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La lecture : Pratiques, figures et représentations (revue Fémur)

La lecture : Pratiques, figures et représentations (revue Fémur)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Revue Fémur)

La lecture : Pratiques, figures et représentations

 

Dans Façons de lire, manières d’être, la chercheuse Marielle Macé appelle à reconsidérer le rôle de la lecture dans la compréhension du fait littéraire. Au-delà du geste herméneutique qu’elle constitue, la lecture est, selon Macé, l’articulation de la littérature et de la vie. Elle serait une pratique essentiellement décloisonnante permettant aux œuvres d’exister sur le plan de l’ordinaire et d’infléchir des formes de vie. La lecture, d’après la chercheuse, serait « l’une de ces conduites par lesquelles, quotidiennement, nous donnons une forme, une saveur et même un style à notre existence » (Macé 2011, 10). Pour son troisième numéro, l’équipe de la revue Fémur propose de réfléchir à cette activité à la fois ordinaire et complexe ainsi qu’à ses représentations et ses mises en fiction.

Cet appel de textes invite d’abord à penser la lecture comme pratique. Comment lisons-nous à bord d’un train ou dans le métro ? Comment la lecture d’« écrits d’écran » (Jeanneret et Souchier 2005) se compare-t-elle à la lecture de textes imprimés ? Que penser des pratiques anciennes de lecture à voix haute (Jean 1999) ou encore des mises en lecture de textes au théâtre (Schröpfer 2002) ? La lecture peut, en ce sens, être considérée comme une pratique qui évolue, mais surtout qui participe à des manières d’être (Macé 2011), qui établit un rapport à soi privilégié (Poissenot 2019) et qui constitue un grain de sable dans l’engrenage du capitalisme cognitif (Citton 2017). Il s’agit, plus largement, d’interroger la littérature à l’aune de cette action éminemment politique qui la sous-tend. 

Notons également que cette réflexion sur les pratiques de lecture ne peut faire l’économie d’une pensée des pratiques de non-lecture ou de quasi-lecture. Que dire de ces livres qu’on ne lit pas, parfois par choix (Pennac 1992), et comment penser la relation qu’on entretient avec eux (Bayard 2007) ? L’analyse de données quantitatives au travers d’un corpus de textes est-elle un acte de lecture au même titre que le geste interprétatif de la lecture rapprochée (Bode 2014) ? 

Nous nous proposons de penser ensuite aux représentations de l’activité de lecture et de personnages de lecteurs·trices. Activité de prédilection du narrateur d’À la recherche du temps perdu ou motif récurrent des toiles de Renoir, la lecture nourrit l’imagination des personnages, du bibliophile Don Quichotte plongé dans une folie livresque à une Emma Bovary qui lit pour s’évader de la réalité d’un mauvais mariage. Or cette dernière, lointaine héritière de Julie ou la Nouvelle Héloïse de Rousseau, ravive le débat sur la représentation de la femme lectrice (Adler et Bollmann 2006), jadis objet de la satire de Molière dans Les précieuses ridicules. Soulignons aussi les rapports non-traditionnels à la lecture et à l’objet-livre, par exemple pour André et Nicole dans L’hiver de force qui relisent à l’envi les deux mêmes ouvrages de référence, ou pour la narratrice de La petite fille qui aimait trop les allumettesqui nomme tous les livres des « dictionnaires ». L’objet-livre peut également être motif de subversion, notamment lorsqu’il est interdit (Le libraire, Bessette ; Fahrenheit 451, Bradbury) ou volé (La voleuse de livres, Zusak). Pour sa part, la lecture comme objet de la représentation est activité tantôt solitaire (La lectrice de roman, Van Gogh), tantôt lecture adressée à autrui (Le liseur, Schlink), tantôt vécue en groupe (Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates).

Enfin, n’oublions pas que derrière l’écrivain·e se trouve bien souvent un·e lecteur·trice. Ainsi, de l’hommage au pillage (de Certeau 1980), les diverses formes d’intertextualité (Genette 1982) découlent de l’acte de lecture et le prolongent. Entre l’allusion, la citation ou le plagiat, ce travail de « seconde main » (Compagnon 1979) fait se déployer, à même l’écriture, le rapport de lecture (ou de non-lecture !) du texte d’autrui. De telles réflexions sur les pratiques d’écrivain·e·s « lecteur·trice de… » (Doisneau 2005 ; Marcotte 1990) pourront assurément trouver leur place dans ce numéro. De la pratique de la lecture à sa façon de transparaître dans l’écriture, les deux axes, l’un plutôt philosophique et l’autre plutôt littéraire, se complètent jusqu’à se rencontrer dans les pratiques de certain·es écrivain.es-lecteurs·trices qui construisent leur œuvre à partir de leur bibliothèque.

Pratiques, figures et représentations : par cet appel à propositions, nous souhaitons tendre le regard autant vers l’activité de lecture que vers celles et ceux qui la pratiquent. Figures et représentations de la lecture ou de lecteurs·trices dans la littérature et les autres arts (cinéma, peinture, etc.), façons de lire et façons dont la lecture agit sur le monde et le transforme, du lectorat jusqu’aux textes des écrivain·e·s, la revue Fémur vous invite à revisiter l’activité qui rend possible la littérature au quotidien.

Nous proposons plusieurs axes (non exhaustifs) de réflexion :

Pratiques de lecture ou de non-lecture

Figures ou types de lecteurs.trices

Sociologie de la lecture

Politique de la lecture

Étude de l’expérience ordinaire de la littérature

Distant Reading

Théorie de la réception et de la lecture

Lecture à voix haute

Mise en lecture théâtrale

Représentations de la lecture en littérature et dans les autres arts (arts visuels, musique, cinéma, etc.)

