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L'écriture de la migration dans la littérature et le cinéma contemporains pour adultes et pour enfants : frontières, passages, errances et figures du tragique moderne (Caen)

L'écriture de la migration dans la littérature et le cinéma contemporains pour adultes et pour enfants : frontières, passages, errances et figures du tragique moderne (Caen)

Publié le par Romain Bionda (Source : Magali jeannin)

Colloque international-Université de Caen-Normandie-2019/2020

« L’écriture de la migration dans la littérature et le cinéma contemporains pour adultes et pour enfants : frontières, passages, errances et figures du tragique moderne »

21-23 novembre 2019

 

Anne Schneider, Magali Jeannin, Yann Calvet, Marie Cleren,

Université de Caen-Normandie, France

 

Les migrations massives de population, relayées par les médias, particulièrement depuis l’été 2016, sont devenues depuis une dizaine années un objet d’écriture à part entière du roman, de la poésie, du théâtre et du cinéma contemporains.

Marie Ndiaye dans le troisième récit de Trois femmes puissantes[1] raconte le destin de Khadidja, femme africaine migrante qui paye de façon tragique un voyage vers l’Europe  voué d’avance à l’échec au bout d’une lente dégradation de sa condition humaine ; Laurent Gaudé dans son roman Eldorado[2], questionne cette recherche sans fin d’un monde meilleur, par le biais de son héros, un capitaine de navire italien chargé d’intercepter les migrants qui remet en question son travail face à la réalité vécue par ces réfugiés. Les phrases poétiques de celui-ci scandent efficacement le reportage de Yolande Moreau sur la jungle de Calais[3], offrant un contraste saisissant entre l’évocation tragique d’une poétique de la migration en voix off, la réalité crue offerte par les images et les paroles révoltées des migrants eux-mêmes, comme si le croisement du fictionnel et du réalisme ne suffisait pas à rendre l’horreur de ce no man’s land — la jungle de Calais — occupé par des fantômes en attente d’une autre vie. Dans son roman A ce stade la nuit, Maylis de Kerangal[4] raconte sa découverte de l’horreur – le naufrage d’un navire avec trois cents personnes à bord à Lampedusa — nouvelle qu’elle entend à la radio et qui la hante au point d’imaginer chaque détail de ce meurtre de masse. Dans Tropique de la violence, Natacha Appanah[5] se penche sur Moïse, l’un de ces quatre mille mineurs isolés qui errent dans Mayotte, en proie à la violence et à l’absence d’identité.

La littérature de jeunesse, elle aussi, se fait l’écho de ces voix devenues symboles d’une enfance brisée : Lampedusa[6], La Traversée[7], Rage[8], Kinshasa Dreams[9], Refuges[10], sont des romans placés sous le signe des enfants réfugiés, tandis que Feuille de verre de Kebir Ammi[11] décrit les enfants des rues qui hantent Tanger, échoués dans cette ville comme des débris. La littérature de jeunesse, par les  romans, les albums et le théâtre pour la jeunesse  explore la figure du sans-papier[12] devenue symbole d’une démocratie en panne et idéologiquement contestable.

Au cinéma, la figure du migrant est omniprésente dans le cinéma américain de L’émigrant (Charlie, Chaplin, 1917) à The Immigrant (James Gray, 2013) en passant par America, America (Elia Kazan, 1963). Le cinéma européen, lui aussi confronté à différentes vagues migratoires interroge cette figure en l’associant souvent à la question de l’intégration de Toni (Jean Renoir, 1934) à Le Havre (Aki Kaurismäki, 2011) en passant par Welcome (Philippe Lioret, 2009) qui raconte la désobéissance civile mais humaniste d'un maître-nageur qui choisit de venir en aide à un sans-papiers. Si In this World (2012) du cinéaste anglais Michael Winterbottom montrait de manière âpre et dans un style de reportage le voyage tragique de deux jeunes Afghans vers l’Angleterre, le nouveau cinéma italien est lui aussi en prise avec la question migratoire avec des films comme Terraferma (Emanuele Crialese, 2012) dénonçant la réponse inappropriée de l’Etat face à la question migratoire.

Il convient donc de considérer cette présence du déplacé dans le roman et le cinéma contemporain, mais aussi en poésie ou au théâtre. Renouant par là avec une certaine tradition du roman réaliste du XIX, mais aussi du roman francophone qui s’est toujours penché sur la figure de l’exilé, de celui qui entre-deux, entre-deux culture, deux pays, deux langues, le roman contemporain décrit avec ses caractéristiques propres, dans une tension entre romanesque et réalisme, entre poétique et tragique, la migration, lieu même de la souffrance humaine, de la figure de l’effroi et de l’horreur. Comme si les reportages, la sémantique des discours politiques, les discours journalistiques ne suffisaient plus à décrire une réalité politiquement complexe, humainement coûteuse qui renvoie nos propres démocraties à leurs limites, le roman prend en charge par la fiction ce naufrage collectif, fondé sur les tensions entre Orient et Occident, la peur de l’autre – du côté de la Méditerranée.

