the Science Question in Feminism and the Privilege of partial Pespective », Feminist Studies, vol. 14, no 3, p. 575-599.

Harding, Sandra, 1986, The Science Question in Feminism, Ithaca, Cornell University Press.

Larrère, Catherine, 2012, « L’écoféminisme : féminisme écologique ou écologie féministe », Tracés. Revue de Sciences humaines, no 22 (21 juin 2012), p. 105‑121, [En ligne], http://journals.openedition.org/traces/5454.
DOI : 10.4000/traces.5454

Larue, Anne, 2010, Fiction, féminisme et postmodernité : les voies subversives du roman contemporain à grand succès, Paris, Classiques Garnier.

Larue, Ian, 2018, Libère-toi cyborg ! Le pouvoir transformateur de la science-fiction féministe, Paris, Cambourakis.

Laugier, Sandra, 2015, « Care, environnement et éthique globale », Cahiers du Genre, no 59, p. 127-152.

Margantin, Laurent, 2006, Kenneth White et la géopoétique, Paris, L’Harmattan.

Merchant, Carolyn, 1980, The Death of Nature: Women, Ecology, and the Scientific Revolution, San Francisco, Harper and Row.

Mies, Maria et Vandana, Shiva, [1993] 1998, Écoféminisme, trad. par Édith Rubinstein, Paris, Montréal, L’Harmattan.

Pinkola Estès, Clarissa, [1992] 1996, Femmes qui courent avec les loups. Histoires et mythes de l’archétype de la femme sauvage, trad. par Marie-France Girod, Paris, Grasset et Fasquelle.

Shiva, Vandana, 2010, Staying Alive: Women, Ecology and Development, Brooklyn, New York, South End Press.

Starhawk, [2002] 2016, Chroniques altermondialistes : tisser la toile du soulèvement global, trad. par Isabelle Stengers, Édith Rubinstein et Alix Grzybowski, Paris, Cambourakis.

Starhawk, 1993, The Fifth Sacred Thing, New York, Bantam Dell Pub Group.

Starhawk, 1979, The Spiral Dance: A Rebirth of the Ancient Religion of the Great Goddess, San Francisco, Harper and Row.

Starhawk et Stengers, Isabelle, [1982] 2015, Rêver l’obscur : femmes, magie et politique, trad. par Morbic, Paris, Cambourakis.

 

[1] Voir Hache et Larrère (2016). Voir également les travaux, notamment, de la revue Multitudes, d’Anne Querrien et d’Isabelle Stengers et les publications accueillies par l’éditrice Isabelle Cambourakis dans la collection « Sorcières ». Voir aussi Starhawk (2016) et Ehrenreich et English (2016).

 

 

[2] Voir http://www.kennethwhite.org/geopoetique/.

[3] Voir https://radioparleur.net/2018/11/28/conference-zad-communs-et-ecofeminisme-au-felipe-2018/.

[4] Voir https://reporterre.net/A-Bure-l-ecofeminisme-renouvelle-la-lutte-antinucleaire.