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Dérives/mouvements planétaires : méthodologie, technologie et imagination créative à l’ère de la transformation planétaire

Dérives/mouvements planétaires : méthodologie, technologie et imagination créative à l’ère de la transformation planétaire

Publié le par Marc Escola (Source : Imen Boughattas)

Appel à communications

Dérives/mouvements planétaires :

méthodologie, technologie et imagination créative à l’ère de la transformation planétaire

Colloque international
Université de Montréal/CELCP
21-23 avril 2022

Comité organisateur :

Heike Härting, Simon Harel, Monica Popescu, Imen Boughattas

Les différentes connotations de l’expression « dérives planétaires » évoquent des mouvements matériels et symboliques à travers différents discours, disciplines et géographies. Ce terme géologique, nautique et idiomatique – qu’on peut employer comme nom ou transformer en verbe – fait référence à une accumulation et à un transfert lent mais continu de sols et de courants, à des déplacements symboliques et réels, y compris la formation de nouveaux paysages (par exemple, les bancs de neige), le déplacement et la sédimentation des structures glaciales et terrestres, et la formation de passages particuliers dans les opérations minières. « Dérive » est à la fois une notion et une action qui peut signaler une déviation ou un glissement incontrôlé ou indésirable. Mais « dériver » c’est aussi ne plus savoir où l’on est, c’est se perdre, « s’écarter d’une direction » et « aller à l’aventure » (Larousse). Ainsi, la dérive peut être à la fois insupportable et productive : elle peut signaler la manipulation des populations et le dévoiement idéologique ou l’errance des arguments et des pensées. Si « dériver » est sortir de ce qui est normal, comment les dérives planétaires peuvent-elles générer des mouvements spontanés, des contrecultures subversives, et des méthodologies non normatives ? Comment peut-on aborder les dérives géologiques et biologiques pour repenser et contrer les dérives politiques, populistes, et épistémologiques ? Comment peut-on imaginer de nouveaux dérives et détournements qui désobéissent aux rapports de pouvoir et aux formes d’endoctrinement et de domination ? La dimension métaphorique et les usages trans- et para-disciplinaires de ce terme reflètent à la fois la recherche d’un nouveau langage et le besoin d’innovation méthodologique et créative lors de la représentation et de la théorisation d’un « monde » qui est, comme l’observe l’universitaire autochtone Margaret Kovach, « sur le point de changer de forme, de se métamorphoser, de devenir » (7). Ce colloque vise à explorer les modes, les technologies et les méthodes de production de savoir, de recherche et de création en réponse aux effets connus et inconnus des transformations planétaires actuelles et de leur représentation.

Dans le contexte de ce colloque, la notion de « devenir » implique la transformation physique de notre « planète volatile » (Nigel Clarke, 55) et la manière dont les métamorphoses planétaires affectent l’action humaine, redéfinissent la vulnérabilité et la perte provoquées par les événements planétaires, et créent de nouvelles relations interhumaines et de nouveaux rapports entre humains et non-humains. Ces changements se reflètent également dans les constellations, les intersections et les collaborations disciplinaires émergentes, qui sont toutes révélatrices de la manière dont les sciences naturelles, les sciences de la terre et les sciences humaines sont maintenant contraintes de réévaluer et de réarticuler leur relation historiquement tendue. Si la planète est un « hyperobjet » (Timothy Morton) qui défie l’objectivation et qui doit être conçue, comme le soutient William Connolly, comme un ensemble de « champs de force temporels » imprévisibles et autoorganisés à travers lesquels les effets du global deviennent visibles (voir Chakrabarty), les différents changements intrinsèques et anthropocéniques actuels et projetés de la planète vont à la fois reconfigurer les voies possibles par lesquelles la Terre devient habitable et nécessiter une « pensée centrée sur la planète » (Chakrabarty) pour concevoir de nouveaux imaginaires sociaux, culturels et politiques communs.

