Actualité
Appels à contributions
En lisant, en écrivant : Gilles Corrozet (1510-1568) : un libraire-auteur au temps de la Renaissance (Toulouse)

En lisant, en écrivant : Gilles Corrozet (1510-1568) : un libraire-auteur au temps de la Renaissance (Toulouse)

Publié le par Marc Escola (Source : Trung Tran)

En lisant, en écrivant : Gilles Corrozet (1510-1568), un libraire-auteur au temps de la Renaissance

Colloque organisé par Pascale Chiron, Antonin Godet, Trung Tran et Magali Vène

Université Toulouse-Jean Jaurès (Laboratoire PLH / Équipe ELH), les 16-17 mars 2023

Figure singulière de la librairie parisienne autant que des lettres françaises du XVIe siècle, Gilles Corrozet est connu pour l’originalité et la diversité des éditions sorties de son officine du Palais autant que pour ses propres œuvres, en tant qu’auteur, traducteur ou compilateur, au premier rang desquelles les Antiquitez de Paris (1532-1550-1561) et l’Hecatongraphie (1540-1544). Le propos du colloque sera de dresser un portrait de ce polygraphe humaniste et d’interroger ses pratiques, à partir de l’analyse de ses œuvres et de l’étude problématisée de son catalogue de libraire, sans oublier le riche matériau préfaciel dont sont assortis ses livres, qu’il en soit l’auteur ou l’éditeur. Il s’agira aussi de mener ces investigations à partir d’un renouveau confirmé des « études corroziennes », comme le montrent l’ouvrage à paraître de Magali Vène consacrés aux libraires Corrozet ainsi que l’édition critique du Parnasse des poètes français modernes (1571-1578) proposée par Antonin Godet (Classiques Garnier, à paraître en 2022).

Au-delà des stratégies strictement commerciales du libraire, il s’agira de voir en quoi les inspirations d’auteur de Corrozet et ses choix d’éditeur permettent de dessiner la figure et la sensibilité d’une personnalité moderne, engagée dans son temps et impliquée dans le paysage littéraire du deuxième tiers du xvie siècle ; on se demandera en quoi sa pratique d’éditeur se nourrit de sa pratique d’auteur, et inversement.

Établi au Palais en 1535, après s’être fait connaître en signant plusieurs textes en vers ou en prose, Gilles Corrozet devient un libraire qui lit autant qu’un libraire qui écrit : prenant « d’aultruy la pierre et le ciment » (Fables d’Ésope, 1542), il se fait une spécialité de la collecte des voix des autres. Soucieux de faire « de vieulx mesrien une neufve maison » (Hecatongraphie, 1540), il adapte et manipule des matériaux existants, participant ainsi à l’émergence de formes nouvelles qui définissent des modalités particulières de remaniement et de réception pour des textes acclimatés aux goûts du temps et visant à la récréation des lecteurs autant qu’à leur édification morale. En témoignent sa contribution à l’efflorescence de la littérature emblématique et para-emblématique et, plus largement, à la mode du livre illustré, son goût pour la compilation historique, pour la pratique de l’anthologie, pour la collection de proverbes et de sentences, son intérêt pour la vogue du roman sentimental venu d’Espagne et d’Italie, etc. Sa double carrière trouve ainsi une dynamique singulière, qui permet de fonder la notion même d’auctorialité pour Corrozet. Les textes qu’il édite comme ceux qu’il compose constituent par ailleurs un observatoire privilégié des modes de reconfiguration, de diffusion et de transmission du patrimoine littéraire du passé et des nouveaux apports de la culture humaniste. Sa pratique de pourvoyeur et de producteur de textes marque ainsi un moment important de l’histoire du livre, de l’histoire littéraire et de l’histoire des genres et des formes éditoriales.

