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Autres quotidiens dans les littératures et cultures francophones  du Maghreb et du Moyen-Orient (Poznan)

Autres quotidiens dans les littératures et cultures francophones du Maghreb et du Moyen-Orient (Poznan)

Université Adam Mickiewicz

Institut de philologie romane et Institut d’études culturelles

Université de Silésie à Katowice

Institut d’études littéraires

 

Colloque international

Autres quotidiens dans les littératures et cultures francophones du Maghreb et du Moyen-Orient

Poznań,  19-20 mai 2022

 

Les années 1980 ont marqué un tournant important dans la réflexion sur le quotidien en contribuant à rompre définitivement avec une acception généralement négative que la culture européenne lui avait réservée. Si cette période peut être caractérisée comme étant « l’arrivée à maturité d’un ensemble d’idées portant sur l’importance fondamentale du quotidien »1 – avec notamment la réflexion de Michel de Certeau dans L’invention du quotidien. Arts de faire (1986), préparée par celle d’un Henri Lefebvre ou d’un Maurice Blanchot ainsi que par les avant-gardes littéraires et artistiques – elle découvre avant tout le potentiel subversif du quotidien en le considérant désormais comme « le terrain d’une authenticité potentiellement menacée »2. Pour Maurice Blanchot, l’homme des sociétés modernes est à la fois « immergé dans le quotidien et en privé » alors que le quotidien lui-même combine toujours un aspect fatigant et abominable avec une capacité de « fuir les formes et les structures ». C’est pour cela que l’attention aussi bien des théoriciens que des écrivains et artistes se concentre dans un premier temps à rechercher des moyens d’expression qui permettront, d’un côté, d’échapper à une tentative de survalorisation du quotidien, et de l’autre, de préserver son authenticité, sinon le rendre perceptible.

Si le quotidien est avant tout une expérience humaine plutôt qu’un concept théorique,
il permet de nourrir des récits tant factuels que fictionnels. Il est déjà présent dans les textes en langue française écrits par les pionniers de la littérature maghrébine, comme Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun ou la trilogie de Mohammed Dib (La Grande Maison, L’incendie, Le Métier à tisser), à travers la peinture de la réalité coloniale vécue au quotidien (notamment celle du milieu rural, de l’entourage familial, de la misère, etc.). Aussi les générations nées après l’indépendance des pays maghrébins soulèvent-elles cette problématique dans leurs écrits et montrent que le quotidien n’est pas vécu de la même manière par différents individus ou groupes sociaux. Leïla Marouane ou Maïssa Bey ont par exemple montré, dans une perspective féministe, la manière de vivre le quotidien, respectivement par des adolescentes au seuil de l’âge adulte (Le Ravisseur, La Jeune Fille et la Mère) ou des femmes délaissées par la société (Cette fille-là). Cette sensibilité sociale semble ne pas être tout-à-fait indifférente aux écrivains maghrébins en général, pour ne citer que les héroïnes d’Ombre sultane d’Assia Djebar ou celle de La civilisation, ma mère ! de Driss Chraïbi. Ce dernier met en scène également le quotidien d’immigrés (Les Boucs), tout comme Leïla Sebbar (trilogie sur Shérazade : Shérazade, 17 ans brune, frisée, les yeux verts, Les Carnets de Shérazade, Le Fou de Shérazade) ou Azouz Begag dont les romans Le Gone du Chaâba ou Mémoires au soleil sont inspirés par le vécu de l’auteur dans la métropole lyonnaise en tant qu’émigré. Dans le contexte des cultures arabes de langue française, on ne saurait négliger les textes littéraires et non-littéraires consacrés aux pratiques d’une population livrée au huis clos de la guerre comme ce fut le cas de l’Algérie dont la « quotidienneté de l’horreur »3 est décrite notamment par Aïssa Khelladi (Peurs et mensonges, Rose d’abîme) ou Ghania Hammadou (Bab-Errih : la Porte du vent), ou encore de l’Afghanistan avec la guerre comme toile de fond pour la confession d’une jeune femme veillant sur son mari blessé dans Syngué Sabour : Pierre de patience d’Atiq Rahimi. Ce colloque interrogera donc les différentes « manières de faire » (Certeau) qui sont sans aucun doute non seulement des gestes créateurs individuels, mais aussi des actes socialement et culturellement marqués.

