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Dessins d'enfance dans la bande dessinée

Dessins d'enfance dans la bande dessinée

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Benoît Crucifix)

Appel à contributions

Dessins d’enfance dans la bande dessinée / Children’s Drawings in Comics

Dossier thématique de Comicalités dirigé par Maaheen Ahmed & Benoît Crucifix *

Argumentaire

Souvent dessinée pour les enfants, la bande dessinée entretient un lien particulier au dessin d’enfant. Depuis au moins Rodolphe Töpffer, qui déjà en 1848 louait la « vivacité du mouvement » des petits bonshommes griffonnés dans les marges, le dessin d’enfant a souvent été une source d’admiration pour les dessinateurs et dessinatrices. Comme l’a suggéré Thierry Smolderen, il s’agit là d’une veine profonde de la caricature et du dessin satirique qui a longtemps fait une belle place au « dessin maladroit, enfantin, spontané » (2009 : 33) avant même son intégration durable au rang des avant-gardes artistiques. Au tournant du vingtième siècle, le dessin d’enfant deviendra en effet l’objet de nouvelles attentions et de nouveaux discours (Higonnet 2009). Entre pédagogues, psychologues, peintres et écrivains, l’enfant est cependant souvent occulté par ces savoirs adultes, comme l’a bien montré Emmanuel Pernoud dans une étude magistrale du dessin d’enfant à l’aube des avant-gardes : « le dessin d’enfant n’est pas regardé : il est su avant d’être vu, l’enfance est rabattue sur une notion commune » (Pernoud 2003: 214).

Ce dossier thématique s’interroge sur ces différentes manières de regarder et penser le dessin enfantin dans l’histoire de la bande dessinée. La diversité et la multiplicité des interactions entre bande dessinée (comme objet culturel produit pour les enfants) et dessin d’enfant (à la fois l’objet de discours adultes et les production enfantines) offre un vaste terrain d’enquête C’est un tel chantier que propose d’ouvrir ce dossier thématique de Comicalités, en sollicitant des contributions déclinées sur trois axes complémentaires.

1.     Polygraphies enfantines

Un premier axe portera sur le dessin d’enfant comme registre stylistique, esthétique et iconographique. L’« infantilisme » dont a été targué la bande dessinée peut aussi toucher à son graphisme, parfois de manière complètement assumée (Ahmed 2020), et les critères de compétence, du « beau » ou du « mauvais » dessin, se sont distribués différemment tout au long de son histoire de la bande dessinée, suivant les contextes de publication et de circulation.

Le dessin d’enfant est très rapidement apparu dans la bande dessinée comme un vocabulaire graphique citable. Il est fréquent de trouver des dessins « maladroits » attribués à des enfants ; ce procédé pseudographique qu’on retrouve déjà dans Un génie incompris (1841) de Cham restera utilisé à différents effets, comme l’a retracé Thierry Groensteen (2003). Dans ce « jeu des graphiateurs délégués » (Berthou & Dürrenmatt 2019: 226), le dessin d’enfant est rarement autonome et est accompagné d’autres images ou de textes qui cadrent la manière de lire ces tracés (pseudo-)enfantins.

Quelle perception de l’enfance s’établit dans ces imitations et sur quelles conceptions et modèles du dessin d’enfant s’appuient-elles ? Comment les pratiques enfantines du dessin sont ainsi imaginées ? Quelles médiations accompagnent de tels usages en fonction des contextes éditoriaux ? Quels enjeux posent ces ruptures graphiques et ces procédés de citation et d’appropriation au niveau de l’auctorialité ?

2.    Pédagogies du dessin

Un deuxième axe portera plus en détail sur les cadres éditoriaux et pédagogiques qui organisent les interactions des jeunes lecteurs et lectrices et les « écolent » dans leurs pratiques du dessin. Jessica Kohn (2018: 426-438) a déjà relevé la construction du métier de dessinateur présente dans les diverses leçons techniques et stylistiques qu’on retrouve dans les revues et illustrés. Les concours, la publication de dessins envoyés, les exercices didactiques et les jeux invitent régulièrement les lecteurs et lectrices à prendre la plume, à gribouiller leurs revues ou à les dépecer pour fabriquer de petits objets graphiques.

Ces modes d’interaction ludiques et pédagogiques, où la lecture s’offre comme une prise en main et s’accompagne d’une initiation au dessin, restent encore méconnus des recherches sur la bande dessinée, alors même qu’on a régulièrement insisté sur la participation cognitive du lecteur. Quelles proximités entre lecture de bande dessinée et pratique du dessin amènent de telles rubriques ? Quelles conceptions du dessin y sont transmises ?

