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Colloque des cycles supérieurs du Département des littératures de langue française (Montréal) :

Colloque des cycles supérieurs du Département des littératures de langue française (Montréal) : "Échange(s)"

Publié le par Marc Escola (Source : Madeleine Savart)

Colloque des cycles supérieurs du département des littératures de langue française (UdeM)

Appel à communications - Échange(s)

La pandémie a entraîné une brusque et profonde reconfiguration des modalités d'échanges : les chaînes de production et de transport commerciales ont été arrêtées ou ralenties à travers le monde, les mesures de confinement ont interrompu subitement la sociabilité, et les discussions formelles et informelles en personne ont été remplacées par des réunions virtuelles. Ayant, comme beaucoup, pris conscience de la fragilité de liens que bon nombre considéraient comme acquis, les membres représentants des cycles supérieurs du Département des littératures de langue française de l'UdeM vous invitent à réfléchir autour de la notion d'échange – aux discours qui la convoquent ou la problématisent, à ses représentations, ses modalités et ses enjeux – le temps d’un colloque organisé au département.

 Qu'il s'agisse d'échanges artistique, culturel, économique, épistolaire, rituel, symbolique, verbal, la notion d' échange institue un lien dynamique, généralement doublé d'une réciprocité. Une réalité déjà existante est partagée avec, communiquée ou donnée à, troquée contre. En tant « qu'action ou fait de donner une chose et d'en recevoir une autre en contrepartie1 », l'échange implique des dynamiques de circulation de réalités matérielles ou non, d'un lieu à un autre, d'une personne à une autre, d'un support à un autre. Le don d'un baiser2 ou d'une boucle de cheveux3 est une réponse encourageante à son discours amoureux selon le je poétique des Amours de Ronsard ; la vente et l'achat des tissus de soie, des cravates et autres produits de toilette est le mouvement qui anime le grand magasin d'Au bonheur des Dames4 et relie les différents personnages du roman zolien. Les littératures de langue française sont un espace de représentations d'échanges, pouvant devenir des incarnations allégoriques de l'époque mise en récit dans le texte ou encore des vestiges attestant de ce qui a été. Étudier en soi ou dans une perspective comparative les différentes représentations d'échange(s) et le rôle narratif de cette dynamique dans les textes pourrait permettre d'envisager quelle(s) place(s) l’échange occupe et quelle(s) forme(s) il emprunte dans l'imaginaire socio-discursif d'une époque ou d'un espace.

 L'échange est aussi une forme de contact entre deux réalités autrement imperméables l'une à l'autre – du fait d’une distance géographique, historique, sociale. Le support écrit permet, d'une période ou d'un lieu à un autre, de sortir de cloisonnements trop stricts pour mettre en contact ce qui ne l'était pas. Au-delà des échanges épistolaires, canoniquement définis comme « un dialogue entre absents5 », cette piste de réflexion invite également à réfléchir aux phénomènes d’intertextualité et de réécriture d’une œuvre à l’autre. Les romans de Réjean Ducharme convoquent par exemple une myriade de références intertextuelles ; ils deviennent, par le fait même, des chambres d’écho littéraire où les époques, les genres et les idiomes se confrontent. Dans cette perspective, l’échange prolonge une réalité – artistique ou non – préexistante, allant même parfois jusqu’à la remplacer. En s'appuyant sur ce sens, proche de celui de « changement », l'on peut également s'intéresser aux gestes de substitution : dans Le peintre d’éventail6, Hubert Haddad aborde ainsi les questions des liens et dialogues entre les différentes pratiques artistique que sont le jardinage et la peinture sur éventail, et questionne les différentes formes que peut prendre la filiation artistique quand elle surgit là où rien ne l’annonçait.

