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Dispositifs d’écoute et politiques du sonore sur les scènes contemporaines. Projet de numéro thématique pour la revue Thaêtre.

Dispositifs d’écoute et politiques du sonore sur les scènes contemporaines. Projet de numéro thématique pour la revue Thaêtre.

Publié le par Université de Lausanne (Source : Noémie Fargier)

1. Contours du projet

Ce projet de publication s’intéresse aux créations qui, dans le domaine du spectacle vivant, mettent en place un dispositif sonore définissant une certaine modalité d’écoute ou d’attention. Il questionne les moyens matériels et humains accordés à la mise en place de ces dispositifs d’écoute, à l’échelle des créations, des lieux qui accueillent et/ou co-produisent ces créations et des institutions qui les financent.

Dans la continuité des recherches historiques menées au sein de Thalim par le groupe de recherche sur le son au théâtre initié par Marie-Madeleine Mervant-Roux et le projet ANR ECHO (ÉCrire une Histoire de l’Oral), ce projet de publication, portant sur la période contemporaine, contribue à accroître la place des études sonores dans la recherche en études théâtrales qui, bien que suscitant un intérêt croissant, restent encore trop marginales en France. Il apportera une contribution concrète à l’étude d’un tournant acoustique dans les arts vivants contemporains, et permettra de relier une approche esthétique à une approche politique et sociétale. 

 
2. Notions clés et axes de réflexion

Le philosophe Michel Foucault désigne par dispositif « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit autant que du non-dit »[1]. Ce qui caractérise le dispositif, c’est avant tout sa « fonction stratégique »[2]. Giorgio Agamben appelle quant à lui dispositif « tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants »[3]. Au théâtre, la notion de dispositif prend d’abord un sens spatial.

Le dispositif scénique désigne ainsi la disposition de l’espace scénique en rapport avec celui des spectateurs : dispositif frontal, bi-frontal, quadrifontal, circulaire ou encore déambulation. La notion de dispositif, au sens foucaldien, est néanmoins présente dans les créations scéniques contemporaines. Elle peut prendre un sens technique : dispositif de diffusion (sonore), de projection (vidéo), mais aussi esthétique ou dramaturgique : dispositif de monstration, d’adresse. 

Les dispositifs, dans les œuvres de spectacle vivant, donnent le cadre d’un rapport, en mettant en place une stratégie à l’intention d’un ensemble de destinataires (les spectateurs) afin de modeler une expérience. 

Ce que nous désignons par dispositif d’écoute, dans le spectacle vivant, se situe à l’intersection de ce que Foucault et Agamben désignent par dispositif, par son orientation stratégique, et du sens plus concret et matériel du dispositif par l’élaboration, le choix et la disposition d’un système technique ou d’une structure acoustique, déterminant la manière dont les émissions sonores parviennent aux spectateurs, et conditionnant par là leur écoute. Si le terme de dispositif sonore a une connotation plus technique, la notion de dispositif d’écoute inclut la dimension humaine et vivante des destinataires de ce dispositif. Il s’agit alors de définir les modalités de la relation entre les spectateurs et le dispositif, lequel détermine un rapport à l’œuvre et conditionne leur expérience. L’objectif est aussi de creuser et d’élargir l’appréhension de l’expérience spectatorielle, en s’intéressant à la fois à sa dimension esthétique (physiologique, sensorielle, émotionnelle) et à sa dimension sociale (collective, humaine, et inscrite dans un contexte socio-historique). 

L’étude des politiques du sonore, à l’échelle de l’équipe artistique, des lieux de création et des institutions culturelles, permettra d’évaluer la place et les possibles mises en place de ces dispositifs, c’est-à-dire non seulement leur rôle dramaturgique et esthétique, mais aussi les paramètres économiques, matériels et humains. Il s’agira d’évaluer, au sein des lieux de programmation et des politiques de soutien à la création, les évolutions récentes en termes d’attention portée au sonore, et le rôle réel qui lui est accordé, afin d’interroger sa centralité ou sa marginalité. Il s’agit en quelques sortes d’aborder le sonore comme une « minorité », et d’évaluer les politiques qui sont menées afin d’accroître son importance au sein des créations, des programmations, et des lieux de diffusion.


3. Approches, corpus et cadrage historique 

Cette publication a pour objet les œuvres de spectacle vivant dans lesquelles un dispositif d’écoute singulier est mis en place avec l’intention d’émouvoir ou de faire réfléchir les spectateurs, en réaction à un contenu sonore transmis, au dispositif en lui-même, ou par une opération de détournement de leur attention vers un autre contenu, visuel ou sonore.

Le corpus des œuvres étudiées pourra comprendre des spectacles diffusés entre 2010 et aujourd’hui, en salle ou en extérieur, en France ou en Europe et dans les pays francophones, sans limitation de genre, selon une approche génétique s’intéressant aux intentions des créateurs.trices, ou par l’analyse des œuvres en elles-mêmes et/ou de l’expérience de spectateur.trice.

