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De l'évènement à l'objet, poétiques médiévales de la mémoire matérielle

De l'évènement à l'objet, poétiques médiévales de la mémoire matérielle

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Tristan Fourré )

Appel à communications    

Journée d'étude à destination des jeunes chercheur.euse.s

 

De l'évènement à l'objet, poétiques médiévales de la mémoire matérielle 

Si la question de la mémoire a largement retenu l’attention de la critique médiévale, que ce soit son importance dans l’apprentissage et dans la production d’idées (M. Carruthers) ou la volonté des écrivains de (re)mettre en mémoire ou de conserver ce qui n’est plus ou ce qui risque de disparaître, on l’a moins souvent reliée à la matérialité, voire au visuel, alors que Richard de Fournival fait de la vue l’un des accès à la Maison de Mémoire. Comment la mémoire peut-elle s’ancrer dans la matière, et comment celle-ci conserve-t-elle la mémoire d’un événement [1] ? Cette journée d’étude vise à interroger les modalités de fonctionnement de la mémoire matérielle au Moyen Âge, en examinant les matières que l’événement doit « empreinter » pour parvenir jusqu’à celui qui saura les déchiffrer. À ce titre, nous convoquons la notion de trace en tant qu’élément concret, autour duquel se déploient deux dynamiques différentes : une entreprise d’archéologie de sa production d’une part, l’entreprise herméneutique qu’elle implique d’autre part.

La définition même du mot « trace » renvoie à une pluralité intrinsèque [2]. Non seulement les supports comme les événements marquants sont innombrables, mais la trace se situe a minima dans une temporalité double puisqu’elle est ancrée dans le présent et tournée vers le passé : à sa dimension matérielle s’ajoute une dimension mémorielle. Il convient donc d’interroger la façon dont la trace s’inscrit dans une chaîne de transmission, depuis son engendrement jusqu’à sa conservation, tout en questionnant le degré d'intentionnalité et les motivations des différents acteurs de cette chaîne.

Cette dernière peut d’ailleurs être altérée, notamment sur le plan sémantique si, durant le laps de temps qui sépare l’événement et la découverte de la trace, il y a eu rupture dans la transmission de son « génitif intrinsèque [3]» : dans ces conditions, le spectateur n’est plus en capacité de reconnaître ou décoder le signe qui s’offre à lui.

Afin de mettre en lumière les différents enjeux qu’implique la trace, entre matière et mémoire, nous nous concentrerons sur les trois axes suivants qui sont loin d’épuiser le sujet et qui restent ouverts à toute proposition pertinente :

 

AXE 1 : TRACES DU LIVRE : MANUSCRITS, SIGNES, MARQUES

Papier et parchemin conservent aussi bien les traces de la manuscripture – qu’il s’agisse des auteurs ou des copistes – que celles de l’appartenance – que les propriétaires soient des particuliers ou des institutions. Ces marques, nombreuses et variées, pourront par exemple nous faire suivre la piste des marginalia et de tout ce qui, à la périphérie du texte, témoigne de l’action d’un manipulateur, des effets de la « corpo-réalité », de l’autorité des ex libris ou des sceaux... Traces de lieux, d’époques ou de personnes, les manuscrits portent les marques de leurs conditions de fabrication et de leur circulation : on peut parler d’une forme de traçabilité. Toutefois, le manuscrit est un support fragile et périssable, exposant les traces qu’il abrite au danger de la disparition ou de l’altération, et obligeant les érudits à reconstruire cette littérature à partir de lambeaux. Il serait donc intéressant de considérer le texte du Moyen Âge comme une trace fragmentaire et fragmentée. Quelles en sont alors les implications en matière de poétique ?

 

AXE 2 : TRACES DU TEXTE : INSERTIONS, INTERPOLATIONS, LANGAGES

Nous aimerions ici nous concentrer sur la matière verbale, elle-même « impressionnée » selon différentes modalités. On pourra alors questionner, de manière non exhaustive, la présence d'œuvres étrangères au sein d’un texte, en se penchant notamment sur le phénomène de l’interpolation. Comment ce phénomène « d’effraction textuelle [4]» peut-il devenir une trace alors même qu’il est censé relever d’une pratique quasi-intraçable exigeant l’acuité d’un lecteur averti? En outre, il sera intéressant d’examiner, d’un point de vue linguistique ou stylistique, dans quelle mesure la langue elle-même peut être impactée par un événement. Comment un événement peut-il créer des mots, modifier des acceptions ou conditionner le style d’un auteur ?

