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Passés recomposés: La mobilisation de références historiques dans les discours contemporains sur la démocratie

Passés recomposés: La mobilisation de références historiques dans les discours contemporains sur la démocratie

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Nathalie Le Bouëdec, Université de Bourgogne)

Appel à communication

Colloque « Passés recomposés : la mobilisation de références historiques dans les discours contemporains sur la démocratie »

(Université de Bourgogne, Dijon, 20-21 octobre 2022)

Depuis quelques années et dans le contexte de ce qui est perçu comme une crise de la démocratie, les références historiques, et notamment les parallèles avec le début des années 1930, se multiplient dans les discours sur la démocratie en Europe et aux Etats-Unis, tant du côté de ses défenseurs que de ceux qui en critiquent les déficits et le fonctionnement. On le voit en Allemagne, où la montée de l’AfD depuis 2015 et les attentats d’extrême-droite (assassinat du préfet Walter Lübcke en 2019, attentats de Halle et Hanau en 2019 et 2020) ont réactivé les comparaisons avec la fin de la République de Weimar[1], et où le mouvement des Querdenker, opposé à des mesures sanitaires jugées dictatoriales, n’hésite pas à se référer à Sophie Scholl, figure de la résistance face au nazisme. Au Royaume-Uni, l'évocation de la Seconde Guerre Mondiale, qui a toujours émaillé les discours politiques et ceux de la presse populaire, a culminé avec le Brexit dès la campagne référendaire de juin 2016. Aux États-Unis, l’invasion du Capitole en janvier dernier et, de façon générale, le climat dans lequel s’est déroulée la dernière élection présidentielle ont aussi fait ressurgir des références historiques comme celle de la guerre de Sécession. L’Espagne connaît quant à elle depuis 1995/96 et surtout 2007 la revendication de la « Mémoire historique » (devenue « Mémoire démocratique » sous l’actuel Gouvernement), fondée sur l’idée que le processus de transition démocratique a été un « pacte de l’oubli » : en résumé, la mise en place du système démocratique – et, donc, la Constitution de 78- se serait faite sur le refus de vraiment purger le passé national sur les questions du franquisme et de la guerre civile, d’où la revendication d’une IIIe République, le rejet de la monarchie parlementaire et du système politique et institutionnel en vigueur. En Italie, si le philosophe Giorgio Agamben n’hésite pas à comparer l’instauration du passe sanitaire et l’obligation vaccinale aux lois d’exception du fascisme, ce sont paradoxalement les partis et mouvements s’inscrivant dans la filiation de ce dernier qui s’opposent avec le plus de véhémence à la politique sanitaire du gouvernement Draghi et se présentent ainsi comme les défenseurs des libertés individuelles et collectives.

Ce colloque interdisciplinaire se propose d’analyser ces phénomènes à partir des cas de démocraties « historiques » (Royaume‑Uni, Etats-Unis) ainsi que de démocraties encore marquées par les expériences dictatoriales du XXe siècle (Allemagne, Italie, Espagne). Le cas de l’Amérique latine pourra également être envisagé. Il poursuit un double objectif : d’une part, contribuer à la recherche sur les usages politiques du passé et la question du « passé dans le présent » - question très actuelle dans la recherche en sciences humaines et sociales[2] - et à la réflexion sur la crise actuelle de la démocratie ; d’autre part, dans la continuité de la recherche menée au sein de l’équipe « Individu & Nation » du Centre Interlangues/TIL, le faire à travers la rencontre et le dialogue entre des approches et objets d’études issus non seulement de cadres nationaux et d’aires culturelles différentes, mais également de différentes disciplines : civilisation, histoire, sciences politiques, études filmiques, littérature ou encore linguistique.

Axes de réflexion

Le colloque entend mettre au cœur de la réflexion non pas la pertinence des parallèles historiques et des références mobilisées, mais l’analyse des usages, des fonctions et du fonctionnement de ces références : Qui (quels groupes, mouvements, etc.) les mobilise, parfois d’ailleurs de façon contradictoire ? Comment (dans quels types d’argumentation, dans le cadre de quelles stratégies discursives) ? Dans quels buts : pour dénoncer des menaces pour la démocratie, les déficits de celles-ci, pour expliquer certains phénomènes actuels, pour mobiliser l’opinion, etc. ? Dans quels contextes (lien avec certains types d’évènements, dimension émotionnelle de ces discours, etc.) ? Dans quelle mesure l’Histoire est-elle revue et (souvent) corrigée en fonction d’intérêts bien déterminés ? Qu’est-ce que cet usage du passé révèle sur les conceptions de la démocratie, mais également sur la construction et l’évolution de la mémoire collective au sein des sociétés concernées ?

Étudier ces phénomènes dans différents cadres nationaux doit également permettre de voir en quoi les horizons d’expérience spécifiques des uns et des autres ont un impact sur les références mobilisées et les usages politiques du passé, mais aussi d’identifier des stratégies et processus similaires et des éléments qui peuvent circuler entre différents discours. 

