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Contre le luxe (XVIIe-XVIIIe s.) (Bordeaux)

Contre le luxe (XVIIe-XVIIIe s.) (Bordeaux)

Publié le par Marc Escola (Source : Françoise Poulet)

Contre le luxe (XVIIe-XVIIIe siècles)

Colloque international – Bordeaux, 22-24 mars 2017

Université Bordeaux Montaigne

EA 4593 CLARE Cultures Littératures Arts Représentations Esthétiques

CEREC Centre de Recherche sur l’Europe Classique

 

La France est le pays du luxe, entend-on dire dans les médias, et son luxe « s’exporte ». Une telle idée, avec tous les implicites qu’elle comporte, et le lot de raccourcis et de maladresses qu’elle charrie, est en partie héritière de l’âge classique. La France devient aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec puissance et éclat, le modèle de la civilisation et du luxe, utile ou funeste. Capitale de l’Europe française, Paris est le centre de gravité de ce nouveau monde, et Versailles le symbole du luxe et de son rayonnement. Pourtant le luxe est une idée relative aux temps et aux personnes.

L’essor du luxe est favorisé dans la seconde moitié du XVIIe siècle par le développement de l’industrie et du commerce et par l’invention de nouvelles techniques de production. En France, le faste caractérise déjà le règne de Louis XIII, au cours duquel le cardinal de Richelieu réalise un certain nombre de travaux dans la capitale en vue d’aménagements luxueux. On sait à quel point le règne de Louis XIV est marqué du sceau de l’apparat, affiché à l’occasion des fêtes de Cour données dans un château de Versailles encore en construction ; le luxe entre alors dans une stratégie politique et économique visant à impressionner les grandes familles du royaume, mais aussi les nations étrangères. Louis XVI et Marie-Antoinette laisseront à la postérité l’image de souverains déployant un luxe indécent, déconnecté des réalités du temps. L’historien Henri Baudrillart, dans son Histoire du luxe privé et public, précise qu’à partir de la Renaissance et au début du XVIIe siècle, le luxe quitte les seuls domaines militaires ou religieux pour investir l’espace de la Cour et plus généralement tous les lieux laïcs et civils de la vie mondaine. Or, si le pouvoir politique accompagne cette évolution en l’encourageant, il ne cesse dans un même temps de promouvoir des édits somptuaires. Non sans hypocrisie, sans nul doute, car il s’agit avant tout de faire revenir au trésor royal les fruits de ce culte de l’excès. Une évolution est en marche : l’importance accordée à la richesse ne cesse de s’accroître aux XVIIe et XVIIIe siècles, même si elle reste dans un premier temps subordonnée à la considération des titres et des fonctions, et même du mérite. Progressivement, richesse et luxe deviennent la quête principale de la bourgeoisie comme de la noblesse et du monde émergent de la finance. Et le peuple s’exaspère du contraste entre la richesse des grands et sa propre misère, terreau fertile de l’empreinte révolutionnaire.

La signification même du mot luxe est alors discutée et rend compte de l’ambivalence de ses approches. Si le terme peut être entendu au sens d’élégance et de raffinement, il contient dès son entrée en langue, au début du XVIIe siècle, le sème d’excès. Emprunt sans doute tardif au latin luxus, « excès dans la manière de vivre, splendeur, faste » et « débauche », le substantif correspondrait à l’adjectif luxus, « mis de travers ». Alors que luxus est seulement attesté au sens général d’« excès », le sens moral a été conservé par luxuria et luxurians. Les Anciens débattaient déjà de l’utilité politique et économique du luxe et de son rôle bénéfique ou néfaste dans la société. Si le luxe est marqueur social de l’élite, il est accusé d’entraîner l’affaiblissement des valeurs militaires, l’oisiveté stérile et dangereuse, la corruption des mœurs. Furetière distingue le luxe individuel et celui des États. La première édition du Dictionnaire de l’Académie française semble, quant à elle, restreindre le terme au seul luxe privé et individuel. À l’article Luxe de l’Encyclopédie, Saint Lambert se fait l’écho des éloges et des censures, tout en prouvant que l’histoire et les faits contredisent les deux positions. Sans attaquer le luxe en lui-même, il examine son utilisation. Lié à un intérêt personnel, le luxe est néfaste, mais un « luxe de bienséance » peut exister, compatible avec le maintien de l’ordre et le bien de l’État, servant l’amour de la patrie et l’honneur vertueux, et même la décence des mœurs. Apologiste du luxe, Saint Lambert nuance pourtant car la notion, éminemment ambiguë, divise. Le luxe n’a pas les mêmes effets sur les individus et sur les sociétés, considérées dans leur diversité. Mais surtout, le luxe ne peut être considéré pour lui seul. Il doit s’allier aux passions nobles, « subordonnées à l’esprit de communauté ». L’enjeu de la polémique tient d’abord à la définition et aux sens du mot. Une typologie s’esquisse, délimitant les contours entre un « bon luxe », où le mot est pris dans son acception positive – désignant globalement tout ce qui rend la vie plus agréable et qui manifeste l’intelligence active et créatrice de l’homme, voire la perfectibilité humaine, ainsi que la prospérité et la liberté des États – et un « mauvais », lorsque le terme désigne la vanité humaine et l’inégalité entre les sujets d’une nation et entre les nations elles-mêmes. Poreuses, les frontières linguistiques entre luxe et extravagance, disconvenance, faste, et même entre luxe et luxure, témoignent de réalités souvent proches, ou délibérément combinées. À la fin du XVIIIe siècle, les distinctions linguistiques se précisent, mais la terminologie reste hésitante, comme l’atteste par exemple l’opposition de plus en plus répandue entre « le luxe d’ostentation » et « le luxe de magnificence ».

