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De l’événement à sa mise en récit : fictions, propagandes et polémiques historiographiques. Espagne, XVI-XXIe s. (Paris, Sorbonne nouvelle)

De l’événement à sa mise en récit : fictions, propagandes et polémiques historiographiques. Espagne, XVI-XXIe s. (Paris, Sorbonne nouvelle)

Publié le par Université de Lausanne (Source : M. Billard)

De l’événement à sa mise en récit :

fictions, propagandes et polémiques historiographiques (Espagne, XVI-XXIe siècles)

Paris, les jeudi 9 et vendredi 10 décembre 2021.
 


Le présent colloque propose de se pencher sur les thématiques de l’appropriation, la transmission, la diffusion et la réception d’événements qui ont marqué l’Histoire espagnole entre les XVIe et XXIe siècles. La perspective diachronique permettra de mettre en lumière la naissance, la persistance et les possibles évolutions d’une manipulation des événements au moment de leur mise en récit par différents acteurs.

L’historien Annio de Viterbo est considéré comme le premier falsificateur de l’Histoire espagnole lorsque, au XVe siècle, il prêta à des personnages bibliques, tel Tubal petit-fils de Noé, la fondation de villes espagnoles comme Saragosse afin de glorifier leur passé (Caro Baroja, Julio, 1991). Cette manipulation de l’Histoire fut largement reprise et diffusée et ne fit l’objet d’une réfutation que bien plus tard.

Le contrôle de l’écriture de l’Histoire par le pouvoir fut particulièrement utile à la Monarchie Catholique, notamment au travers de la censure exercée par l’Inquisition. Ainsi, au XVIe siècle, le Saint-Office fut très actif dans la lutte contre la diffusion de représentations négatives de la Monarchie Catholique proposées par des auteurs comme Antonio Pérez, Guillaume d’Orange et Bartolomé de las Casas. En outre, le monarque développa une histoire officielle en faisant appel à des chroniqueurs chargés de magnifier la figure royale et la Monarchie.

Avec l’arrivée des Bourbons à l’aube du XVIIe siècle, cette pratique de l’institutionnalisation de l’Histoire (entendue comme l’écriture d’une histoire officielle) perdura. Aussi, les historiens étaient-ils invités, pour mettre en valeur la nouvelle dynastie, à souligner la décadence des Habsbourg en offrant une mise en récit très négative du règne de Charles II (Maffi, Davide, 2020). Les distorsions historiographiques liées à cette représentation sont aujourd’hui remises en cause par des historiens tels que Christopher Storrs ou Davide Maffi qui offrent une vision plus nuancée du règne du dernier des Habsbourg.

De la même manière, la célébration du Bicentenaire de la Guerre d’Indépendance (1808-1814), a réactivé une riche production scientifique souhaitant étudier les véritables finalités de l’historiographie de l’époque. Ainsi, cette guerre fut qualifiée dès la décennie 1830 de « Guerre d’Indépendance » afin de mettre en avant le patriotisme des Espagnols, fondamental dans la construction de l’État-Nation (Álvarez Junco, José, 1994 ; Butrón Prida, Gonzalo et Saldaña Fernández, José, 2008).

Alors que l’écriture de l’Histoire avait été réservée tout au long de l’époque moderne à des auteurs proches du pouvoir (Kagan, Richard, 2010), à partir de l’époque contemporaine, elle n’est plus l’apanage des historiens. Elle devient ainsi personnelle (lorsque la petite histoire rencontre la grande), littéraire et éditoriale (lorsque les auteurs et les maisons d’édition mettent l’Histoire au centre de leur démarche), ou encore journalistique (lorsque les journalistes investissent l’écriture de l’Histoire).

En 2005, alors qu’Enric Marco portait publiquement depuis plusieurs années son témoignage en tant que rescapé du camp de concentration nazi de Flossenbürg, l’historien Benito Bermejo dévoila au grand jour son imposture. Le nom d’Enric Marco n’apparaît pas dans les archives du camp : il n’y a jamais été déporté. Cette falsification historique a fait l’objet d’une récupération littéraire par Javier Cercas dans son roman à succès El impostor (2014).

Les réappropriations littéraires de certains événements et périodes historiques peuvent même être perçues comme des « modes littéraires » pour reprendre le titre d’un ouvrage de David Becerra Mayor dans lequel il s’est intéressé aux romans de la mémoire (entendus comme les récits portant sur la guerre civile de 1936-1939 et l’après-guerre en Espagne). Ceux-ci sont apparus sur les étagères des librairies dès la fin du XXe siècle et n’ont cessé de se multiplier au XXIe siècle, contribuant à la diffusion de l’Histoire déjà assurée par les romans historiques. On observe par ailleurs que les fabulations de l’Histoire sont au coeur du travail de certains historiens. L’Histoire contrefactuelle, aussi appelée Histoire alternative, propose de mieux saisir les événements advenus en imaginant d’autres chaînes événementielles. C’est en quelque sorte le non-événement, le hors-champ de l’Histoire qui est mis en relief.

Quels sont les enjeux que recouvre cette commercialisation de l’Histoire et cette mise en récit par les écrivains ? Ces fictions littéraires et historiques relèvent-elles d’enjeux purement scientifiques ou d’enjeux esthétiques ? Dans quelle mesure la fictionnalisation de l’Histoire influe-t-elle sur sa réception ?

