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Bifurcations (Univ. La Manouba, Tunis)

Bifurcations (Univ. La Manouba, Tunis)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Bessem ALOUI)

                                                          

Université de la Manouba

La Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba

Le Département de français

 Appel à communications spour le colloque

« Bifurcations »

les 9 et 10 mars 2023 - FLAHM

La bifurcation est un terme d’origine latine, composé de bis et de furca (fourche : « ce qui se divise en deux ou trois par l’extrémité »). L’étymon latin signifiait littéralement « se diviser en deux », puis par extension changer de chemin, de voie ou de direction. La bifurcation relève aujourd’hui du paradigme du « changement » et est donnée comme synonyme de détourdisjonction, séparation, rupture, division, dichotomie, tournant, contingence, non-continu, mais aussi comme synonyme d’embranchement, d’entrecroisement et d’intersection. Dans ces différentes acceptions, elle repose sur les sèmes du disjonctif et du tensif

La bifurcation apparaît comme un principe fondateur en rhétorique et en linguistique. La rhétorique, qui fait des dichotomies entre sens propre et sens figuré son essence même, offre à travers les théories des tropes et des figures l’inventaire de ces dualités, répartis sur plusieurs plans linguistiques et sémiotiques. Les descriptions qui en découlent expliquent en définitive la mise en tension dans le discours de catégories diverses et partant les phénomènes bifurcatoires entre forme et sens. En linguistique, Ferdinand de Saussure emploie le terme à plusieurs endroits du Cours de linguistique générale : dans ses descriptions de l’une des dichotomies fondamentales de sa théorie, à savoir la langue vs la parole, dans l’explication de l’évolution des phonèmes vocaliques, etc. Dans sa recherche d’une « systématicité » entendue comme un principe épistémologique fondamental pour toute formalisation théorique, la bifurcation lui permet de pointer, dans une dynamique diachronique ou synchronique, les phénomènes de divergence à partir d’une souche ou d’une racine commune.

Les philosophes ont, de leur côté, fait un large usage de la notion. Pour Heidegger, la bifurcation est à entendre comme changement directionnel, quelque chose comme « chiasme du sujet et de l’objet », exigeant des phénomènes bifurcatoires sous la forme d’inflexions et de discontinuités au niveau des thèmes modifiant les mouvements, dérangeant les stabilités résistantes et favorisant les ruptures radicales. Elle se révèle dans le désir d’un changement brusque, d’une révolution, d’une conversion, sorte de turning point structurel qui s’inscrit dans le rhizome de l'imprévu et qui témoigne du « développement continu d’une forme qui ne cesse pas de se dissoudre ou de se transformer » (cf. DELEUZE et GUATTARI). Bifurquer, c’est abandonner un mode pour en suivre un autre, c’est s’inscrire dans la dynamique non-linéaire des mouvements. La bifurcation consacre, de fait, la permanence des formes et la diversité des trajectoires. Elle est fondée sur des principes formels, tels la rupture, la non-stabilité et le détour, dans la pluralité des itinéraires possibles.

En littérature, la bifurcation pose la question de l’interdépendance des éléments constitutifs d’un texte, de sa cohérence et de son organicité. Proust revendique une poétique de l’indétermination qui favorise les procédés mettant en avant l’imprévisible, véritable apanage du créateur. Barthes en est convaincu. Il croit que la bifurcation propose des alternatives,  raison pour laquelle il invente son neutre. La phrase fonctionne comme les chemins de fer « se divisant bruyamment s’écartant bifurquant se rapprochant divergeant de nouveau se dédoublant encore se multipliant s’étalant sur une grande surface » (SIMON : 1969. p.164). Rupture, construction complexe, fragmentaire, ellipse, suspens, spirale, sujets fuyants, anaphore obsédante, anamorphose syntaxique, approximation successive, agencement discursif, etc., autant de procédés d’écriture disjonctifs qui mettent en péril l’interaction entre le texte et son lecteur. Nous pensons à Borges, grand architecte des labyrinthes et à son texte : « un inconnu frappe à sa porte ; Fang décide de le tuer. Naturellement, il y a plusieurs dénouements possibles : Fang peut tuer l’intrus, l’intrus peut tuer Fang, tous deux peuvent être saufs, tous deux peuvent mourir, et cætera (…) Tous les dénouements se produisent ; chacun est le point de départ d’autres bifurcations. » (BORGES : 1965. p.100) L’écriture se tisse grâce à une multitude de lignes de fuite qui empêchent de retrouver un tracé, des frontières, un sens, une langue, une promesse de cohérence. Le sens se dérobe alors de toutes les lignes dispersées, induisant, comme chez Mallarmé ou Joyce, une forme de résistance qui rend aléatoire toute description d’une forme-sens. Toute écriture de la bifurcation se transforme de fait en un champ déstabilisant qui ramène la compréhension du texte vers un moment « non méthodique », un moment de contingence et/ou d’égarement.

Quel statut accorder à cette bifurcation si ce n’est la promesse d’une rencontre aléatoire avec le différent ? Ne serait-il pas possible d’envisager cette disjonction comme forme de continuité ? Si la bifurcation met en évidence l’existence d’une disjonction essentielle où se joue le destin de l’individu, d’un parcours, d’un sens, d’une histoire, pourrait-elle créer des espaces hors de la trajectoire, dans un court moment de fluidité, de « tout autre traitement », d’« autres attitudes », de « tout autre mode expressif », de « toute autre destinée », d’ « autres horizons » (GARELLI : 2000, p.608), entre un style déterminatif et un autre spéculant ? La logique dite spéculaire ne serait-elle pas centrée sur l’idée d’écrire la bifurcation dans la langue suivant une subdivision de points de vue ?

 Le colloque international « Bifurcations », organisé par le Département de français de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, propose de développer les axes suivants :

  • Les territoires de la bifurcation
  • Les théories de la bifurcation
  • Les grands textes de la bifurcation
  • Langues, discours et rhétorique
  • Les expressions artistiques de la bifurcation

 Ces axes peuvent orienter des études en langue française dans les domaines de la littérature française et francophone, de la langue et des sciences humaines.

Les propositions de communication ne dépassant pas les 500 mots, et accompagnées d’une notice biobibliographique, seront à adresser à l’adresse électronique suivante :

flahm.fr.dep@gmail.com

Dernière date de soumission des propositions : 30-11-2022.

Notification de l’acceptation des propositions : 15-12-2022.

Le colloque se tiendra les 9 et 10 mars 2023.

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Responsables : 

Jalel El Gharbi, Farah Zaiem et Bessem Aloui.

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Comité d’organisation : 

Farah Zaiem, Ahlem Ghayaza, Jihane Tbini et Bessem Aloui.

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Comité scientifique :

Ali Abassi, Université de la Manouba.

Amor Ben Ali, Université de la Manouba.

Thouraya Ben Amor, Université de la Manouba.

Abbès Ben Mahjouba, Université de la Manouba.

Habib Ben Salha Université de la Manouba.

Ines Ben Rjeb, Université de la Manouba.

Jalel El Gharbi, Université de la Manouba.

Héla Ouardi, Université de la Manouba.

Salah Oueslati, Université de la Manouba.

Jouda Sellami, Université de la Manouba.

Farah Zaiem, Université de la Manouba.