 D’une époque à l’autre, des modalités d'échanges sont réinvesties, voire détournées de l'usage historique qui en était fait : alors qu'au xviie siècle les missionnaires jésuites utilisaient la forme adressée de la relation pour rendre compte aux institutions françaises de l'avancement de l'entreprise missionnaire coloniale en Nouvelle-France, Naomi Fontaine recourt au genre épistolaire dans Shuni pour s'adresser à la fille d'un pasteur et lui donner à lire « ce qu[’elle] doi[t] savoir7 ». L'écriture n'est plus destinée à un lecteur issu du même monde socio-culturel que le narrateur, mais s’apparente à un geste de réappropriation d'une forme générique historiquement marquées par la violence coloniale. L'étude de ce processus nous invite également à envisager les échanges non-réciproques, asymétriques, comme cela apparaît dans la correspondance à sens unique retranscrite par Hélène Bessette dans N'avez-vous pas froid ?8 où seule résonne la voix envahissante de l'ex-mari qui ne se résout pas à la fin du couple.

La notion d'échange implique également de réfléchir aux œuvres collaboratives et/ou intermédiales, aux gestes de cocréation – qu’ils aillent dans une direction similaire ou non. Que l’on songe aux travaux des copistes médiévaux qui pouvaient peaufiner, reformuler, voire tourner en dérision des manuscrits à l’aide de l’ajout d’enluminures parodiques9, ou encore au recueil surréaliste Le Cœur de Pic10 qui réunit poèmes et photographies, le principe de l’échange, ici, convoque des dialogues fertiles entre les voix et les médiums. Cet angle d’approche invite également à réfléchir à la traduction des œuvres littéraires d’une langue à l’autre, d’un art à l’autre - le théâtre, le texte, la bande dessinée, le roman graphique etc, comme le réfléchit Nicole Brossard dans l’essai Et me voici soudain en train de refaire le monde11.

La notion d’échange, foncièrement polysémique, ouvre donc la voie à une pluralité de réflexions et nous a paru être un thème particulièrement attrayant pour renouer avec l’organisation d’évènements scientifiques étudiants en présentiel. Le colloque se déroulera au Département des littératures de langue française de l'Université de Montréal, le mercredi 16 mars 2022. Les communications devront respecter un temps de 20 minutes. Chaque panel d'interventions sera suivi d’une période de questions.

Tou·te·s les étudiant·e·s aux cycles supérieurs sont invité·e·s à participer à l'appel à communications. Les membres représentants des cycles supérieurs du département vous invitent à soumettre votre proposition de communication de 300 à 350 mots avant le 16 janvier 2022 à cyclessuperieurs@littfra.com en indiquant votre nom, votre adresse courriel, votre niveau d’étude et votre institution d’appartenance. 

1 Article « échange », Centre National de Ressources textuelles et littéraires, en ligne [dernière consultation le 10/11/21] URL : https://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9change 
2 Ronsard, Pierre de, Les Amours, [1553], sonnet 209, « Je suis, je suis plus aise que les Dieus », éd. A. Legendre, Le Livre de Poche, Paris, 1993, p. 227.
3 Ronsard, Pierre de, Les Amours, [1553], sonnet 179 « Puis qu’aujourd’hui pour me donner confort », éd. A. Legendre, Le Livre de Poche, Paris, 1993, p. 205.
4 Zola, Émile, Au Bonheur des dames, [1883], Paris, Flammarion, 1999, 567 p.
5 Ferreyrolles, Gérard, « L’épistolaire, à la lettre », Litteratures classiques, vol. 71, no 1, 2010, p. 24.
6 Haddad, Hubert, Le peintre d’éventail, [2013], Gallimard, Folio, Paris, 2014, 180 p.
7 Fontaine, Naomi, Shuni, Ce que tu dois savoir Julie, Mémoire d’Encrier, Montréal, 2019, 152 p.
8 Bessette, Hélène, N’avez-vous pas froid ?, [1963], Léo Scheer, Paris, 2011, 196 p.
9 Durand, Benoît, « Aux marges du manuscrit, les drôleries gothiques, entre satire et transgression », Actes du 17e colloque international étudiant du Département des sciences historiques de l'Université Laval,  Université Laval, 2018, p. 143-163 [dernière consultation le 10/11/21].
10 Duharme, Lise, Le Cœur de Pic, avec les photographies de Claude Cahun, [1937], Mémo, Paris, 2004, 60 p.
11 Brossard, Nicole, Et me voici soudain en train de refaire le monde, Mémoire d’Encrier, Montréal, 2015, 74 p.