En plus du corpus d’œuvres, cette publication encourage à évaluer les moyens alloués à la mise en place de ces dispositifs d’écoute, à l’échelle des compagnies, des lieux de programmation (dont quelques lieux portant une attention particulière à la création sonore tels le T2G, la Péniche Pop, le Studio-Théâtre de Vitry, MA Scène Nationale à Montbéliard) et des institutions culturelles. Elle invite à se pencher sur les lieux d’écoute dans leur dimension concrète, par l’étude de leur acoustique et leurs éventuels systèmes de diffusion sonore. Elle encourage à mettre en lien et à nommer tous les acteurs de la « chaîne du son », du concepteur au régisseur d’accueil et des instances de production aux spectateurs.

Nous proposons d’analyser les évolutions récentes dans les pratiques d’écoute et dans la prise en compte de la dimension sonore du théâtre, de la part des créateurs.trices, des spectateurs.trices, des institutions et des chercheurs.euses. Nous faisons l’hypothèse que le développement du podcast depuis les années 2010 donne une résonance d’autant plus grande à l’acte collectif de venir entendre (et voir) une œuvre, dans un temps et un lieu donnés. C’est donc aussi ce désir d’entendre, et cette fragilité de l’attention auditive que nous invitons à sonder à travers l’étude des dispositifs d’écoute. Il s’agira par ailleurs d’évaluer les tournants historiques qui ont pu modifier les attitudes d’écoute et le rapport au collectif. La pandémie du Covid-19, qui a contraint les salles de spectacle à fermer leurs portes pendant plusieurs mois, a produit un double changement : d’abord le fait d’être réunis en nombre dans un espace clos ne va plus de soi ; ensuite l’absence d’accès aux salles a conduit les spectateurs et les lieux culturels à remédier au manque par d’autres supports. 

Les programmes audio en ligne à la demande, désignés par le terme de podcast, ont connu une expansion grandissante et ont occupé une nouvelle place dans les pratiques culturelles de masse. Ce phénomène de mode a été repris par un grand nombre de théâtres, qui se sont mis à produire leurs propres podcasts. Il convient alors de se demander dans quelle mesure cette mise en avant du médium sonore par les salles de spectacle peut ou non influer sur leurs choix de programmation et se répercuter, à plus long terme, sur l’attention portée au sonore dans la création théâtrale contemporaine, non seulement de la part des équipes artistiques, des programmateurs et des directeurs techniques, mais aussi des spectateurs et des chercheurs. Le tournant sonore des lieux d’écoute peut-il venir à la fois du boom de l’écoute portative et de la redécouverte de la co-présence ?


4. Soumission des propositions

La revue Thaêtre est une revue en ligne, qui rend possible des formats variés, à la fois en termes de volume et d’approches (abécédaires, questionnaires, formats courts, entretiens croisés chercheurs/artistes, diaporamas commentés, reportages etc.). Le présent numéro pourra ainsi accueillir des articles au format académique et des formats s’inscrivant dans la ligne éditoriale de la revue. 

Les propositions, en français ou en anglais, comporteront un titre et un résumé (1500 signes, espaces compris) ainsi que des mots-clés. Elles seront accompagnées d'une brève bio-bibliographie de l’auteur. Elles devront parvenir en format Word par courrier électronique conjointement à Noémie Fargier (noemie.fargier@u-picardie.fr), Marion Chénetier-Alev (marion.chenetier-alev@ens.fr), et Élodier Hervier (e.hervier@univ-lyon2.fr) pour le 15 mai 2022. Réponse aux auteurs : 15 juin 2022.

Les communications écrites seront ensuite à rendre pour le 1er novembre 2022.

N’hésitez pas à nous écrire pour toute question ou complément d’information.

 

Bibliographie sélective

Adorno, Theodor W., Le caractère fétiche dans la musique et la régression de l’écoute, trad. Christophe David, Paris, Allia, 2010 [1938].

Agamben, Giorgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, trad. Martin Rueff, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2014.

Bachelard, Gaston, « Rêverie et radio » in Le droit de rêver, Paris, PUF, 1970, p. 216-217.

Bandt, Ros, Duffy, Michelle et Mackinnon, Dolly (dir.), Hearing places: Sound, Place, Time and Culture, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2007.

Benjamin, Walter, L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique (première et deuxième versions) in Œuvres III, trad. Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, 2000.

Bourriaud, Nicolas, Esthétique relationnelle, Paris, Les presses du réel, 1998.

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Bovet, Jeanne et Mervant-Roux, Marie-Madeleine (dir.), L’Écho du théâtre 2. La scène parle. Voix, acoustiques et auralités, seconde moitié du XXe siècle, Revue Sciences/Lettres, n°6, Les éditions de la rue d’Ulm, 2019, https://journals.openedition.org/rsl/1294 [consulté le 05/07/21].

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[1] « Le jeu de Michel Foucault » (1977) in Michel Foucault, Dits et Écrits II, p. 299, Paris, Gallimard, 2017.
[2] Ibid.
[3] Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Éditions Payot&Rivage, 2014, p. 31.