On pourra envisager les axes suivants :

• Un libraire qui lit, un libraire qui écrit : L’œuvre compilatoire de Gilles n’a pas vocation à être thésaurisée, car il s’agit d’une véritable création littéraire reposant sur des principes de réécritures constants, sur une sélection toute personnelle et pulsatile des citations, conditionnée par des lectures de la modernité poétique, et enfin par un plaisir à être présent sous un masque, à faire son autoportrait en lecteur. L’étude de son catalogue de libraire, de son activité d’éditeur de textes allographes, de ses politiques éditoriales pourrait-elle ainsi permettre de dessiner en creux la figure d’un polygraphe touche-à-tout, qui n’écrirait pas qu’en réaction à ce qu’il lit mais qui, en se glissant dans les voies tracées par d’autres, exprimerait tout de même une éthique et une œuvre personnelles ? Les textes qu’il publie nous permettent-ils d’avoir une idée de l’étendue des sources qui inspirent son écriture ? La figure de l’artisan-libraire influence-t-elle celle de l’auteur-ouvrier que met en scène celui qui s’est longtemps présenté comme un modeste « indigent de sapience » ? Quel portrait dresse-t-il finalement de lui-même dans ses nombreux textes préfaciels ?

• Cercles, milieux, réseaux : Gilles Corrozet a-t-il noué des liens particuliers avec les auteurs qu’il a édités, avec lesquels il a collaboré ou avec lesquels il semble entretenir une certaine proximité et même jouer un rôle d’initiateur, notamment pour de jeunes poètes restés discrets tels Pierre Larivey, Pierre Tamisier ou Jacques Moysson, ou d’autres installés sur le devant de la scène littéraire comme Du Bellay et Ronsard (qui publient leurs premiers vers chez lui en 1547 dans les Œuvres poetiques de Jacques Peletier du Mans). On pourra ainsi interroger le rôle de « passeur » de Corrozet lui qui fait le lien éditorial – si ce n’est dans ses propres œuvres – entre les générations poétiques. Que nous dit également le réseau qu’il forme avec les imprimeurs-libraires auxquels il s’est associé ou auxquels il a confié l’édition de ses propres textes (les frères Trechsel et Frellon, Denis Janot, Michel de Vascosan…), y compris avec son propre fils Galliot qui poursuit l’entreprise paternelle au-delà de la mort de son père en 1568 ? On pourra aussi s’intéresser aux querelles ou aux débats auxquels Corrozet a participé : l’affaire des blasons, la querelle Marot/Sagon, ou encore la querelle des amies dont l’Hecatongraphie et Le livre de plusieurs pieces se font l’écho.

 • Une figure d’auteur moderne : La notion de modernité est récurrente dans l’œuvre de Gilles Corrozet, depuis son recueil des Blasons domestiques (1539), qu’il décrit comme une « invention joyeuse, & moderne », jusqu’à son Parnasse des poètes françois modernes. Dès son premier travail d’édition, Gilles a été sensible aux idées nouvelles susceptibles d’intéresser les lecteurs de son époque, ainsi qu’à la manière d’utiliser la langue vernaculaire pour retranscrire les propos des Anciens. Il développa dès ses premiers travaux d’édition une plume prompte à saisir l’événement, ainsi qu’une aptitude à remanier la présentation d’une œuvre pour la rendre plus attrayante. On pourra ainsi analyser sa pratique du vers, dégager les éléments d’une esthétique et d’une poétique des formes et des genres (emblèmes, blasons, figures de la Bible, formes brèves parémiologiques, anthologies, etc.), voir en quoi son œuvre permet de penser la pratique de la traduction et de la compilation au nom d’une esthétique moderne.

• L’œuvre d’un moraliste ? : parce qu’un « bien caché, tant soit il petit, ne peut proffiter à personne » (Niccolò Liburnio, Elegantissime sentenze [...] Les tres elegantes sentences[...], éd. et trad. Gilles Corrozet, 1546), Corrozet n’a de cesse de traduire, remanier, compiler, dans une volonté constante de diffuser la sagesse des anciens et des modernes, à partir d’un matériau venu de France mais aussi d’Italie. Il veut donner à lire les « propos moraulx de la philosophie » (Hecatomgraphie, 1540) aussi bien que les « ditz sacrez » et les « histoires sainctes » (Historarium Veteris Testamenti icones, 1539). Ses propres écrits sont conçus comme les vecteurs de diffusion d’une morale chrétienne, sans oublier sa contribution à la diffusion de la doctrine ficinienne notamment avec sa Diffinition et perfection d’amour (1542). On pourra ainsi s’interroger sur la façon dont, derrière les paroles d’autrui, il inscrit sa présence, fait entendre sa voix et laisse entrevoir ses convictions personnelles.

