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Les morales de Diderot. Hier et aujourd'hui (Cerisy-la-Salle)

Les morales de Diderot. Hier et aujourd'hui (Cerisy-la-Salle)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Gerhardt Stenger)

LES MORALES DE DIDEROT. HIER ET AUJOURD’HUI

11-18 août 2020

La Société Diderot a soutenu en 2019 un colloque consacré à « Diderot, la religion, le religieux ». Toujours sous son égide, nous souhaitons en 2020 explorer cette fois les implications morales de la philosophie diderotienne. Fondée sur un athéisme vertueux, celle-ci n’a cessé d’interroger, sous une forme à la fois discursive, poétique et romanesque, les apories et les embûches de l’intransigeance morale au regard des vicissitudes du réel. Après un état des lieux de la pensée morale de l’écrivain et du philosophe, et une mise en perspective de ses positions réformatrices, révolutionnaires ou sceptiques, nous aimerions évoquer la pertinence de ses propositions face à la construction d’une éthique contemporaine confrontée à de nouveaux défis sociaux, juridiques, médicaux et politiques.

Tout le monde connaît le mot de Diderot : son « tic », avoue-t-il dans la Satire première, c’est de « moraliser », autrement dit de « faire des réflexions morales » selon la définition des dictionnaires de l’époque. Ces réflexions morales, on les trouve d’abord dans la correspondance et les contes. Diderot y interroge ses correspondants et son lecteur sur des cas de conscience (problématiques), qu’il s’agisse de l’avocat qui a livré un fripon à la justice, de la fille qui veut se faire faire un enfant, du comportement de Gardeil ou de l’infidélité de Desroches. « Est-il bon ? Est-il méchant ? ». Il s’agit alors de montrer en quoi cette mise en forme qui introduit de gré ou de force le lecteur dans une interrogation, dans une « expérience morale » (L. G. Crocker), est une technique tout à fait spécifique de Diderot conteur. On montrera aussi, de manière plus générale, comment chez Diderot la littérature sert à mettre en scène les interrogations et les doutes, à confronter la loi morale universelle à des situations concrètes et particulières.

Les cas de conscience évoqués dans la correspondance et les œuvres de fiction ne peuvent pas être résolus de manière définitive, « ce serait une dispute à ne finir qu’au Jugement dernier » (Ceci n’est pas un conte). Chaque cas est unique, ce qui interdit qu’on puisse se référer à une éthique, à un traité de morale, pour le résoudre. N’y aurait-il pas plusieurs morales ? Une morale « propre à une espèce d’animaux, et une morale propre à une autre espèce » (Salon de 1767) ? Une morale propre à différents individus ? aux artistes, aux commerçants, aux philosophes et ainsi de suite ? La diversité des comportements individuels grève toute tentative d’élever une norme morale au rang d’idéal humain. Diderot a longtemps cru pouvoir fonder une morale universelle sur des principes autres que religieux – la philosophie de Shaftesbury, le fatalisme matérialiste de la Lettre à Landois– mais il n’a jamais pu refouler la tentation du relativisme moral, la revendication de morales particulières, sinon l’absence de toute morale. On a depuis longtemps fait justice de la contradiction insoluble entre le cœur et la raison de Diderot, d’une prétendue incompatibilité entre matérialisme et morale, mais il n’en est pas moins vrai que Diderot est incapable de réfuter en bonne et due forme l’amoralisme du Neveu de Rameau qui ne fait que se conformer aux valeurs de son époque. Son interlocuteur a beau marteler que la vertu fait le bonheur de l’homme ; Rameaului rétorque sans difficulté que les exemples du contraire sont légion : ne voit-on pas « une infinité d’honnêtes gens qui ne sont pas heureux ; et une infinité de gens qui sont heureux sans être honnêtes » ? La leçon tirée par Diderot de l’échec de la morale universelle fondée sur l’équivalence de la bienfaisance et de la vertu est d’ordre politique : ce qui est relatif, c’est la vertu, ce qui est universel, c’est la justice. Mais des questions embarrassantes surgissent aussitôt : est-il permis de se mettre au-dessus de lois profondément injustes ? Les révolutions sont-elles moralement justifiables ?Quelle est la place du philosophe auprès des souverains ? Jusqu’à quel point est-il moralement justifiable de se laisser instrumentaliser pour leur propagande ? On tâchera de montrer en quoi les dernières œuvres de Diderot, notamment politiques et morales, témoignent d’un engagement politique marqué par une radicalisation sensible.

Comment pourrait-on oublier enfin qu’à côté du Diderot moraliste il existe un Diderot moralisateur dont les héros s’appellent Richardson, Greuze et Dorval ? Ce Diderot-là prêche éloquemment la vertu dans ses drames bourgeois et rejette la peinture libertine jusqu’à prôner l’autodafé des tableaux de Boucher. Le philosophe trompe sa femme sans regret tout en inculquant à sa fille une morale bourgeoise à mille lieues de ses audaces philosophiques cachées dans son portefeuille. Fanfaron de vertu, Diderot est difficilement supportable quand il admoneste sa sœur, son frère ou encore Mlle Jodin, quand il traite Mlle Arnould de « petite gueuse » parce qu’elle a quitté son amant dont elle avait un enfant. Paradoxe ou double jeu du philosophe qui renverse l’édifice des normes dans ses œuvres pour mieux les imposer à ses proches ? Féministe avant la lettre, Diderot ne s’est pas contenté de dénoncer le sort fait aux femmes partout dans le monde ; remontant à l’origine des sociétés, il a réalisé que les malheurs de l’homme civilisé n’étaient pas causés par l’introduction de la propriété privée mais parla réglementation des rapports sexuels au détriment de la femme, devenue la « propriété » de l’homme.Il n’en demeure pas moins que l’exaltation intellectuelle d’une sexualité presque sans limites allait de pair, dans la pratique, avec la soumission totale à un époux : le patriarche Diderot ne confondait pas pour Angélique, philosophie et bonnes mœurs.

Le temps n’est plus où la philosophie académique regardait Diderot de haut. Aujourd’hui, il intéresse les philosophes, les historiens et les juristes, les biologistes et les médecins, et il n’est guère exagéré de voir en lui l’un des premiers défenseurs de la théorie du genre. En effet, s’il n’y a dans la nature « aucune qualité dont aucun être ne soit participant », l’homme n’est que le « monstre » de la femme ; la femme, le « monstre » de l’homme. C’est qu’il n’y a « rien de précis en nature »... L’auteur du Rêve de d’Alemberta fait tomber la barrière des espèces et nié l’essence particulière de l’homme ; les recherches contemporaines concernant le clonage ou les modifications génétiques, les biotechnologies modernes sont lourdes d’implications morales qui auraient passionné Diderot. Même chose pour les problématiques actuelles de bioéthiquequi mobilisent les différents Comités d’éthique nationaux depuis quelques décennies. Nul doute que la question des cellules-souches, de la GPA ou de l’euthanasie nous auraient valu quelques chapitres supplémentaires des Éléments de physiologie. Quelle morale Diderot aurait-il proposé pour le XXIe siècle ?

Les propositions sont à adresser aux organisateurs avant le 30 sept. 2019.

Spectacles envisagés :

Diderot en prison. Pièce de Gerhardt Stenger

Entretien d'un philosophe avec la maréchale de ***. Adaptation de Françoise Thyrion et de Gerhardt Stenger

Les Deux Amis de Bourbonne (lecture à 2 voix + une musicienne)