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Avec Tiphaigne

Avec Tiphaigne

Publié le par Marc Escola

"Soyez moderne, lisez classique !". Le slogan de la série "Points Classique" pourrait lui servir de devise : Yves Citton s'était naguère employé à mieux faire connaître Tiphaigne de la Roche dans une série d'articles ; il avait même voyagé en Zazirocratie, pour une Très curieuse introduction à la biopolitique et à la critique de la croissance (éd. Amsterdam, 2011), dont Jean-Paul Engélibert avait rendu compte pour Acta fabula sous le titre "Voyage en Zazirie. Relation du très étrange voyage d’Yves Citton chez les Zaziris & des découvertes surprenantes, critiques, théoriques & politiques, qu’il fit dans cet empire". Yves Citton préface aujourd'hui une édition de la Giphantie, étonnant roman d'anticipation qu'il est urgent de (re)découvrir : c’est toute l’histoire à sa suite et jusqu’à aujourd’hui qui peut être remise en ordre. Ainsi y lira-t-on la description de ce qu’on a appelé plus tard la photographie, mais on y croise aussi les lentilles de contact… et s'y annonce l’ère de la mésinformation et la culture de la vigne en Normandie dont le réchauffement climatique de la Terre nous montre que ce n’est plus un horizon lointain. C’est bien cet enjeu qui au fond emporte tout sur son passage : Charles Tiphaigne de la Roche fait voir ce que notre présent a pris l’habitude de penser sous le nom de Gaïa - la Terre - comme un corps fait d’une "zone critique" où les espèces se retrouvent.

Rappelons qu'Yves Citton vient de faire paraître dans la collection "La couleur des idées" un essai intitulé Altermodernités des Lumières (Seuil), déjà salué par Fabula : un livre qui appelle également à découvrir quelques-unes des voix mineures qui ont vivifié la littérature du xviiie siècle (Bordelon, Mouhy, Bibiena, Graffigny, Charrière ou Potocki), mais que notre canon littéraire a refoulées, parce qu’elles n’entraient pas dans ses dichotomies rassurantes. À travers des sylphides, des loups garous, des singes philosophes, des magiciens de la finance, des marchands-de-merde, des Péruviennes féministes ou des conspirateurs islamistes, ces voix excentrées, bizarres, queer, résonnent fortement avec nos préoccupations actuelles, dès lors qu’on les resitue dans la perspective d’altermodernités qui ont toujours déjà excédé l’affrontement éculé entre modernes et antimodernes. Loin de toute nostalgie, se mettre à l’écoute des altermodernités des Lumières invite à reconnaître les présences parmi nous d’autres formes de religions, d’économies et de socialités – porteuses de modernités sans colonialité, de sujets sans maîtres et de communs sans souverains. On peut lire sur Fabula l'introduction de l'ouvrage…

Yves Citton sera l'invité du Département de littérature de la Sorbonne nouvelle pour un libre dialogue le 27 juin prochain.