Les propositions de communication sont à adresser d’ici le 14 mars 2022 à : corrozet2023@gmail.com

*
 
Bibliographie indicative :

ADAMS, Alison, L’Hecatongraphie (1544) et Les emblemes du Tableau de Cebes (1543), Droz, Genève, 1997.
BALSAMO, Jean, « Les libraires du Palais et les poètes (1530-1610) » dans Les poètes français de la Renaissance et leurs « libraires », éd. D. Bjaï et Fr. Rouget, Droz, Genève, 2015, p. 77-98.
BEAULIEU, Jean-Philippe, « Compiler, agencer : le gratieux labeur de la disposition », Le simple, le multiple : la disposition du recueil à la Renaissance, Études françaises, 38, n°3, 2002, p. 5-9
BONIFAY, Florence, « Figures d’imprimeurs libraires dans quelques productions poétiques de la Brigade », Réforme, Humanisme, Renaissance, n°76, Lyon, 2013, p. 49-71.
BURON, Emmanuel, « L’autorité du compilateur dans quelques recueils français de la Renaissance », L’Autorité poétique en Chine et au Japon, Extrême-Orient Extrême-Occident, 2003, n°25, p. 169-184.
CHABAUD, Gilles, « Images de la ville et pratique du livre : le genre des guides de Paris (XVIIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 45-2, 1998, p. 323-345.
CHIRON, Pascale, « Corrozet, modeste architecte du monument littéraire des fables », Le Fablier. Itinérances de la fable : transmissions, transferts et transactions, n°28, 2017, p. 77-85.
DAUVOIS, Nathalie, « Anthologies et recueils de lieux communs à la Renaissance », dans Fleurs et jardins de poésie : les anthologies poétiques au XVIe siècle (domaine français, incursions européennes), dir. A. Lionetto et J.-C Monferran, Classiques Garnier, Paris, 2021, p. 39-53.
DE REYFF, Simone, « Les Icones Historiarum Veteris testamenti de Gilles Corrozet, un livre pluriel », dans Ouvrages phares de la Réforme et de la Contre-Réforme dans les collections montréalaises, Presses Universitaires du Québec, Québec, 2014, p. 75-98.
FREEMAN, Martin Joseph, « Gilles Corrozet et les débuts littéraires de Pierre de Larivey », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, vol. 48, n° 2, 1986, p. 431-438.
GODET, Antonin
— Édition critique du Parnasse des poètes françois modernes de Gilles et Galliot Corrozet (1571, 1572, 1578), Paris, Classiques Garnier, à paraître en 2022.
— « ‘‘La Fleur jointe avec le fruit’’ : Le Parnasse des poètes françois modernes des Corrozet », dans Fleurs et jardins de poésie : les anthologies poétiques au XVIe siècle (domaine français, incursions européennes), dir. A. Lionetto et J.-C Monferran, Classiques Garnier, Paris, 2021, p. 227-244.
GRAHAM, David, « Récurrence, redondance, rupture : l’emblème français de Gilles Corrozet et son rythme de lecture », Études littéraires, 29 (1), 1996, p. 47-57.
JERVIS, Simon, « Les Blasons domestiques by Gilles Corrozet », Furniture History , 1989, Vol. 25 (1989), p. 5-35, https://www.jstor.org/stable/23407099 
KEMP, William, KAMMERER, Elsa, « Les Icones de Holbein et Corrozet (1538-1547), Gravures, langues et typographie chez les Treschell et les Frellon », dans Ouvrages phares de la Réforme et de la Contre-réforme dans les collections montréalaises, sous la direction de B. Dunn-Lardeau, Presses de l’Université du Québec, 2014, p. 180-190.
LIAROUTZOS, Chantal,
— « De pièces et de morceaux. Les Blasons domestiques de Gilles Corrozet », Littérature, n°78, 1990,. p. 46-53, http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1990_num_78_2_1525 
— Le Pays et la mémoire. Pratiques et représentations de l’espace français chez Gilles Corrozet et Charles Estienne, Champion, Paris, 1998.