Les communications pourront prendre en compte différents types d’acteurs et de discours sur la démocratie :

-        les discours des acteurs institutionnels ;

-        les discours des mouvements politiques et citoyens, et notamment de ceux qui critiquent le fonctionnement actuel de la démocratie  (AfD en Allemagne, Podemos et Vox en Espagne, partisans de Trump aux États-Unis, etc.) ;

-        les discours médiatiques 

-        le discours des intellectuel.le.s et expert.e.s, souvent sollicités par les médias sur le sujet. En Allemagne, par exemple, on ne compte plus le nombre d’interviews avec des historiens sur les parallèles avec Weimar.

-        les productions littéraires et audiovisuelles, dans la mesure où celles-ci peuvent, à travers des intrigues situées dans le passé (y compris dans un passé fictif, comme dans le cas des uchronies), livrer un discours sur l’état de la démocratie aujourd’hui, ou au moins un discours qui peut être interprété comme tel – un phénomène de réception en lui-même très intéressant. On peut penser ici par exemple à la série allemande Babylon Berlin (diffusée depuis 2017), qui se déroule dans les dernières années de la République de Weimar, ou encore la mini-série de David Simon The Plot Against America (2020)[3], uchronie située durant la Seconde guerre mondiale et elle-même adaptée d’un roman de Philip Roth ;

Différents types d’études sont envisageables : analyse des références historiques au sein d’un discours spécifique, analyse comparative de l’usage des mêmes références dans différents discours au sein d’un cadre national ; approches transnationales, etc.

Modalités de candidature 

Les chercheuses et chercheurs intéressé.e.s peuvent soumettre une proposition de communication d’ici le 28 février 2022 en envoyant un résumé  (300 à 400 mots) et un CV aux organisateurs :

-        pour l’aire anglophone : Marine Paquereau, marine.paquereau@u-bourgogne.fr

-        pour l’aire germanophone : Nathalie Le Bouëdec, nathalie.le-bouedec@u-bourgogne.fr

-        pour l’aire hispanophone : Pierre-Paul Grégorio, pierre-paul.gregorio@u-bourgogne.fr

-        pour l’aire italophone : Nicolas Bonnet, nicolas.bonnet@u-bourgogne.fr

 

Les propositions peuvent être formulées en français, allemand, anglais, espagnol ou italien. En revanche, les langues de communication du colloque seront uniquement le français et l’anglais.

Les propositions de jeunes chercheuses et chercheurs sont les bienvenues.

Les frais d’hébergement et les repas seront pris en charge par les organisateurs.

Le colloque donnera lieu à une publication collective.

 

Organisateurs/-trices

Agnès Alexandre-Collier, Nicolas Bonnet, Pierre-Paul Grégorio, Nathalie Le Bouëdec, Alix Meyer, Marine Paquereau (Université de Bourgogne, TIL, équipe Individu & Nation)

Comité scientifique

Agnès Alexandre-Collier (PR, civilisation britannique, université de Bourgogne/TIL)

Nicolas Bonnet (PR, littérature italienne, université de Bourgogne/TIL)

Pierre-Paul Grégorio (PR, civilisation espagnole contemporaine, université de Bourgogne/TIL)

Nathalie Le Bouëdec (PR, histoire et civilisation allemande, université de Bourgogne/TIL)

Alix Meyer (MCF, civilisation américaine, université de Bourgogne/TIL)

Marine Paquereau (MCF, littérature américaine, université de Bourgogne/TIL)

Alma-Pierre Bonnet (PRAG, civilisation britannique, Sciences Po Lyon/chercheur associé à TIL)

Michael Drolet (théorie politique, Worcester College, Oxford)
Julio Pérez Serrano (histoire, professeur à l’université de Cadix)  

[1] Voir parmi de nombreux exemples Andreas Wirsching / Berthold Kohler / Ulrich Wilhelm (dir.), Weimarer Verhältnisse. Historische Lektionen für unsere Demokratie, Reclam, 2018.
[2] Voir en France le travail du Labex « Les passés dans le présent : histoire, patrimoine, mémoire » - http://passes-present.eu/
[3] David Simon a clairement expliqué parler de l’Amérique de Trump à travers cette uchronie qui imagine une Amérique antisémite et sympathisant avec l’Allemagne nazie sous la présidence de Charles Lindbergh au lieu d’entrer en guerre au côté des Européens en 1941 : « En lisant le roman aujourd’hui, le monde de Trump, du Brexit, de la désinformation, de la xénophobie et de la peur devient limpide. Les parallèles sont manifestes et ils soulignent l’utilité de l’histoire que [Roth] raconte, incroyablement pertinente, pour dire quelque chose sur une situation dans laquelle on patauge trop profondément pour pouvoir en tirer quoi que ce soit. […] je trouve des stratagèmes pour m’adresser à Trump, car je suis un auteur politique. Si pour ça je dois rassembler des vieilles Packard et des Buick à l’écran, et dénicher des rues qui n’ont pas changé depuis 1939, alors soit ». « David Simon : ‘La bonne nouvelle est qu’on vit plutôt bien à la marge’, interview dans Libération, 31 janvier 2020, https://www.liberation.fr/images/2020/01/31/la-bonne-nouvelle-est-qu-on-vit-plutot-bien-a-la-marge_1776539/ (consulté le 20/10/2021)