En 2003, Le dernier Caravansérail (Odyssées) d’Ariane Mnouchkine ouvre une série de pièces consacrées à l’écriture de la migration. Cette vaste fresque en langue originale offre un panorama des lieux d’exil : terres natales, pays d’accueil ou points d’attente, comme le centre d’hébergement de Sangatte mis en place par la Croix-Rouge. Le théâtre du clandestin, qui occupe de plus en plus la scène européenne, revêt deux formes différentes. D’un côté, se développe un « théâtre-forum » qui permet aux principaux protagonistes de l’exil d’interpréter leurs propres rôles ; soutenus par des collectifs, les migrants jouent le voyage, la pauvreté, la solitude, et le rejet auxquels ils sont finalement confrontés. De l’autre, ce sont des dramaturges qui se font les porte-paroles des exilés et qui transposent sur scène ces épopées, à l’image de l’auteure espagnole Angélica Liddell (Et les Poissons partirent combattre les hommes, 2007), du Roumain Matéi Visniec (Migraaaants, 2016), des Italiens Erri de Luca (Le dernier Voyage de Sindbad, 2012), Lino Prosa (Trilogia del Naufragio, 2014) et Davide Enia (L’abisso, 2018). En France, Laurent Gaudé est, quant à lui, l’auteur d’un opéra écrit en 2012 pour une troupe de circassiens évoquant le périple d’un père et sa fille vers des mondes meilleurs et celui d’un immigré empruntant, lui, le chemin du retour. Cette année, les créations sont nombreuses et reflètent une préoccupation accrue des artistes pour le sort réservé aux migrants : Etat Frontière, écrit et monté par Christophe Tostain (Théâtre de Lisieux), Réfugié.e.s, mis en scène par Spark Cie (La Renaissance, Mondeville), Sous le Tarmac (correspondances d’aéroport) monté par la Compagnie Essentiel Ephémère (Salle Paul Garcin, Lyon), pour n’en citer que quelques-unes. Le théâtre des êtres clandestins, inspiré de milliers de témoignages, se situe à la lisière du « théâtre documentaire », pourtant les dramaturges ne se contentent pas d’y observer une série des situations malheureuses, ils nous livrent leur propre vision des choses, poétique ou ironiques, nous incitant à la réflexion ou à l’action.

 

Cependant, comme l’a rappelé Catherine Mazauric, dans Mobilités d’Afrique en Europe, Récits et figures de l’aventure[13], la figure du migrant peut renvoyer, certes, à celle d’un aventurier, dans la pure tradition du voyageur qui quitte tout pour une vie nouvelle, mais cette figure positive devient rapidement une figure dégradée, en proie au froid, à la faim, aux passeurs, aux dangers de la mer, à la police, aux marches forcées, bref, à cet élan vigoureux se substitue un élan mortifère où le migrant, tragédien des temps modernes est seulement placé sous le signe de la survie. Ainsi, l’arrivée en terre promise se solde souvent par de nouvelles difficultés : échapper à la police, trouver des papiers, être le jouet de l’administration, comme le vit Samba dans le roman éponyme Samba pour la France, de Delphine Coulin[14]. Cette description de la misère du migrant incapable de s’intégrer, malgré sa volonté et malgré l’image positive qu’il a du pays d’accueil met à mal la question de la citoyenneté et des valeurs de la France et d’autres pays d’Europe, montrant les logiques politiques incompréhensibles et le recul des notions fondamentales de respect des droits de l’homme, de liberté et d’égalité.

Nous explorerons donc cette figure du réfugié[15] dans les romans, la poésie, le théâtre et le cinéma contemporains à destination des adultes et des enfants, en France et en Europe, en nous intéressant à plusieurs questionnements qui sont loin d’être exhaustifs.

Plusieurs axes nous paraissent pouvoir être explorés :

-la question de l’écriture du voyage : la migration renouvelle l’image traditionnelle du récit de voyage, comment la narration permet-elle de revisiter le topos du récit de voyage pour en faire un récit de l’errance, du déplacement, placé sous le signe du tragique ? Dans quelle filiation littéraire se place-t-on ? Quel héritage et quels écarts par rapport à celui-ci peuvent être perçus dans les nouvelles écritures contemporaines ?