Les parutions sur le luxe se multiplient tout au long de l’âge classique, notamment au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, et témoignent de cette ambivalence sémantique. Textes moralistes, satiriques et pamphlétaires, arrêts et traités, et plus généralement œuvres littéraires et philosophiques, se consacrent, avec sérieux le plus souvent, à cette notion a priori futile. De prime abord, l’on pourrait penser que les discours « contre le luxe » sont surtout énoncés par les théologiens et les moralistes, en vertu d’arguments religieux : la Nature, qui nous renvoie l’image des merveilles de la création divine, nous offre partout un modèle de mesure que l’homme est invité à suivre ; celui qui bascule dans le luxe, et dans l’ostentation et le paraître qui lui sont attachés, pèche par vanité, immodestie, incontinence ; il cultive le dérèglement et le désordre aux dépens des règles de la bienséance, de la modération, du juste milieu, de l’ordre. Mais la critique du luxe dépasse largement ces deux domaines de pensée : dès la seconde moitié du XVIIe  et tout au long du XVIIIe siècle, le discours « contre le luxe » va se laïciser. Au XVIIIe  siècle, de nombreux textes critiquent le luxe, soit pour l’excès qu’il représente, en le décrivant comme une menace pour l’homme et la société, soit pour les bienfaits qu’il est susceptible de contenir, en voyant en lui une source possible de progrès et de liberté. Plus généralement, la critique du luxe rejoint l’opposition philosophique entre nature et culture.

Ainsi, l’objet de notre colloque « Contre le luxe » sera d’analyser les processus d’évolution qui aboutissent à une laïcisation de la condamnation du luxe, et à une séparation entre l’individu et le collectif, en adoptant une perspective résolument transdisciplinaire, car la notion s’y prête tout particulièrement. Si la question du luxe a jusqu’à présent intéressé les historiens et les sociologues, on compte peu d’ouvrages critiques sur ce sujet en langue et en littérature, ou encore en histoire des idées, surtout pour la période de l’âge classique, où la notion est pensée. C’est pourquoi notre colloque s’en tiendra à ce domaine, mais on n’hésitera pas à faire se croiser différentes perspectives (histoire, histoire des arts et de l’architecture, sociologie, économie, philosophie…) afin d’enrichir les analyses exposées.

 

Les propositions de communication pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants :

1/ Dire et représenter le luxe

Quelle représentation du luxe investit la fiction et les arts ? Quels mots pour le nommer ? On s’attachera en particulier aux personnages qui incarnent le luxe, héros ambitieux de plaisirs, d’argent et de tout ce qui brille. À titre d’exemple, on se reportera aux portraits comiques des poètes s’habillant de manière faussement somptueuse, tel Musigène victime des lois somptuaires dans Polyandre de Sorel, alors que tous ses ornements sont faux. Que l’on pense à Molière qui se fait l’écho des lois somptuaires dans L’École des Maris (II, 9), ou à Corneille qui celèbre dans Le Menteur par la voix de Géronte le nouveau visage luxueux de Paris (II, 5), la question du luxe pose celle des liens entretenus avec le pouvoir. La vogue des contes et du merveilleux prouve que les origines du luxe sont reliées à la somptuosité des princes et des sultans, dans une transposition parfaitement transparente des travers des rois.

La représentation du luxe dans les arts pourra également être abordée, en soulignant les liens avec la thématique du luxe (représentations de Madeleine renonçant au monde, épisodes représentant la vie du Christ dans un cadre luxueux), les relations entre peinture et édification morale, le faste funéraire des tombeaux, l’importance grandissante des arts décoratifs, ou encore les projets d’embellissement de la capitale et le luxe des bâtiments. On pourra également mettre en valeur les métiers de l’art et de l’artisanat avec la création et l’utilisation des produits de luxe et des ornements.

