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Le Poète national (Toulouse)

Le Poète national (Toulouse)

Publié le par Université de Lausanne (Source : P-Y Boissau)

Colloque international

Le Poète national 

Université Toulouse Jean-Jaurès, juin 2022

 

Le poète national est une figure ancienne, et même un temps démodée, qui a peu à peu ressurgi au premier plan de notre horizon littéraire, l’ouvrage décisif d’Anne-Marie Thiesse sur La Fabrique de l’Ecrivain national l’a manifesté avec éclat. « Incarnation d’une image de la nation par son œuvre et sa personne entre littérature et politique. », selon la définition qu’elle en donne, cette figure s’inscrit dans une perspective dynamisée par les  travaux  nombreux des historiens depuis trois décennies, de Benedict Anderson à Pascal Ory : nation building, « communauté imaginaire », mais aussi résistance de la réalité nationale au démontage d’un scénario de « fabrique » et de « construction » sont devenus des enjeux communs aux penseurs de différents champs disciplinaires. La récurrence fantastique de ce personnage, un Homère relayé par Dante et par Ossian, quand il n’est pas un Tyrtée nationalitaire, de l’éveil romantique des nationalités aux chantiers  identitaires de l’horizon postcolonial n’a cependant pas fini d’étonner et de demander commentaire.

Dans une rencontre ambitieuse quoique consciente de ses limites face à un aussi imposant sujet, nous souhaitons donc prolonger le débat ouvert par Anne-Marie Thiesse en abordant, autant que possible, les diverses facettes de cette monumentale incarnation du pouvoir des lettres. Le poète national actualise ce pouvoir autant du reste, comme source d’une parole fondatrice qui construit la communauté que comme objet d’une parole critique visant à déconstruire son mythe et à détourner son discours.

Un premier axe de l’enquête pourra consister à revisiter les plus classiques scénarios de genèse du poète national : ceux qui ont promu les Milton et les Camoens dans l’ombre distante de Dante, mais aussi bien Hans Sachs, à l’âge romantique, en oubliant Ronsard, possible candidat ; si le XIXème siècle a pu les mobiliser, n’est-ce pas qu’un premier moment de surgissement de l’Etat-Nation, et l’investissement de grandes aventures collectives comme l’Empire colonial ou la Réforme, ont rendus dès longtemps ces figures mobilisables ? Du reste, chaque étape de l’histoire de la nation et de ses anciennes colonies (songeons au Camoens brésilien interrogé par  Fabio Lucas) produit un autre visage de ces grands ancêtres, ouvrant un nouveau champ d’enquête. On pourrait aussi revenir sur le crucial passage de relais du modèle herdérien de l’Homère collectif  au modèle hégélien du grand homme : ce passage a sa part d’aléatoire et demande à être compris dans son détail : le grand homme Byron n’est pas un poète national ; Norwild ne s’agrège pas à la « triade polonaise » de Mickiewicz, Krasinski et Slowacki). Les images aussi qui manifestent la présence et l’action du poète national – le père (Padre Dante), la source des grands fleuves, celui qui « donne un sens plus pur aux mots de la tribu », ou bien encore le masque de Tyrtée, demandent à être étudiées avec plus d’attention aussi bien  comme une topique historique que comme un jeu toujours actualisé des personae du poète. N’hésitons pas à demander, enfin, de quelle manière ce poète national peut être un romancier, mais aussi un musicien (Bach, Smetana ?), voire un peintre (Rembrandt ? Diego Rivera ? ou Dunstan Saint-Omer, fresquiste, peintre national de Saint-Lucy, dessinateur de son drapeau, que Derek Walcott recrée dans la figure de ce Giotto primitif du nouveau monde qu’est le Gregorias d’Another Life).

Un deuxième axe pourra s’orienter non tant vers la genèse que vers la fonction du poète national. Une fonction aussi bien officielle, illustrée par le titre décerné par un état (à Pedro Mir, pour la République dominicaine, à Nicolas Guillen pour Cuba), une fonction traditionnelle comme celle du poète lauréat anglais (naguère Tennysson, aujourd’hui Simon Armitage), une fonction renouvelée par l’urgence de l’inquiétude nationale (comme l’institution récente du poète national belge). Explorer la fonction du poète national reviendrait à interroger la persistance d’une poésie publique ou populaire, investie par la communauté, et traitant délibérément des thèmes significatifs pour cette communauté – bref un programme qui semble bien distinct d’une certaine vision téléologique de la « poésie moderne », individuelle, spontanée, quand elle n’est pas formelle, autotélique. La nécessité du poète national dans les tournants politiques, traduite aussi bien dans sa mobilisation autoritaire (Pouchkine stalinien, Dante mussolinien) que dans la réaffirmation d’une identité fragilisée (la revendication de Chevtchenko en Ukraine) ou dans le balisage de territoires neufs, dans le contexte postcolonial au sens large qui s’ouvre dès l’émergence, aussi, d’une poésie des Amériques (avec peut-être un modèle whitmanien du poète national), implique une redéfinition régulière de la fonction du poète national, loin du musée où l’on aurait pu croire évident de le reléguer.

Le troisième axe enfin pourrait  s’intéresser au  personnage du poète national, objet d’un culte (un culte que le sacre de l’écrivain a substitué au culte proprement religieux), statufié, visité en sa maison-musée, source d’une iconographie et de ces produits dérivés que sont les timbres ou les billets de banque ; ce poète exposé en son monument peut être la cible d’une destruction (les Allemands en 1940 démolissant les monuments à Mickiewicz à Varsovie, comme  celui à Hugo dans Paris) ; il s’offre plus souvent comme un mythe à déconstruire, réécrit, investi dans des   scénarios désacralisants, comme ce Camoens désœuvré sur les navires du reflux de l’Empire dans Les Caravelles de Lobo Antunes, comme ce Sénèque identitaire du stoïcisme espagnol réduit au ridicule dans la fiction de Goytisolo ...  L’interrogation de ce versant aussi bien plastique du poète (l’effigie, le monument) comme de sa place dans une économie des lieux de mémoire devraient en tout cas jouer un rôle important dans notre enquête.

Merci de nous envoyer vos propositions de communications d’ici le 1er septembre 2021 aux deux adresses suivantes : boissau@univ-tlse2.frimbert.c.al@gmail.com . Elles seront soumises au comité scientifique composé des membres de la section de littérature comparée de Toulouse.