Les témoignages publiés se présentent également comme un vecteur privilégié de l’Histoire dès lors qu’ils donnent un accès direct aux événements à travers le récit de ses acteurs. Les journalistes se sont emparés avec force de certaines thématiques à l’image du terrorisme de l’ETA. Ils ont ainsi édité plusieurs recueils de témoignages mais aussi de nombreuses études sur cette organisation terroriste. Comment expliquer cette prise en charge journalistique d’une période historique ?

Le détournement de l’Histoire est-il manipulation de l’Histoire ?

Pour répondre à cette question, les communicants sont invités à inscrire leur proposition dans l’un des axes suivants, sans se limiter aux questions et thématiques rédigées à titre indicatif :

Axes :

Relations d’influence : Quelles ont été et quelles sont les motivations de la mise en récit de l’événement ? Dans quelle mesure la concurrence historiographique est-elle le symptôme d’une lutte pour l’imposition d’un récit univoque qui se veut hégémonique ?
Dans cet axe, on sera amenés à débattre autour de la propagande, de l’influence des acteurs économiques sur les orientations idéologiques et/ou méthodologiques des contenus et les modalités d’influence de ces mêmes acteurs.

Mise en récit : Comment s’effectue le choix de mettre en récit un événement plutôt qu’un autre ? Quelles opérations de dévoilement et/ou d’occultation sont mobilisées pour raconter l’événement ? Comment les écrits, historiques ou fictionnels, présentent-ils et représentent-ils l’Histoire ? Quels rôles jouent les témoignages dans l’élaboration de la connaissance historique ?
Cet axe invite à s’intéresser aux polémiques historiographiques telles que le négationnisme, le relativisme ou le révisionnisme. Il sera par ailleurs possible d’interroger la diversité formelle de l’écriture de l’Histoire (roman historique, uchronie, Histoire alternative, témoignage).

Réception : Comment ces récits s’inscrivent-ils dans l’imaginaire collectif, et ce dès l’école ? Quels événements sont remémorés, commémorés, oubliés ? Comment certains événements sont-ils érigés en mythes grâce à leur mise en récit ?
Les thématiques abordées dans cet axe pourront être les suivantes : diffusion d’une version manipulée de l’Histoire, échelles de l’Histoire (nationale, régionale, locale), construction des manuels scolaires.

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Bibliographie :

- ÁLVAREZ JUNCO, José. « La invención de la Guerra de la Independencia », Studia
historica. Historia contemporánea
, 1994, n°12, p. 75-99.
- BECERRA MAYOR, David. La Guerra Civil como moda literaria, Madrid : Clave
intelectual, 2015.
- BUTRÓN PRIDA, Gonzalo et SALDAÑA FERNÁNDEZ, José. « La historiografía reciente de la Guerra de la Independencia. Reflexiones ante el Bicentenario », Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 2008, n°38-1, p. 243-270.
- CARO BAROJA, Julio. Las falsificaciones de la historia (en relación con la de España), Barcelone : Seix Barral, 1991.
- ESTEVE, Cesc (ed.). Disciplining History : Censorship, Theory and Historical Discourse in Early Modern Spain, New-York : Routledge, 2018.
- GARCÍA CÁRCEL, Ricardo. La construcción de las historias de España, Madrid : Marcial Pons Historia, 2004.
- KAGAN, Richard. Los cronistas y la Corona: la política de la historia en España en las edades media y moderna, Madrid : Marcial Pons Historia, 2010.
- MAFFI, Davide. Los últimos tercios. El Ejército de Carlos II, Madrid : Desperta Ferro Ediciones, 2020.
- NOGAL, Beatriz, « El historiador que desenmascaró a Enric Marco », Cadena Ser, 2014. https://cadenaser.com/programa/2014/12/19/a_vivir_que_son_dos_dias/1418990591_923068.html
- STORRS, Christopher. La resistencia de la monarquía hispánica, Madrid : Editorial Actas, 2013.
- TOWNSON, Nigel (dir.). Historia virtual de España (1870-2004) ¿Qué hubiera pasado si…?, Madrid : Taurus, 2004.

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Comité d’organisation :

- Kassandre Aslot : doctorante contractuelle, ED 122, CRES, Université Sorbonne Nouvelle
- Marion Billard : doctorante contractuelle, ED 122, CREC, Université Sorbonne Nouvelle

Comité scientifique :

- Paloma Bravo (Université Sorbonne Nouvelle, CRES)
- Marie Franco (Université Sorbonne Nouvelle, CREC)
- Maud Le Guellec (Université de Lille, CECILLE)
- Marie Salgues (Université Sorbonne Nouvelle, CREC)

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Modalités d’envoi des propositions et calendrier :

Les propositions anonymes, en format PDF, doivent comprendre un titre, un résumé de 300 mots maximum et l’axe dans lequel s’insère la proposition, accompagnés d’une bibliographie indicative.
Merci d’envoyer dans un autre document, en format PDF, une courte noticebio-bibliographique.

Les propositions sont à envoyer au plus tard le mardi 15 juin 2021 à l’adresse suivante : colloqueusn.evenement@gmail.com.

Réponse aux participants : lundi 19 juillet 2021.

Modalités des communications :

Exposé en français ou en espagnol de 20 minutes.

Les communications pourront donner lieu à une publication.

Selon le contexte sanitaire, le colloque se tiendra sous forme hybride (en présentiel avec la possibilité d’intervenir en visioconférence) ou en 100% distanciel.

Les possibles frais de transport et de logement ne sont pas pris en charge par l’organisation.

Contact : colloqueusn.evenement@gmail.com.