— « L’Anthologie de Corrozet ou le Parnasse moralisé », dans L’Acte éditorial. Publier à la Renaissance et aujourd’hui, sous la direction d’A. Réach-Ngô et B. Ouvry-Vial, Classiques Garnier, Paris, 2010, p. 39-58.
MUEGGLER, Nina,
— « Configurer des réseaux par le recueil : le cas du Parnasse des Poëtes François modernes de Corrozet (1571) » dans « Le Bel épy qui foisonne » : Collection and Translation in French Print Networks 1476-1576 , Peter Lang, 2018.
— « Le Labeur du compilateur : Gilles Corrozet, auteur, éditeur, libraire » dans L’Éditeur à l’œuvre: reconsidérer l’auctorialité ? (fin XVe-XXIe siècles), actes du colloque de Bâle 11-13 octobre 2018, Plateforme Emono Universitätsbibliothek Basel, 2020 : https://emono.unibas.ch/catalog/book/61
PETTEGREE, Andrew, WALSBY, Malcolm et WILKINSON, Alexander (dir.), Livres vernaculaires française, Livres imprimés en français avant 1601, tome I, Brill, Leiden/Boston, 2007.
RAWLES, Stephen, Denis Janot, Parisian printer and bookerseller (1529-1544) parisian, printer and bookseller, Brill, Leiden-Boston, 2018.
REACH-NGÔ, Anne, « ‘‘Le Tout tire de divers Autheurs trop fameux’’. Les compilations littéraires de la Renaissance, de la caution publicitaire à la constitution d’une communauté auctoriale », Le Verger – bouquet XIII, 2018: http://cornucopia16.com/blog/2019/01/05/anne-reach-ngo-le-tout-tire-de-divers-auteurs-trop-fameux-les-compilations-litteraires-de-la-renaissance-de-la-caution-publicitaire-a-la-communaute-auctoriale/
SAUNDERS, Alison, 
—     « Emblem books for a popular audience ? Gilles Corrozet’s Hecatomgraphie and Emblemes », Australian Journal of French Studies, vol. 17,  janvier 1980, p. 5-29.
—     « Expanding the emblematic canon: how many emblems did Gilles Corrozet actually produce ? », Renaissance Studies , juin 1997, vol. 11, n° 2, p. 89-107, https://www.jstor.org/stable/24412597 
SAMARAN, Charles, « Gilles Corrozet à Arcueil », Bibliothèque de l’École des Chartes, 98, 1937, p. 28-29.
SKENAZI, Cynthia, Le poète architecte en France, Constructions d’un imaginaire monarchique, Champion, Paris, 2003.
TRAN, Trung, « De la rhétorique de la compilation aux mots de l’invention : autour du péritexte de l’Hecatomgraphie de Gilles Corrozet (1540) » dans Recueillir, lire, inscrire. Recueils et anthologies à l'époque moderne, dir. M. Bombart, M. Cartron et M. Rosellini, Pratiques et formes littéraires, n°17, 2020, https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=209 
VENE, Magali
— Gilles, Jean Ier et Galliot Corrozet : libraires parisiens de la Renaissance, 3 tomes, École nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques, sous la direction de D. Roche, 1996-1997
— « Auteur et libraire : le cas Gilles Corrozet », Passeurs de textes, imprimeurs, éditeurs et lecteurs humanistes, sous la direction de Y. Sordet, Collections de la Bibliothèque de Genève, Genève, 2009,  p. 58-67.
—  « ‘‘Pour ce qu’un bien caché [...] ne peult proffiter à personne’’, ‘‘j’ay prins d’aultruy la pierre et le ciment’’. Gilles Corrozet, auteur et libraire, passeur de textes », Passeurs de textes : Imprimeurs et libraires à l’âge de l’humanisme, Publications de l’École nationale des chartes, 2012 : http://books.openedition.org/enc/543
VIGNES, Jean, « Pour une gnomologie : enquête sur le succès de la littérature gnomique à la  Renaissance », Seizième siècle, 2005, n°1, p. 175-211 : https://www.persee.fr/doc/xvi_1774-4466_2005_num_1_1_853
VULCAN, Ruxandra, « Le Tableau de Cébès de Gilles Corrozet et la poésie d’Héroët », Par élévation d’esprit. Antoine Héroët, le poète, le prélat et son temps, sous la direction d’A. Gendre, et L. Pétris, Classiques Garnier, Paris, 2007, p. 375-384.