 

2/ « Moraliser » le luxe

Si penser le luxe revient à l’assimiler au vice et associer la frugalité à la vertu, on examinera le glissement entre luxe, chrétienté et morale laïque. Chez les moralistes, le luxe est condamné comme un artifice aboutissant à une réification de la personne et est blâmé pour la tyrannie de l’image qu’il impose, avec le culte du corps-objet. Néanmoins, dès la première moitié du XVIIe siècle, les théoriciens de l’honnêteté mondaine (Grenaille, Du Bosc, Guéret) réprouvent eux aussi le luxe lorsque, excessif, il se résume à une ridicule ostentation. Le goût du luxe s’observe dans le choix des vêtements, des parures, mais aussi de la nourriture, de l’ameublement, et plus généralement du mode de vie. Ceux qui aiment le luxe sont généralement ceux qui suivent la frivolité éphémère, au risque de verser dans le ridicule ou la bizarrerie du fait de l’outrance de leur choix. À ce titre, avoir le goût du luxe revient à suivre ses caprices, ses folles envies et son imagination dérèglée plutôt que la raison. Reflétant les mutations sociales du temps, La Fontaine met en scène deux bourgeois : le riche ignorant, modèle du parvenu, qui défend le luxe dans son utilité sociale, et le pauvre savant, prônant une vie austère (Fable VIII, 19 « L’Avantage de la Science »). Richesse contre mérite : l’opposition se retrouve, sous différentes formes, dans la plupart des écrits. Même les textes prônant une apologie du luxe la déploient. Dans les écrits libertins, vertu et mérite sont bafoués, puisque seul compte l’excès, avec son intempérance et ses délices. Tour à tour, les personnages du moraliste outré, homme sévère, ou du libertin, dissolu et dispendieux, sont magnifiés ou ridiculisés. Plus encore, la critique de l’ostentation et du paraître vise tout particulièrement les femmes, éternelles condamnées au luxe. À la fin du XVIIIe siècle, un véritable programme de résistance apparaît. L’opposition entre luxe individuel répréhensible et luxe louable des États vacille, et c’est désormais « de l’extinction du luxe » dont il est question.

 

3/ Philosophie du luxe

Critique et apologie du luxe se retrouvent dans les textes des grands penseurs, qui s’affrontent sur le terrain du luxe. Voltaire, Montesquieu, Helvétius, d’Alembert, Diderot, Rousseau et Saint-Lambert, pour ne citer qu’eux, cherchent à déterminer si le luxe corrompt ou adoucit les mœurs. Le rejet du luxe est alors associé à la condamnation de l’artifice pour mieux favoriser l’éloge de la nature et du naturel, tandis que sa défense se construit au nom de la prospérité, de la liberté et du progrès. Le conflit emblématique se concentre autour de la querelle entre Voltaire et Rousseau. Les mots du « mondain » résonneront longtemps, livrant à travers l’éloge du luxe et du superflu une leçon de politique à peine voilée. Si Voltaire s’en fait l’apologiste, c’est que condamner le luxe revient selon lui à attaquer l’industrie et à tarir la source de l’abondance, la circulation de l’argent et le maintien de la grandeur de l’État, que le luxe enrichit. Mère des arts, la prospérité, alliée à la liberté, qu’elle soit individuelle ou politique, garantit la paix et la perfectibilité. Diderot et Rousseau stigmatisent a contrario la perte des valeurs morales qu’entraîne la recherche du luxe. Quant aux idées des physiocrates, elles déplacent le luxe sur le terrain économique en opposant le luxe productif au luxe de pure ostentation, le bon luxe qui contribue au progrès en faisant passer de la frugalité originelle à une aisance où se perfectionnent les arts, et le mauvais luxe, annonçant la fin de l’art, sa dissolution dans le divertissement mondain.

Par un renversement singulier, le luxe n’est sauvé aux XVIIe et XVIIIe siècles que lorsqu’il ranime les passions nobles, telles que l’éducation, l’honneur, le devoir d’exemplarité. À travers la notion, hommes de lettres et philosophes remettent en cause le pouvoir monarchique résolu à fixer le bien public et à maîtriser le langage du débat politique et leurs textes contribuent à déstabiliser l’édifice intellectuel de l’Ancien Régime. Comment considérer intelligemment le luxe ? Seul un équilibre précaire, souvent contradictoire, entre rigueur morale et plaisir esthétique, pourrait parvenir à le réhabiliter, et surtout à comprendre si luxe et progrès participent au bonheur de l’homme, des nations et des sociétés. Telles sont les perspectives, étonnamment modernes, discutées au tournant de l’âge classique et des Lumières, dans un siècle que taraudent les idées de liberté et d’égalité. Quel héritage de ces pensées subsiste aujourd’hui ?

 

Les propositions de communication (500 mots) ainsi qu’une courte biobliographie sont à envoyer avant le 15 juillet à Élise Pavy-Guilbert (elise.pavy@u-bordeaux-montaigne.fr) et Françoise Poulet (francoise.poulet@u-bordeaux-montaigne.fr).

 

Organisation et contacts: Élise PAVY-GUILBERT, Françoise POULET

 

Comité scientifique

Emmanuel Bury, Université Versailles Saint-Quentin

Patrick Dandrey, Université Paris-Sorbonne

Olivier Leplatre, Université Jean Moulin Lyon III

Myriam Tsimbidy, Université Bordeaux Montaigne

Aurélia Gaillard, Université Bordeaux Montaigne

Florence Magnot-Ogilvy, Université de Montpellier

Christophe Martin, Université Paris-Sorbonne

Catherine Ramond, Université Bordeaux Montaigne

Céline Spector, Université Bordeaux Montaigne