-le motif marin : le migrant doit franchir la mer, comment ce motif traditionnel est-il revisité ? Quelle mer est décrite : matrice sacrificielle, tombeau, profondeur abyssale, image du naufrage, des corps échoués sur le sable[16], la mer se décline sur un mode nouveau où poétique des corps et thématique du naufrage crée des figures contemporaines du tragique

-la question féminine : que vivent les femmes en contexte migratoire ? Particulièrement vulnérables sur les routes de l’exil, elles subissent d’innombrables violences. Exposées à une triple discrimination : de genre, de classe et ethnique, elles s’engagent pourtant dans le défi de leur émancipation, accompagnées d’enfants dont elles ont la charge, engagées dans des travaux qui les esclavagisent. Entre résignation, vengeance et désir de vivre, les portraits de femmes combattives nous interrogent sur leur capacité à la résilience.

-la question linguistique et sémantique : comment sont nommés ces réfugiés, ces sans-noms, souvent voués à un anonymat tragique ? Réfugiés, harragas, migrants, exilés, déplacés, immigrés, immigrants, voyageurs, rescapés, clandestins, quelle nouvelle sémantique permet de définir leur statut ? Comment le roman et les autres arts poétisent cette sémantique, comment le langage invente-t-il de nouvelles formes chargées de rendre au plus près la condition humaine du migrant ?  

-la question de l’esthétique de l’écriture littéraire et filmique : réalisme, poésie ou tragique ? Quels arcanes stylistiques, quels courants littéraires et cinématographiques sont perceptibles dans l’écriture contemporaine qui évite tout lyrisme pour se concentrer sur la réalité crue ? Quels choix esthétiques ? Dans quelle mesure les romans, les pièces de théâtre et les films sur la migration renouvellent-il le genre romanesque et cinématographique, oscillant parfois entre nouvelle et écriture théâtralisée ?

-la question du tragique contemporain : quelles figures et formes du tragique sont perçues dans la fiction contemporaine ? La question du héros tragique voué au désespoir et à la mort hante les écrits romanesques, comme si le héros moderne était désormais un Don Quichotte à la fois solitaire et toujours inscrit dans une dimension collective. Il n’y a plus d’individus, femmes, hommes ou enfants, mais une masse grouillante qui appelle l’anonymat et la désincarnation humaine.

-la question politique dans l’écriture nous semble indéniable : quelle écriture idéologique accompagne ces œuvres ? Comment le roman, la pièce de théâtre ou le film se fait le lieu de la dénonciation ? Par quelles analogies, par quelles descriptions, indignations et discours sur les valeurs ? Quels sont les adjuvants des migrants et quels discours portent-ils sur la société ? La question des frontières reste toujours un sujet romanesque et cinématographique et les descriptions des camps de réfugiés aux univers carcéraux, des marches des migrants, des bidonvilles, de l’insalubrité, de la faim, les réactions de soutien et de solidarité mais aussi les réactions de haine et de rejet rappellent d’autres époques où l’exploitation humaine, la stigmatisation de certaines populations et la haine ont conduit à des folies meurtrières.  

-la question éducative et ses enjeux en termes didactiques et pédagogiques : comment l’institution scolaire se saisit-elle des problématiques déclinées ci-dessus, dans un contexte où un nombre croissant d’enfants et adolescents migrants se trouvent scolarisés dans les établissements scolaires français et européens ? Quelle prise en compte de l’identité culturelle et linguistique de ces enfants et adolescents, pour quelle intégration effective ? Quelles sont les représentations construites par l’institution elle-même et ses acteurs (enseignants, encadrants éducatifs…) qui peuvent interférer dans  le processus d’intégration ? Quelle formation à l’altérité en direction des élèves, eux-mêmes travaillés par des représentations du migrant plus ou moins conscientes, construites le plus souvent en dehors du cadre scolaire ? Il s’agira donc d’examiner dans quelle mesure littérature, théâtre et cinéma peuvent constituer des ressources didactiques au service d’une affiliation des enfants et adolescents migrants à la culture du pays d’accueil, et selon quelles modalités. Parallèlement, on s’interrogera sur les différentes formes d’appui que littérature et cinéma de la migration peuvent constituer dans la perspective d’une formation à la citoyenneté et d’une ouverture à l’altérité de tous les élèves.

Nous inciterons les contributeurs à se pencher sur des corpus variés de romans contemporains, de films, de littérature de jeunesse, de théâtre et de poésie.

Les propositions sont à envoyer au plus tard le 31 mai à l’adresse suivante : colloque.migration.caen.2019@gmail.com

Retour des avis fin juin – programme définitif en septembre.

