Questions de société

"Cette satanée manie canine. Réponse à M. Johnston", par A. Cohen, PDG des éd. Hermann

Publié le par Marc Escola (Source : Éditions Hermann)

Au lendemain de la publication sur Fabula d’un texte de Marlo Johnston relatif à la publication d’un conte présenté comme un « inédit de Maupassant », les éditions Hermann ont souhaité exercer leur droit de réponse sous la forme d’une lettre ouverte signée par leur directeur, Arthur Cohen.

 

 

"Cette satanée manie canine. En réponse à Marlo Johnston

"Malheureusement, il arrive encore que certains spécialistes s’arrogent un monopole sur leur domaine de recherche. Ils estiment, semble-t-il, qu’eux seuls sont légitimes pour travailler le sujet dont ils sont experts, qu’eux seuls sont compétents – et que rien ne devrait se faire sans leur accord préalable. Certains s’adonnent même à des pratiques de marquage de territoire, qui ne sont pas sans rappeler celles de nos meilleurs amis canins ou félins. Je concède volontiers que, dans le règne animal, cette pratique de la chasse gardée réponde à une nécessité. Mais dans le règne humain ? De quel droit certains érudits réputés interdisent-ils aux autres chercheurs, non moins travailleurs, d’examiner certains aspects qui restent à défricher ?

Un triste exemple de cette satanée manie, qui persiste hélas depuis le temps des privilèges, nous est donné par la lettre de Madame Marlo Johnston, publiée le 20 septembre sur le site Fabula, « à propos de la parution aux éditions Hermann d’un texte de Maupassant présenté comme inédit ». D’abord, il serait bon de rappeler que Madame Johnston a réagi à l’emporte-pièce, à la suite de l’annonce parue le 15 septembre dans le Figaro littéraire qui dévoilait, en confidence, la publication de la nouvelle « La Vocation » à l’occasion des 140 ans des éditions Hermann. Astrid de Larminat mettait d’ailleurs l’accent sur la passionnante enquête qui accompagne le texte, et qui en constitue une originale – mais non moins authentique – édition critique. Car il va de soi qu’une maison sérieuse comme Hermann n’aurait pas eu l’outrecuidance de publier un texte sans précaution.

Bref, Madame Johnston n’a pas cru bon de prendre connaissance de la publication avant de la critiquer dans son billet d’humeur. Elle a préféré réagir ex abrupto, le jour même de la parution du livre électronique, et alors qu’il n’était pas encore mis en ligne sur la plupart des plateformes de téléchargement. Si elle avait fait preuve d’un minimum d’intégrité et si elle avait, avant de jeter l’opprobre sur notre publication, pris le temps d’en prendre connaissance, elle aurait découvert le formidable travail mené par Déborah Boltz, ancienne chercheuse de l’ITEM, spécialiste du travail sur les manuscrits, à partir des indications fournies par Louis Forestier, éditeur des œuvres de Maupassant en Pléiade. Madame Johnston aurait même pu s’instruire des petites révélations de cette étude. Car la lettre publiée par Fabula fourmille d’erreurs. Il est vrai que « La Vocation » n’a pas encore été dûment travaillée par les études maupassantiennes et que l’état des connaissances sur ce manuscrit paraît bien maigre. C’est justement ce qui nous a décidé à le présenter au lectorat : son édition ouvre des pistes de recherche stimulantes et soulève des questions auxquelles pourront répondre, nous l’espérons, de nombreux chercheurs et doctorants à l’avenir.

Parmi vos erreurs, chère Madame Johnston, je ne m’appesantirai pas sur certains détails, à propos de Casimir de Woznicki ou de Steinlen : il vous suffira de lire l’enquête de Déborah Boltz pour les corriger vous-même. Je suis en revanche moins indulgent lorsque vous affirmez, avec péremption, que M. Forestier « n’a jamais publié “La Vocation” dans son édition des Contes et nouvelles de la Pléiade, considérant comme moi que ce conte ne pouvait pas être de Maupassant ». Sachez d’abord que lorsque M. Forestier publia les deux volumes de la Pléiade (en 1974 et 1979), il n’avait alors pas connaissance du manuscrit, que Pierre Berès ne lui montra qu’en 1985, un mois avant de le mettre en vente à des fins d’expertise. Vous ignorez peut-être également que j’ai personnellement reçu M. Forestier chez Hermann en 2011, et qu’à cette occasion il m’a réaffirmé avec assurance que la nouvelle était bien de Guy de Maupassant. Il pensait que le texte avait peut-être été publié dans le Gil Blas illustré en 1893, éventuellement sous pseudonyme. Il m’a également fourni de nombreuses indications, que j’ai pu transmettre à Madame Boltz lorsque je lui ai confié le travail d’édition critique.

Autre erreur que je ne pardonne pas : vous affirmez, sans autre forme de procès, que ce manuscrit est « une fraude ». L’enquête de Déborah Boltz montre en effet que le manuscrit est probablement allographe. Cependant, à partir d’éléments tangibles, relatifs à la biographie d’Oscar Méténier et aux différends que ce monsieur eut avec Guy de Maupassant (ce dont vous parlez d’ailleurs dans votre livre), elle a pu émettre quelques hypothèses probables qui ne peuvent, à mon sens, être sérieusement réfutées sans que ne soient avancés des arguments précis et avisés. Vos désaccords auraient mérité mieux qu’une lettre rédigée à la sauvette et publiée à la va-vite.

J’aurais pu, chère Madame Johnston, vous pardonner votre emportement, si vous aviez estimé qu’il y avait péril en la demeure, et si vous aviez craint que des lecteurs fussent lésés. Mais, je me permets de vous le rappeler, ce petit ebook est offert gracieusement : la maison que je dirige n’a pas l’intention de faire fortune en promouvant des faux, des canulars, ni même des textes pour lesquels la paternité n’est pas clairement établie.

Il n’est pas dans mes habitudes de sortir de mes gonds et de répondre publiquement à des critiques. Je n’ai pas l’habitude de railler celles et ceux qui déraillent : je connais l’aridité du labeur des érudits, que je porte en plus haute estime. Mais votre attaque, chère Madame Johnston, m’a paru si injuste, si infondée, si médiocre, que je me suis senti obligé d’y répondre. Permettez-moi pour conclure de vous souffler un conseil : à l’avenir, lisez avant de juger, réfléchissez avant de publier – et surtout réjouissez-vous que d’autres chercheuses et chercheurs, tout aussi dévoués que vous à la cause du savoir, puissent prendre votre relève et poursuivre ce long et patient travail de recherche."

Arthur Cohen

Président-Directeur général des éditions Hermann