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Colloque "Poétique du kitsch" ( Paris Nanterre)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Nicolas Aude)

« POÉTIQUE DU KITSCH »

Colloque – 6 et 7 novembre 2020

Université Paris Nanterre – Collectif Lipothétique Doctoriales comparatistes de Nanterre

 

De la Bavière de Louis II au modern style et au pop art, le kitsch est devenu un concept « inséparable de la triade industrie-masse-consommation », comme nous le rappelle le Dictionnaire historique d’Alain Rey. Mais si le terme s’est aisément étendu de l’histoire de l’art à l’usage courant, il est sans doute légitime, et sûrement tentant, d’interroger sa pertinence également dans le domaine littéraire.

Sur le modèle de la transposition du baroque effectuée par Jean Rousset à partir de l’histoire de l’art, nous nous proposons d’inscrire le kitsch dans le domaine de la littérature, en nous demandant comment et dans quelle mesure il peut y être fécond. Ce colloque a donc pour objectif de penser, élaborer – et en même temps mettre à l’épreuve – la possibilité d’un kitsch littéraire.

Surcharge, inauthenticité, mauvais goût provocant, la littérature n’en est certainement pas dénuée. Mais le kitsch littéraire est à percevoir également comme un jugement esthétique porté sur l’altérité : s’il ne se fait pas toujours stigmate, il révèle tout de même un dialogisme dans la construction relationnelle du goût.

Mais s’agit-il toujours du « mauvais goût des autres » (Christophe Genin) ? Les problématiques liées à l’énonciation ne se limitent pas au dialogisme : le kitsch est également une revendication esthétique ironique, une (dé)formation du goût, du jugement et des valeurs. Il est donc possible d’interroger la réflexivité et l’intentionnalité du kitsch, d’en identifier la place dans l’objet ou dans le regard sur l’objet.

De la pragmatique du discours à la rhétorique, de la sémiologie de l’objet à la notion polysémique de valeur, de l’autonomie d’un concept à ses parentés lexicales et esthétiques, le kitsch, dans la littérature, semble se charger d’une véritable portée heuristique. À la lumière de ces réflexions, trois axes d’étude peuvent être envisagés.

Littérature et valeur

La notion de kitsch manifeste donc une situation énonciative où l’on donne à l’objet une place dans une économie matérielle et symbolique du goût : plus spécifiquement, l’objet kitsch sera de mauvais goût. Un tel jugement esthétique produit une assignation appuyée sur un système de valeurs esthétiques, morales ou économiques. Mais l’objet kitsch peut aussi être le produit d’une revendication de l’excès, de l’inauthentique. La question de la valeur esthétique et du jugement qui la produit permet donc de glisser de l’objet à l’œuvre – et inversement, mouvement qui relève tantôt d’une ascension dans une hiérarchie des valeurs, tantôt d’une dégradation, ravalant l’œuvre au mauvais goût. Comment dès lors interroger la place de la notion de kitsch dans le système littéraire de la valeur ?

L’esthétique kitsch fait apparaître un travail sur la notion de valeur, telle qu’elle se dégage des biens culturels, artistiques et littéraires. Elle donne non seulement à voir les mécanismes qui produisent le jugement et le goût, mais elle les interroge également comme un ensemble de produits culturels situés socialement. À la suite des analyses faisant de la littérature un champ culturel où s’opère une évaluation différenciée des textes, ce colloque souhaite interroger les liens entre littérature et valeur à travers le prisme des esthétiques relevant d’un kitsch littéraire.

Déployée dans toute sa polysémie, la catégorie de « valeur » pourra ici être envisagée comme produit d’un marché ou comme catégorie normative. Elle pourra s’intégrer dans un système esthétique prescrivant formes et contenus, participant en tant que modèle, code, à l’élaboration des œuvres et des textes. Une esthétique kitsch pourra alors apparaître comme un pied de nez à ce système littéraire du goût, une antivaleur, voire un antisystème. Dans cette perspective, c’est la multiplicité des positions permises par le kitsch par rapport au système du goût qui pourra être interrogée.

De quelles valeurs – au sens tant esthétique qu’économique, moral ou social – peut se revendiquer une littérature kitsch ? Comment est-elle à même d’interroger le faire littéraire ? Quelles déformations de cette catégorie normative produit-elle ?

Traduire le kitsch 

La question de l’interdépendance entre littérature et valeurs sociales structurant les sociétés fait apparaître un autre type de questions que soulève notre hypothèse directrice : le kitsch a-t-il des équivalents dans d’autres cultures ? Le terme peut-il être employé pour qualifier des  littératures avec lesquelles il n’entretient pas de lien historique ? L’histoire du mot, d’apparition assez récente et liée au milieu artistique des années 1870, en fait une catégorie esthétique particulière et géographiquement déterminée. Le kitsch ne serait-il alors que l’un des multiples noms composant le paysage de la démesure et du mauvais goût dans la littérature des pays d’Europe de l’ouest ? A l’instar du terme russe de poshlust’, étudié par Vladimir Nabokov, la singularité du concept que son nom désigne en fait-il un intraduisible ? 