L’invitation au dessin, émanant d’un projet éditorial, construit à la fois une connivence avec le lecteur et lui renvoie une certaine image du métier et des manières de dessiner. Quelles sont ces images ? Comment ces formes d’interaction par le dessin diffèrent-elles en fonction des revues et des formats et comment ont-elles évoluées au cours de l’histoire de la bande dessinée ? Comment les mettre en lien avec d’anciennes ou de nouvelles manières de segmenter la vie en âges et de penser la production culturelle enfantine ? Selon quels critères les dessins d’enfant sont-ils regardés et évalués et comment les comparer à la place du dessin et de l’image dans l’enseignement scolaire ?

3.    Enfants à l’œuvre

Si les deux premiers axes portent majoritairement sur les regards adultes portés sur le dessin d’enfant, ce troisième volet invite à étudier les productions enfantines en elles-mêmes. Il s’agit là de productions éphémères, de corpus difficiles d’accès et peu conservés, mais pas non-existants, et ceux-ci posent de nouvelles questions sur la création et la production enfantine comme sur l’histoire de la réception et des pratiques de lecture de bande dessinée.

La création enfantine de bandes dessinées est directement liée à l’expérience de lecture et en « digère » les images par l’imitation, le recopiage, la déclinaison, mais aussi les gribouillages et coloriages apposés dans les revues et albums. Ces bandes dessinées d’enfance peuvent témoigner à la fois d’individualités et d’une culture partagée, de sociabilités enfantines parfois encouragées et organisées par les formes d’interaction éditoriale auxquelles invitent les revues. En-dehors des cadres éditoriaux apposés au dessin d’enfant, il faudra distinguer pratiques « encadrées » et « clandestines » : les gestes de découpage, coloriage, gribouillage débordent ainsi des usages cautionnés et détournent le support à d’autres fins qu’il s’agira de décrire et d’analyser.

En quoi la pratique du dessin et la création de bandes dessinées prolonge-t-elle une expérience de lecture souvent sérielle ? Comment les enfants intègrent-ils et rejouent des encyclopédies de genres populaires[1] ? Quelle est l’influence des dessins d’enfance sur la pratique professionnelle de dessinateur·rice·s adultes ? On pourra aussi s’intéresser aux fanzines d’enfants et d’adolescent·e·s[2] : dans quels contextes sont-ils produits et quelles sont leurs circulations ? Comment rejouent-ils les codes éditoriaux des revues et journaux de bande dessinée ?

* * *

À travers ces trois axes principaux, avec des focales complémentaires, il s’agira d’étudier par le prisme du dessin les logiques d’appropriation, d’interaction et d’incorporation entre la bande dessinée et le public enfantin. Le périmètre du dossier n’est pas restreint à ces axes et accueillera aussi des propositions qui dépassent ces pistes de recherche et s’inscrivent plus largement dans le thème. Ainsi, ce dossier thématique invite à des études sur un large spectre chronologique et géographique, ainsi que par une diversité de méthodes et d’approches : analyses iconographiques et études visuelles, analyses du discours, lectures rapprochées et études de cas, approches anthropologiques et observations ethnographiques, histoire culturelle de l’enfance, sciences cognitives et psychologie culturelle.
 
Modalités de soumission

Le présent appel à communication est ouvert à tou·te·s les chercheuses et chercheurs, quel que soit leur statut et leur origine. Nous les invitons à nous répondre en nous soumettant deux documents :
Une courte notice bio-bibliographique.
Un texte anonyme en français ou en anglais de maximum 3000 caractères, espaces compris. Ce résumé présentera le positionnement théorique et le corpus retenus, ainsi que les principales conclusions attendues.
Ce dossier est également ouvert à des formats différents de celui d’un article scientifique standard et sollicite également des formes brèves : entretiens, articles courts, présentations de documents.

Les propositions seront évaluées de façon anonyme par le comité éditorial de la revue : son acceptation vaudra encouragement et suggestions quant à un article d’une taille comprise entre 15 000 (pour les formes brèves) et 50 000 signes (articles plus classiques), espaces compris. Elle devra nous parvenir avant le 15 décembre 2021 aux adresses électroniques suivantes : maaheen.ahmed@ugent.be / benoit.crucifix@ugent.be

Les articles complets seront à rendre pour le 1er juin 2022.

 
Bibliographie indicative

AHMED, Maaheen, 2020. « Children in Graphic Novels: Intermedial Encounters and Mnemonic Layers. » Études francophones. Vol. 32, pp. 129–148.

BAUDRY, Julien, 2014. La bande dessinée entre dessin de presse et culture enfantine. Relecture de l’œuvre d’Alain Saint-Ogan (1895-1974). Thèse de doctorat. Paris : Université Paris Diderot.