Nous proposons de réfléchir sur la présence du quotidien dans les littératures et cultures francophones du Maghreb et du Moyen-Orient. Nous cherchons à sortir du dilemme décrit par Abdelkébir Khatibi dans son essai classique sur la littérature maghrébine où il a cité les propos du poète algérien Malek Haddad concernant le rôle de l’écrivain arabe à l’époque de la décolonisation : « Nous sommes les tristes bénéficiaires d’une actualité bouleversée et bouleversante »4. Même si ledit constat date des années 1960, l’actualité des trois dernières décennies maintient les écrivains et artistes dans la position de témoins ou de spécialistes, censés expliquer le « monde arabo-musulman » au public des pays européens. Il est difficile d’échapper à cette tentation, toute réductrice qu’elle soit. Se voir rabaissé au rôle de représentant d’une culture exotique permet de jouir d’une couverture médiatique non négligeable de son œuvre.

La thématique du ‘quotidien’ permet aussi bien de s’attarder sur ce qui est propre aux contextes maghrébin et moyen-oriental que de relever des enjeux universels, capables d’intéresser les lecteurs au-delà de la dimension purement mimétique de la création artistique. Dans cette perspective nous allons chercher à redécouvrir les auteurs et artistes francophones du Maghreb et du Moyen-Orient pour envisager le quotidien comme une pratique créatrice, comme une « réserve d’anarchie » (Blanchot) ou comme une tactique développée par le plus faible face au pouvoir, qu’il soit de l’ordre politique, économique, commercial ou religieux5.

Nous proposons des axes de réflexion suivants :

  • Le statut du quotidien dans les littératures et cultures arabes.

  • Dans une perspective comparatiste, la pertinence des concepts théoriques et esthétiques sur le quotidien élaborés dans les sciences humaines françaises et occidentales dans le contexte littéraire et artistique maghrébin et arabe.

  • Les « manières de faire » quotidiennes comme formes de constitution d’une identité arabe et / ou musulmane.

  • Les manières d’approcher l’expérience du quotidien dans l’art et dans les lettres arabes francophones.

  • Les pratiques quotidiennes de différents groupes sociaux dans l’espace arabe francophone (femmes, enfants, jeunes, personnes handicapées, personnes LGBT, migrants noirs au Maghreb, militants politiques et prisonniers, membres des groupes islamistes etc.).

  • Le quotidien comme expérience communautaire (p. ex. le quotidien des émigrés maghrébins en France.

  • La mémoire du quotidien colonial et révolutionnaire.

  • Et autres.

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Les propositions de communication d’une longueur de 300 à 500 mots, ainsi qu’une courte bio-bibliographie sont à envoyer à l’adresse autresquotidiens2020@gmail.com et ce avant le 31 octobre 2021.

Les notifications d’acceptation seront envoyées aux participants au mois de novembre.

Les frais d’inscription (500 PLN / 125 €) couvrent les coûts de deux déjeuners, d’un dîner de gala, des pauses-café et de la publication. Les frais de transport et d’hébergement sont à la charge des participants. Les détails du paiement seront fournis ultérieurement.

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Le comité scientifique :

Amina Bekkat, Université de Blida, Algérie

Faouzia Bendjelid, Université d’Oran 2, Algérie

Mounira Chatti, Université Bordeaux Montaigne, France

Touriya Fili-Tullon, Université Lumière Lyon 2, France

Krzysztof Jarosz, Université de Silésie à Katowice, Pologne

Benaouda Lebdai, Le Mans Université, France

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Le comité d’organisation :

Julia Brzózka

Joanna Koswenda

Artur Łuksza

Magdalena Malinowska

Jędrzej Pawlicki

Katarzyna Thiel-Jańczuk

 

 

1 M. Sheringham, Traversées du quotidien, PUF, Paris, 2013, p. 10.

2 Ibid., p. 19.

3 Ch. Bonn, « Paysages littéraires algériens des années 90 et post-modernisme littéraire maghrébin », in : Ch. Bonn, F. Boualit (dir.), Paysages littéraires algériens des années 90 : témoigner d’une tragédie ? Éditions L’Harmattan, Paris, 1999, p. 8.

4 A. Khatibi, Le roman maghébin, SMER, Rabat, 1979 [Ed. F. Maspero, Paris, 1968], p. 10.

5 M. de Certeau, L’Invention du quotidien, 1. : Arts de faire et 2. : Habiter, cuisiner, Gallimard, Paris, 1980.