Actualité
Appels à contributions

"Solitude et multitude" (Doctorales de Sorbonne Université)

Chaque année, l’école doctorale 3 de Sorbonne université (Paris) propose à ses doctorants de se rencontrer au cours de deux journées d’étude. Cette année, les doctorales auront lieu le 5 juin et le 26 juin, de 9h à 12h, maison de la recherche, rue Serpente, à Paris. Tout.e doctorant.e peut soumettre une proposition de communication. Attention, les doctorales sont prévues à ce jour en présentiel, les participant.es devront donc s’assurer qu’ils – et elles – pourront être physiquement présent.es à la date indiquée. Ces dispositions sont cependant susceptibles d’évoluer en fonction de la situation sanitaire.

Solitude et multitude, 5 juin 2021

Les propositions de communication (250 mots) sont à envoyer jusqu'au 30 avril à l'adresse mail suivante: doctoralesed3@gmail.com

Retrouvez également ces informations sur le carnet hypothèses des Doctorales: https://doctorales.hypotheses.org/919

« Multitude, solitude : termes égaux et convertibles […]. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée. »

Baudelaire[1]

On connaît les célèbres scènes de retraite du XVIIe siècle : Alceste veut « chercher sur la terre un endroit écarté / Où d’être homme d’honneur [il] ait la liberté », madame de Clèves « se retir[e], sur le prétexte de changer d’air, dans une maison religieuse, sans faire paraître un dessein arrêté de renoncer à la cour » tandis que La Bruyère clôt le chapitre « De la Cour » sur la maxime : « un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite ».

En 1782 encore, dans Les Liaisons dangereuses, la marquise de Merteuil, devenue « hideuse », prend subrepticement la route de la Hollande (c’est, du moins, ce que madame de Volanges croit savoir), mais dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, la ville a déjà remplacé la Cour dans la représentation de la sociabilité : que ce soit l’arrivée de Jean-Jacques Rousseau à Paris au livre IV des Confessions ou la littérature panoptique du Tableau de Paris de Louis Sébastien Mercier, l’imaginaire plus démocratique du peuple et de la foule supplante la sociabilité feutrée, étouffante et hypocrite du milieu courtisan.

Dans ce contexte, renforcé après la Révolution par la promotion d’idéaux démocratiques et égalitaires, la quête de solitude prend un autre sens : du héros romantique au célibataire fin-de-siècle, l’isolement, volontaire ou non, marque avant tout un désir de distinction et d’authenticité. Que ce soit la prison pour le héros stendhalien ou la « Thébaïde » esthétique de Des Esseintes dans À rebours, il convient, pour l’individu, de signaler sa singularité en se distinguant d’une masse devenue anonyme.

Cette quête, présente au niveau diégétique, devient également celle de l’artiste dans le champ littéraire : dans un contexte de démocratisation du lectorat, Baudelaire représente bien cette ambivalence du créateur, déchiré entre un désir de reconnaissance, voire de communion (c’est l’art comme « prostitution ») et au contraire, un certain mépris pour ses contemporains et le refus de tout abaissement de son art.

Interroger les relations entre solitude et multitude dans le champ littéraire revient ainsi à questionner les rapports entre unicité et multiplicité de soi, entre individu et foule, entre échange avec l’autre et esseulement, entre marginalité (choisie ou contrainte) de l’auteur et recherche de reconnaissance sociale. Divers sujets pourront être abordés dans les communications tels que l’isolement de l’écrivain jugé nécessaire à l’activité d’écriture (par exemple dans Un lieu à soi de Virginia Woolf), la construction de l’appartenance de son œuvre au champ littéraire (paratopie), l’écriture comme divorce d’avec la société, comme lieu de résistance contre la pensée majoritaire (dystopies du xxe siècle, art engagé, littérature francophone, discours postcolonial) ou encore comme refonte d’une relation avec la multitude anonyme des lecteurs. 

 

Axes de recherche :

-L’individu face aux autres : isolement, retraite, réclusion, dépersonnalisation ou affirmation de soi

-Figures de la solitude et de la marginalité : naufragé, prisonnier, célibataire fin-de-siècle, misanthrope

-Sociologie littéraire, place de l’artiste dans le champ et la société, paratopie

-L’artiste, la langue, les autres, rapport aux autres par l’écriture, résistance, plurilinguisme.