Plutôt que d’examiner ces transformations en termes d’anthropocène, d’apocalypse imminente et de fondamentalisme technologique, ce colloque cherche à explorer les « enchevêtrements planétaires » (Achille Mbembe) et à comprendre ce que vivre avec l’incalculable et l’imprévisible pourrait engendrer. Si ces deux derniers concepts (l’imprévisible et l’incalculable) font fréquemment référence à l’occurrence d’événements météorologiques extrêmes et aux effets du changement climatique, ils opposent également une impulsion algorithmique de créer des scénarios de risque calculables, des fétiches de prédiction et une numérisation de la sphère sociale, affective et publique comme moyens de maintenir une illusion prothétique de contrôle anthropocentrique sur les événements planétaires. En effet, l’incalculable, l’incompréhensible, le « désordonné (messy) » (Katrin Pahl), l’imprévisible, le volatile, l’imaginaire créatif et spéculatif se croisent dans les sciences naturelles, sociales et humaines. Les transformations planétaires soulèvent donc des questions philosophiques, culturelles et littéraires mais aussi physiques, géologiques et biochimiques. Ces premières questions n’ont cependant pas encore été suffisamment examinées, comme le note Tom Conley. Ce colloque cherche à examiner ce que Conley et d’autres appellent la « télémorphose » et son impact sur notre façon de penser, d’articuler et d’imaginer les transformations planétaires. La télémorphose désigne les manières dont « les mnémotechniques, les régimes conceptuels et la lecture (…) participent ou accélèrent les mutations qui s’étendent, aujourd’hui, des systèmes financiers à la biosphère » (20). Ainsi, de quelles manières la télémorphose – sous forme de théories, de méthodologies, de formes narratives numériques et analogiques – fait-elle avancer, révéler et modifier différentes compréhensions et perceptions de la planète et du changement planétaire ?

Les transformations planétaires créent de nouvelles communalités (commons) physiques, numériques et culturels. L’ampleur et les effets des bouleversements et dérives planétaires ont le potentiel de générer à la fois des pratiques de solidarité décoloniales et communautaires et une société radicalement divisée, de plus en plus violente, et aggravant l’exclusion et l’incarcération des groupes les plus touchés par les transformations planétaires. Trouver de nouvelles méthodologies pour faire face aux transformations planétaires nécessite une pratique profondément décoloniale et inclusive qui doit être sensible aux géographies culturelles et politiques, aux questions de racisme, des actes de violence commis par les colons, de la résurgence autochtone, de la temporalité, du genre/sexe, et du corps.

Les questions qui seront abordées incluent

• Comment les transformations planétaires actuelles et leur représentation nous obligent-elles à repenser le rapport entre histoire humaine et histoire naturelle ?
• Comment repenser les récits matérialistes de l’histoire et de l’action humaine à travers le temps géologique profond (deep time) ou ce que Ian Baucom appelle « history 4 degrees Celsius » ?
• Comment pouvons-nous différencier les théories du changement climatique de la pensée planétaire ? Peuvent-ils être différenciés ?
• Comment pourrions-nous modifier et orienter les pratiques et méthodologies de recherche ancrées dans les humanités environnementales, énergétiques et numériques pour faire face aux « dérives » et à la volatilité planétaires ?
• Comment les méthodologies et les formes de narration autochtones conceptualisent-elles les transformations planétaires ?
• Comment la critical race theory, les études postcoloniales, autochtones, féministes, queer, intersectionnelles et posthumaines pourraient-elles contribuer à la conceptualisation de « l’habitabilité » de la planète (Chakrabarty) ?
• Comment les récits spéculatifs, symboliques et créatifs de la planète génèrent-ils de nouvelles terminologies et méthodologies multi- et para-disciplinaires ?
• Comment penser le rôle de l’hypercapitalisme et du capitalisme numérique dans les transformations planétaires ? Comment les configurations de la perte, de l’incalculable, de l’enchantement et de la rupture fournissent-elles de nouvelles trajectoires méthodologiques de la pensée planétaire ?
• Que sont les méthodologies « désordonnées » (messy methodologies) et comment sont-elles produites ?

Veuillez envoyer le titre et le résumé de votre proposition (200 mots) et une courte notice biobibliographique (150 mots) à Heike Härting (heike.harting@umontreal.ca ) et Imen Boughattas (imen.boughatas@umontreal.ca ) d’ici le 15 octobre 2021. Les résumés et les présentations peuvent être en français ou en anglais.