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Colloque "Emile Benveniste et la littérature"

Publié le par Marc Escola (Source : Chloé Laplantine)

 

Dans le cadre d’un projet à long terme qui vise à « Relire les concepts linguistiques » pour  étudier et évaluer, à l’aune des recherches linguistiques contemporaines, la pertinence et l’impact de concepts qui ont fait date dans l’histoire de la pensée,  nous consacrerons ce deuxième colloque à Émile Benveniste.

L’intérêt de Benveniste pour la littérature est avéré dans ses recueils d’articles comme dans ses manuscrits : il signe en 1925 avec les surréalistes le manifeste « La révolution d’abord et toujours ! ». En 1924, il écrit un compte-rendu sur la traduction par Maurice Betz des Cahiers de Malte Laurids Brigge de Rilke dans le premier numéro de la revue Philosophies, fondé par Pierre Morhange. En 1945, il écrit un texte sur l’imaginaire poétique de l’eau, L’eau virile dans la revue Pierre à feu édité par Aimé Maeght.

À la fin de son article « Sémiologie de la langue », Benveniste ouvrait la voie d’une « translinguistique des textes, des œuvres » (PLG, 2, p. 66). Précisément, dans cet article qui se termine par l’annonce d’un projet impliquant la littérature, Benveniste parle de la musique et des arts de la figuration, mais pas de la littérature, du moins pas de manière explicite. La question de la littérature est en fait présente, mais posée de manière non nommée comme un hiatus entre la « langue » et l’art :

La signifiance de l’art ne renvoie donc jamais à une convention identiquement reçue entre partenaires. Il faut en découvrir chaque fois les termes, qui sont illimités en nombre, imprévisibles en nature, donc à réinventer pour chaque œuvre, bref inaptes à se fixer en une institution. La signifiance de la langue au contraire, est la signifiance même, fondant la possibilité de tout échange et de toute communication, par là de toute culture. (PLG, 2, p. 59-60).

Ce hiatus (implicite) trouve peut-être son écho à la toute fin de l’article lorsque Benveniste appelle à l’« ouverture d’une nouvelle dimension de signifiance, celle du discours » (Ibid., p. 66)  afin de dépasser une linguistique strictement fondée sur la notion de signe : « En réalité le monde du signe est clos. Du signe à la phrase il n’y a pas transition, ni par syntagmation ni autrement » (Ibid., p. 65).

Dans ce même article Benveniste faisait une brève allusion à Baudelaire, posant que « les parfums, les couleurs et les sons se répondent »,  « ʺces correspondancesʺ ne sont qu’à Baudelaire et organisent son univers poétique » (p. 61). Cette référence apparaît en fait comme un indice de ce grand travail qu’il avait entamé à propos de la « langue de Baudelaire », travail critique du structuralisme ambiant, faisant du poème le point de départ d’un renouvellement de toute la linguistique :

(Je pense, au bout du compte, que l’analyse de la langue poétique exige dans toutel’étendue du domaine linguistique des catégories distinctes. On ne saurait être assez radical. Il faudra donc poser : une phonétique poétique, une syntaxe poétique, une grammaire poétique, une lexicologie poétique.)  (BAUDELAIRE, 22, f°67/f°319)

La linguistique de Benveniste rend possible une réflexion sur la littérature. Quels sont les enjeux de cette réflexion alors que certaines de ses analyses ou concepts sont présents dans les études littéraires universitaires, étaient présents dans les programmes du collège de 1996, qui ont cherché à introduire une grammaire du discours ? Pourtant cette réforme en demi-teintes a rapidement avorté : l’opposition discours / récit, est très vite laissée de côté ; la notion d’énonciation, en revanche, s’est imposée comme le levier nécessaire de toute analyse de texte littéraire ou non littéraire. Néanmoins s’agit-il encore ici de Benveniste ? Il importe en effet de faire la critique d’une telle réduction de ses découvertes, celles-ci ayant une toute autre visée que de devenir une « boîte à outils » téléportable d’un texte à l’autre indifféremment, ce qui était son propos dans « Sémiologie de la langue » : « L'art n’est jamais ici qu’une œuvre d’art particulière, où l’artiste instaure librement des oppositions et des valeurs dont il joue en toute souveraineté » (PLG, 2, p. 59).

Enfin Benveniste comme beaucoup de linguistes issus de la tradition de la grammaire comparée, et peut-être spécifiquement de la tradition de la Société de Linguistique de Paris – dont le premier statut était « La Société de Linguistique a pour but l’étude des langues, celle des légendes, traditions, coutumes, documents, pouvant éclairer la science ethnographique. Tout autre objet d’études est rigoureusement interdit » – travaille de manière constante avec des textes littéraires. Qu’on ouvre par exemple l’index des références à la fin du second volume du Vocabulaire des institutions indo-européennes, et on verra la place qu’y prennent les références littéraires qui alimentent le savoir du linguiste : dans le corpus grec, on note ainsi 2 références à Aristote, 1 référence à Platon, 32 références à Hérodote, mais 336 références à Homère !