Personnages de lecteurs.trices

Représentation de l’activité de lecture ou de non-lecture

Représentation du rapport à l’objet-livre (bibliophilie, autodafé)

Pratiques d’écrivain.e.s et d’artistes lecteurs.trices

Pratiques transtextuelles (intertextualité, citation, plagiat, pastiche, etc. )

Réflexions d’écrivain.e.s, de philosophes et d’autres artistes (cinéastes, artistes visuels, musiciens, etc.)  sur leur pratique de lecture

Rapport entre la lecture et la création artistique (adaptation d’un livre vers une autre forme)

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Date limite de soumission des propositions : 15 décembre 2020

Les articles des propositions sélectionnées devront être soumis en version complète en février 2021.

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Les propositions doivent être envoyées à l’adresse revuefemur@gmail.com et respecter le protocole de rédaction : https://revuefemur.com/index.php/soumettre-un-article/

La revue Fémur publie plusieurs types de textes : des articles scientifiques (de 3000 à 6000 mots), des essais (de 2000 à 4000 mots) et des comptes rendus critiques (d’au plus 2000 mots). Dans le cadre de ses dossiers thématiques, la revue reçoit des propositions d’articles scientifiques, d’essais ou de comptes rendus, et non des textes complets. Les propositions d’articles et d’essais comptent entre 500 et 700 mots, alors que les propositions de comptes rendus sont d’environ 200 mots. Le comité scientifique de la revue évalue les propositions pour retenir celles qui répondent à ses critères. Les auteur·ice·s des propositions retenues sont alors invité·e·s à soumettre les textes complets. 

Direction du dossier : Emilie Drouin et Olivier Lacasse

Coordination : Stéphanie Guité-Verret et Rachel LaRoche

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Bibliographie

ADLER, Laure et Stefan BOLLMANN. Les femmes qui lisent sont dangereuses, Paris, Flammarion, 2006.

BARTHES, Roland. Le plaisir du texte, Paris, Points, coll. « Essais », 2014 [1973].

BAYARD, Pierre. Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Paradoxe », 2007.

BLOCH, Béatrice et Marc MARTI (dir.). « Figures de la lecture et du lecteur », Cahiers de Narratologie, n11, 2004, [En ligne : https://doi.org/10.4000/narratologie.43].

BODE, Katherine. Reading by Numbers. Londres, Anthem, 2014.

CERTEAU, Michel de et Luce GIARD. Arts de faire, Nouv. éd., Paris, Gallimard, coll. « Folio : essais », 2001.

CITTON, Yves. Lire, interpréter, actualiser: Pourquoi les études littéraires, Paris, Éditions Amsterdam, 2017.

COMPAGNON, Antoine. La seconde main, ou le travail de la citation, Paris, Éditions du Seuil, 1979.

DOISNEAU, Pascal. « Jacques Roubaud, lecteur de Raymond Queneau », Les amis de Valentin Brû, vol. 38‑39, 2005, p. 13‑48.

ECO, Umberto. Lector in fabula: ou, La coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, B. Grasset, coll. « Figures », 1985.

FISH, Stanley. Is there a text in this class?: The authority of interpretive communities, Cambridge, Harvard University Press, 1980.

GENETTE, Gérard. Palimpsestes: la littérature au second degré, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1982.

ISER, Wolfgang. L’acte de lecture: théorie de l’effet esthétique, Bruxelles, Mardaga, coll. « Philosophie et langage », 1985.

JAUSS, Hans Robert. Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2015 [1978].

JEAN, Georges. Lire à haute voix: histoire, fonctions et pratiques de la « lecture oralisée », Paris, Éditions de l’Atelier, 1999.

JEANNERET, Yves et Emmanuël SOUCHIER. « L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran », Communication & Langages, vol. 145/1, 2005, p. 3‑15, [En ligne : https://doi.org/10. 3406/colan. 2005.3351].

Laboratoire intercollégial de recherche en enseignement de la littérature (LIREL). « Les figures du lecteur », LIREL, 31 mai 2020, [En ligne : https://groupelirel.wordpress.com/les-figures-du-lecteur/les-figures-du-lecteur/].

MACÉ, Marielle. Façons de lire, manières d’être, Paris, Gallimard, coll. « NRF essais », 2011.

MARCOTTE, Gilles. « Réjean Ducharme, lecteur de Lautréamont », Études françaises, vol. 26/1, 1990, p. 87‑127, [En ligne : https://doi.org/10.7202/035806ar].

MAZAURIC, Catherine, Marie-José FOURTANIER et Gérard LANGLADE (dir.). Le texte du lecteur, Bruxelles, Peter Lang, coll. « ThéoCrit’ », 2011.

MINZETANU, Andrei. Carnets de lecture: généalogie d’une pratique littéraire, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2016.

PENNAC, Daniel. Comme un roman, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997 [1992].

POISSENOT, Claude. Sociologie de la lecture, Paris, Armand Colin, 2019.

PROUST, Marcel. Sur la lecture: suivi de Journées de lecture, Paris, Librio, coll. « Littérature », 2013 [1906].

SCHRÖPFER, Denise. « La lecture-spectacle dans l’entre-deux de l’écriture et de la représentation scénique », Études théâtrales, nos 24-25, 2002, p. 224-230.

SIMONOT, Michel. De l’écriture à la scène : des écritures contemporaines aux lieux de représentations, Paris, Théâtres-écritures, 2001.

VINANT, Manon. Le roman de la lecture : la représentation littéraire du lecteur dans les œuvres Se una notte d’inverno un viaggiatore, de Italo Calvino et Comme un roman, de Daniel Pennac, Mémoire de maîtrise, Grenoble, Université Stendhal (Grenoble 3), 26 novembre 2012, [En ligne : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-00757043].