 

Modalités pratiques

Le colloque se déroulera sur trois jours à l’Université de Caen-Normandie les jeudi 21, vendredi 22 et samedi 23 novembre 2019. Un deuxième volet du colloque aura lieu à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté à l’automne 2020.

La publication des actes se fera dans la collection « Voix de la Méditerranée » des Edizioni Universitarie Romane.

Frais d’inscription : 20 euros (les membres de l’Institut International Charles Perrault à jour de leur cotisation seront exonérés des frais d’inscription)

Organisateurs du colloque :

Anne Schneider (MCF en Langue et littérature françaises) : anne.schneider@unicaen.fr ; Magali Jeannin (MCF en Langue et littérature françaises) : magali.jeannin@unicaen.fr ; Yann Calvet (MCF en études cinématographiques) : yann.calvet@unicaen.fr ; Marie Cleren (Docteur en littérature comparée) : marie.cleren@unicaen.fr

Axes du Laslar EA 4256 : Axe 3 : « Territoires de la fiction », Axe 4 : « Ecriture de l’image », « Axe transversal : Didactique de la littérature »

Comité scientifique :

Kodjo Atikpoé, Professor, Mémorial University of Newfoundland, Canada

Marie-Hélène Boblet, PR Université de Caen

Véronique Bonnet, MCF Paris 13

Virginie Brinker, MCF Université de Bourgogne 

Yann Calvet, MCF Université de Caen

Marie Cleren, Docteur en littérature comparée Université de Caen

Christophe Damour, MCF Université de Strasbourg

Dotoli Giovanni, PR Université de Cagliari, Italie

Corinne Grenouillet, PR Université de Strasbourg

Magali Jeannin, MCF Université de Caen

Claire Lechevalier, PR Université de Caen

Bettina Kümmerling-Meibauer, PR Dr.Université de Tübingen, Allemagne

Chantal Meyer-Plantureux, PR Université de Caen

Natalie Noyaret, PR Université de Caen

AMarie Petitjean, MCF, Cergy-Pontoise

Anne Schneider, MCF Université de Caen

Marie-Josée Tramuta, PR Université de Caen

 

[1] Marie Ndiaye, Trois femmes puissantes, Gallimard, 2009.

[2] Laurent Gaudé, Eldorado, Actes Sud, 2006.

[3] « Nulle part en France » Documentaire de Yolande Moreau, Arte, 29/03/2016 rediffusion le samedi 20 août 2016, 18 h 50 , http://info.arte.tv/fr/refugies-calais-et-grande-synthe-en-france, consulté le 24/04/2017. Voir la critique : television.telerama.fr/television/regardez-nulle-part-en-france-le-documentaire-de-yolande-moreau-sur-la-jungle-de-grande-synthe,140499.php , consulté  le 24/04/2017

[4] Maylis de Kerangal, A ce stade la nuit, coll. Minimales, Gallimard, 2015

[5] Natacha Appanah, Tropique de la violence, Gallimard, 2016.

[6] Maryline Desbiolles, Lampedusa, coll. Médium, Ecoles des Loisirs, 2012.

[7] Jean-Christophe Tixier, La Traversée, Rageot, 2015.

[8] Orianne Charpentier, Rage, Scripto Gallimard, 2017

[9] Anna Kuschnarowa, Kinshasa Dreams, coll. Encrages, La Joie de lire, 2016

[10] Annelise Heurtier, Refuges, Casterman, 2015.

[11] Kebir Ammi, Feuille de verre, Scripto, Gallimard, 20

[12] Voir la bibliographie de Claire Hugon dans son mémoire de master 1, dir. S. Servoise, Université du Maine, « La représentation des sans-papiers en littérature pour la jeunesse : un engagement contemporain ? » et son article : « Nous sommes tous des sans-papiers ! Ou la représentation des sans-papiers en littérature pour la jeunesse » http://www.cnt-f.org/nautreecole/?Nous-sommes-tous-des-sans-papiers, consulté le 24/04/2017.

[13] Catherine Mazauric, Mobilités d’Afrique en Europe, Récits et figures de l’aventure, Karthala, 2012, 389 pages

[14] Delphine Coulin, Samba pour la France, Seuil, 2011.

[15] Vu également par ceux qui l’aident, avec par exemple L’opticien de Lampedusa, Emma-Jane Kirby, Equateurs, Paris, 2016 ou Jours d’exil, Juliette Kahane, L’Olivier, 2017.

[16] Voir la symbolique du corps sans vie du petit Aylan, enfant syrien rejeté sur une plage de Turquie, article du journal Le Monde, cultures et idées, Philippe Dagen, « Le massacre des innocents », samedi 12 septembre 2015, page 8