AXE 3 : TRACES DANS LES ŒUVRES : TRACES CORPORELLES, TRACES MATÉRIELLES

Enfin, au sein de ses œuvres, la littérature médiévale semble hantée par l’expérience de la trace, qu’elle se plaît à mettre en scène. On pourra ainsi s’intéresser à la performance de personnages occupés à la création d’une trace ou à son déchiffrement. Quelle place la trace occupe-t-elle alors dans le récit ? Est-elle un frein ou un embrayeur d’aventure ? Ouvre-t-elle au lecteur des pistes de compréhension ou verrouille-t-elle au contraire l’interprétation de l'œuvre ? Dès lors qu’elle touche à la construction de la personne, la trace revêt une fonction identitaire. Quelles formes physiques peut-elle prendre ? Que nous apprend-elle alors sur ces personnages ? Quels enjeux poétiques soulève-t-elle ? Ces personnages, qui exposent ou regardent des traces, font parfois figure de doubles de l’auteur ou du lecteur, manifestant alors le rôle que peuvent ou doivent tenir ces derniers.

MODALITÉS PRATIQUES

La journée d’étude se déroulera le 31/03/2022 à l’Université de Nantes, sur le campus du Tertre et proposera des communications en français. Il est prévu que la manifestation ait lieu en présentiel sauf si l’évolution de la situation sanitaire oblige à une organisation en distanciel total ou partiel.Les communications n’excéderont pas 20 minutes et seront suivies d’un temps d’échange. On privilégiera les études portant sur des œuvres en langue d’oïl, langue d’oc et latin sans s’interdire toutefois des communications portant sur d’autres œuvres de langue romane.

Les propositions de communication, d’une page maximum (résumé et titre de la présentation) et accompagnées de renseignements institutionnels (statut, établissement de rattachement, domaine de recherche) sont à envoyer par mail avant le 10/12/2021 aux trois organisateurs de la manifestation.

ORGANISATEURS

- Caroline BLOT (L’AMo, Université de Nantes) : caroline.blot@univ-nantes.fr

- Tristan FOURRE (L’AMo, Université de Nantes) : tristan.fourre@univ-nantes.fr

- Jessy SIMONINI (L’AMo, Université de Nantes) : jessy.simonini@univ-nantes.fr 

 

[1] Terme pris dans son sens le plus général, évoquant tout autant l’action que la simple présence ou existence. 

[2]  Voir en particulier Serres, Alexandre, « Quelle(s) problématique(s) de la trace ? », en ligne : https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00001397/document (consulté le 03/09/2021). En retraçant l’étymologie du terme, il dégage les quatre sens suivants : 1) « une empreinte » ou « une suite d’empreintes sur le sol » ; 2) « une quantité infime », ce qu’il traduit comme « indice, comme "petite quantité" » ; 3) « une marque laissée par une action, un événement passé, un coup, avec pour synonymes indice et reste », d’où l’idée de « la trace comme mémoire » ; 4) « en géométrie, un lieu d’intersection avec le plan de projection » donc en lien avec la « ligne, [l’]écriture et la problématique de la trace écrite ».

[3]  « La trace se caractérise par son génitif intrinsèque […], au sens où la trace est toujours trace de quelque chose. [...] Elle ne se définit pas par elle-même [...], elle n’existe que par rapport à autre chose (un événement, un être, un phénomène quelconque), elle est de l’ordre du double, voire de la représentation. » Serres, Alexandre, ibid.

[4] Voir l’introduction d’Annie Combes et de Michelle Szkilnik à l’ouvrage collectif Le texte dans le texte. L’Interpolation médiévale, Paris, Classiques Garnier, coll. Rencontres. Civilisation médiévale, 2013, p. 7-14.