BECCHI, Egle, 1998. « Écritures enfantines, lectures adultes. » In : BECCHI, Egle et JULIA, Dominique (dir.), Histoire de l’enfance en Occident. Tome 2: du XVIIIe siècle à nos jours. Traduction de BARDOS, Jean-Pierre. Paris : Seuil. pp. 461–485.

BERTHOU, Benoît et DÜRRENMATT, Jacques (dir.). 2019. Style(s) de (la) bande dessinée. Paris : Garnier.

BLANCHARD, Véronique et GARDET, Mathias, 2020. La parole est aux accusés. Histoire d’une jeunesse sous surveillance, 1950-1960. Paris : Textuel.

BOISSEL, Jessica, 1990. « Quand les enfants se mirent à dessiner. 1880-1914, un fragment de l’histoire des idées. » Les Cahiers du musée national d’Art moderne. N° 31, pp. 14–43.

CRÉPIN, Thierry, 2001. « Haro sur le gangster! » La moralisation de la presse enfantine, 1934-1954. Paris : CNRS Editions.

CRUCIFIX, Benoît, 2017. « Mémoire de la bande dessinée dans Au travail d’Olivier Josso Hamel. Cases remémorées, redessinées. » Comicalités [en ligne]. 29 novembre 2017. URL : http://journals.openedition.org/comicalites/2415.

————, 2020. « Jojo, Jimmy and Marie Chairne : What Scribbled Comics Can (Not) Tell Us », Studies in Comics. Vol. 11, n° 2, pp. 259-269.

DYSON, Anne Haas, 1997. Writing Superheroes: Contemporary Childhood, Popular Culture, and Classroom Literacy. New York : Teachers College Press.

FABRE, Daniel (dir.). 2009. « Arts de l’enfance, enfances de l’art », Gradhiva. N° 9.

FINEBERG, Jonathan, 1997. The Innocent Eye: Children’s Art and the Modern Artist. Princeton : Princeton University Press.

GARDNER, Jared, 2012. Projections: Comics and the History of Twenty-First-Century Storytelling. Stanford : Stanford University Press.

GROENSTEEN, Thierry, 2003. « L’Enfance de l’art. » Neuvième Art. N° 9, pp. 72–84.

GUIBERT, Emmanuel et GUIBERT, Cécilia, 2006. « Le dessin, petit. » In : Monographie prématurée. Angoulême : L’An 2. pp. 20–33.

HAGUE, Ian, 2014. Comics and the Senses: a Multisensory Approach to Comics and Graphic Novels. New York : Routledge.

HIGONNET, Margaret R., 2009. « Modernism and Childhood: Violence and Renovation », The Comparatist. Vol. 33, pp. 86-108.

JOUBERT, Bernard, 2007. « Le petit Joubert continue la guerre. » L’Éprouvette. N° 3, pp. 194‑210.

KOHN, Jessica, 2018. Travailler dans les Petits Mickeys: Les dessinateurs-illustrateurs en France et en Belgique de 1945 à 1968. Thèse de doctorat. Paris : Université Sorbonne Nouvelle.

LERER, Seth, 2012. « Devotion and defacement: Reading children’s Marginalia. » Representations. Vol. 118, N° 1, pp. 126–43.

LETOURNEUX, Matthieu, 2017. Fictions à la chaîne: littératures sérielles et culture médiatique. Paris : Seuil.

MARION, Philippe, 1993. Traces en cases: travail graphique, figuration narrative et participation du lecteur. Louvain-la-Neuve : Academia.

PERNOUD, Emmanuel, 2003. L’Invention du dessin d’enfant en France, à l’aube des avant-gardes. Paris : Hazan.

PIGNOT, Manon, 2004. La Guerre des crayons. Quand les petits Parisiens dessinaient la Grande Guerre. Paris : Parigramme.

SMOLDEREN, Thierry, 2009. Naissances de la bande dessinée: de William Hogarth à Winsor McCay. Bruxelles : Les Impressions Nouvelles.

TILLEY, Carol L., 2015. « Children and the Comics: Young Readers Take on the Critics. » In : BAUGHMAN, James L., RATNER-ROSENHAGEN, Jennifer et DANKY, James P. (dir.), Protest on the Page: Essays on Print and the Culture of Dissent since 1865. Madison : The University of Wisconsin Press. pp. 161–179.

TÖPFFER, Rodolphe, 1848. Réflexions et menus-propos d’un peintre genevois. Tome second. Paris : Dubochet.

Notes
 
* Université de Gand, Projet ERC « Children in Comics: An Intercultural History » (grant agreement no. 758502).
[1] On pense ici aux mécanismes architextuels de la sérialité décrits par Matthieu Letourneux (2017).
[2] Ce type de productions fait d’ailleurs l'objet d’un prix, remis par le CNFE (Centre National du Fanzine d’Enfants).