 

Bibliographie :

Sources primaires

Baudelaire, Charles, Le Peintre de la vie moderne [1863] in Œuvres complètes, édition Y.-G. le Dantec revue par Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 1152-1192.

Daeninckx, Didier, « Solitude numérique », Passages d’enfer, Paris, Gallimard, « Folio », 1988.

Defoe, Daniel, Robinson Crusoé [1719], trad. fr. Petrus Borel, Paris, Libraire générale française, « Le Livre de Poche », 2003.

Fitzgerald, Francis Scott, Gatsby le Magnifique [1925], trad. fr. Jacques Tournier, Paris, Libraire générale française, « Le Livre de Poche », 1976.

Garcia Marquez, Gabriel, Cent ans de solitude [1967], trad. fr. Claude et Carmen Durand, Points, 1995.

Gramsci, Antonio,  Cahiers de prison [1948], 5 vol., trad. fr. Monique Aymard, Françoise Bouillot, Paolo Fulchignoni, Gérard Granel, Pierre Laroche, Nino Negri et Claude Perrus, Gallimard, « Bibliothèque de Philosophie », 1978-1996.

Huysmans, Joris-Karl, À rebours [1884], éd. Marc Fumaroli, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1977.

Koltes, Bernard-Marie, Dans la solitude des champs de coton, Les Éditions de Minuit, 1987.

Rousseau, Jean-Jacques, Rêveries du promeneur solitaire [1782], Paris, Libraire générale française, « Le Livre de Poche », 2001.

Woolf, Virginia, Un lieu à soi [1929], trad. fr. Marie Darrieussecq, Paris, Denoël, 2015.

 

Sources secondaires

-Villes et imaginaire des foules :

Benjamin, Walter, « Baudelaire ou les rues de Paris », in Paris, capitale du XIXe siècle : le livre des passages [1939], éditions du Cerf, 1989. 

Broch, Hermann, Théorie de la folie des masses, édition établie par Paul Michael Lützeler (traduit de l'allemand par Pierre Rusch & Didier Renault), Paris, éditions de l’Éclat, 2008.

Citron, Pierre, La Poésie de Paris de Rousseau à Baudelaire, 2 vol., Paris, éditions de Minuit, 1961.

Delouvée, Sylvain, La Psychologie des foules, recueil de textes XIXe et XXe siècles, postface de Michel-Louis Rouquette, Paris, L’Harmattan, 2007

Paul, Jean-Marie (dir.), La Foule : mythes et figures : de la Révolution à aujourd'hui, Centre d'Etudes et de Recherche sur Imaginaire, Ecritures et Cultures, Rennes, PUR, « Interférences », 2004.

Scheuren, Robert, « Paris, ville souffrance, chez Baudelaire et Rilke », in Journées Baudelaire, Bruxelles, Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises, 1968. 

-Marginalité :

Becker, Howard, Outsiders. Studies in the Sociology of Deviance, London, The Free Press, 1966.

Borie, Jean, Le Célibataire français [1976], Paris, Libraire générale française, « Le Livre de Poche », 2002.

Boulimié, Arlette (dir.), Figures du marginal dans la littérature française et francophone, Recherches sur l’imaginaire, n° 29, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 2003.

Brombert, Victor, La Prison romantique : essai sur l’imaginaire, Paris, José Corti, 1975.

Prince, Nathalie, Les Célibataires du fantastique : essai sur le personnage célibataire dans la littérature fantastique de la fin du XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2002.

-Écriture et solitude, champ littéraire et paratopie :

Comte-Sponville, André, L’Amour, La Solitude, Paris, Albin Michel, 2000.

Conche, Marcel, Le Destin de solitude, La Versanne, Encre Marine, 2003.

Maingueneau, Dominique, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004.

Powys, John Cowper, A Philosophy of Solitude, Londres, Jonathan Cape, 1933.

Rabaté, Dominique (dir.), L’invention du solitaire, Presses Universitaires de Bordeaux, 2003.

Starobinski, Jean, Portrait de l’artiste en saltimbanque [1970], Gallimard, 2004.

 

[1] Charles Baudelaire, « Les Foules », Le Spleen de Paris [1869] in Œuvres complètes, édition Y.-G. le Dantec revue par Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 243-244.