En faisant cependant du kitsch un concept opératoire, il est possible d’en trouver dans les littératures étrangères, sinon des équivalents exacts, du moins des synonymes approximatifs. Le rapprochement avec des sociétés géographiquement et historiquement éloignées pourrait être un exercice de comparaison heuristique : s’il fallait traduire « kitsch » en latin par exemple, quel mot s’en rapprocherait le plus ? Par quelles catégories émiques, par quels termes endogènes les différentes littératures désignent-elles ce que nous désignons par kitsch ? A l’inverse, la comparaison avec des esthétiques très proches, comme l’esthétique camp avec laquelle le kitsch est souvent confondu, peut nous permettre de faire émerger par différence les singularités de chacune de ces deux catégories. En interrogeant ainsi les parentés historiques, esthétiques et anthropologiques du kitsch avec d’autres catégories, proches ou lointaines dans le temps et l’espace, il sera possible de circonscrire les spécificités de la catégorie littéraire que nous nous proposons de définir.   

Traduire le kitsch, c’est aussi transmettre les caractéristiques du mauvais goût d’une société à une autre. Comment les discours sur les pratiques kitsch entretiennent-ils un réseau de stéréotypes ? Du récit pittoresque aux fantasmes de l’exotisme en passant par le romantisme national, la focalisation sur le kitsch et le mauvais goût des pratiques folkloriques est un puissant moyen de produire un discours politique disqualifiant sur l’autre. L’anthropologie elle-même à la fin du XIXe siècle, en étudiant la construction des fétiches des sociétés dites primitives, a transformé les pratiques étrangères de telles sociétés en comportements étranges et jugés, selon les écoles de pensée, repoussants ou attirants.

Entre rhétorique et poétique

Dans son célèbre essai Avant-Garde and Kitsch (1939), le critique d’art Clement Greenberg définit avant tout le kitsch comme une recherche hâtive de l’effet esthétique. Hostile à la culture de masse, Greenberg lui oppose une conception réflexive de la high culture dans laquelle les processus de création et l’exhibition des modalités formelles de l’œuvre d’art priment sur ses effets. Cet antagonisme ne nous fait-il pas déboucher sur une rivalité entre rhétorique et poétique ? Assimilée à un art du discours, la rhétorique se soucie avant tout des effets du langage, tandis que la poétique s’attache davantage à la description des aspects formels de la création.

Peut-on ébaucher une rhétorique du kitsch comme d’autres ont tenté de construire une « rhétorique de l’image » (Roland Barthes) ? Conçu comme un « phénomène connotatif intuitif et subtil » (Abraham Moles), le kitsch présente plusieurs traits qui le rapprochent du fonctionnement du mythe dans ses rapports complexes à l’idéologie. Comme la frange de cheveux d’un César de péplum ou les images séduisantes d’une publicité pour détergent, le kitsch s’identifie à un « langage volé » (Roland Barthes) – ou du moins détourné. À la différence du mythe, néanmoins, il ne vise pas à « naturaliser l’histoire » mais, bien au contraire, à en artificialiser davantage les signes.

Si cette rhétorique du kitsch se définit avant tout comme une sémiologie, attentive aux variations de supports ainsi qu’aux différentes trajectoires de l’effet et du sens, quelle peut être la place spécifique de l’analyse littéraire dans ce champ d’études ? Dans la culture matérielle, tout semble rapporter le kitsch au fonctionnement linguistique du cliché. Quels en seraient les types mais aussi les figures concurrentes ? À une époque où s’observe un renouveau des études sur le style qui consacrent la dimension anthropologique de cette notion, doit-on reconnaître au sein des textes l’existence d’un « style kitsch » comparable aux trois styles de l’ancienne rhétorique ou aux styles précieux, ampoulé et vulgaire que cherchaient à imiter les exercices de Queneau ? Des critiques adressées à l’esthétique du « roman idéaliste prémoderne » (Thomas Pavel) jusqu’à celles du roman populaire mondialisé en passant par les attaques féroces dirigées par Milan Kundera contre l’esthétique réaliste-socialiste, on se demandera si le kitsch ne trouve pas dans le genre romanesque son mode d’expression littéraire préféré, à moins qu’il n’aille s’actualiser sur les scènes de théâtre ou dans certaines conceptions du verbe ou de l’image poétique. Ces questions seraient pour nous une manière de revenir à la théorie des genres littéraires en tant que domaine de spécialité du poéticien.

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Les propositions de communication accompagnées d’une brève présentation bio-bibliographique sont à envoyer à l’adresse suivante avant le 30 juin 2020.

Les retours seront faits avant le 15 juillet sous réserve d’une amélioration de la situation sanitaire.

lipothetique@gmx.com

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Bibliographie indicative :

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BARTHES Roland, « L'effet de réel », Communications, n° 11 : Recherches sémiologiques le vraisemblable, 1968, pp. 84-89. 

(https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1968_num_11_1_1158)

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